De plus en plus de fintechs françaises recrutent des financiers issus de banques, de sociétés de gestion ou d’entreprises pour structurer leurs offres de services et faire face à des contraintes réglementaires croissantes. Ces professionnels sont séduits par l’environnement de travail flexible des jeunes pousses et leurs packages de rémunération attractifs.
Entre 2018 et 2021, le nombre de salariés employés par les fintechs françaises est passé d’environ 8 000 à 26 000, selon France FinTech. La majorité de ces recrutements ont ciblé des profils « techs » – développeurs, ingénieurs, spécialistes de « l’expérience utilisateur » (UX), du traitement et de l’analyse des données, etc. –, ainsi que des profils commerciaux et marketing. Malgré leur spécialité, les jeunes pousses de la finance alternative, occupées pour la plupart, ces dernières années, à bâtir technologiquement leurs offres de produits et de services et à prendre pied sur leurs marchés respectifs en raison de leur âge peu avancé, ont ouvert encore relativement peu de postes à tonalité strictement financière. « Cette situation est en train de changer, constate Antoine Léon, consultant chez Robert Walters. Par conséquent, de plus en plus de profils seniors, expérimentés et spécialisés, en provenance de banques, de sociétés de gestion ou de directions financières, rejoignent les fintechs. » Tant et si bien que d’ici à la fin de 2022, une part significative de leurs 15 000 futures embauches pourrait être orientée vers ces professionnels.
Tous les secteurs de la fintech française sont concernés. Au cours des douze derniers mois, les sociétés tournées vers les services bancaires et le « personal finance management », à commencer par les néobanques professionnelles, ont recruté chez leurs concurrents – principalement des banques traditionnelles – un nombre croissant de chargés d’affaires habitués à accompagner les sociétés dans leurs opérations administratives et financières courantes (ouverture de comptes, souscription de financements, pilotage de la comptabilité, etc.). C’est le cas, par exemple, de Memo Bank qui, depuis son lancement en 2020, a constitué une équipe de quatre à cinq de ces spécialistes passés par LCL, BNP Paribas ou Banque Delubac & Cie.
«Contribuer à l’émergence d’un écosystème innovant stimule les financiers»
Une incidence de la crise sanitaire
Les prestataires du financement s’entourent, pour leur part, d’experts capables de structurer des produits, de spécialistes du risque de contrepartie tels que les analystes crédit, ou encore de responsables des process d’identification clients chargés de prévenir le blanchiment ou le financement du terrorisme. Quant aux entreprises de croissance qui évoluent sur le marché des paiements internationaux et des transferts de devises, elles s’adjoignent les services de traders ayant fait leurs armes dans des institutions financières de renom. « Notre nouveau responsable des opérations de change et des couvertures monétaires a passé dix ans en salle des marchés chez HSBC », témoigne le CEO d’une jeune pousse.
Cet afflux s’explique par la croissance des entreprises, exponentielle ces deux dernières années en raison de l’augmentation de leurs tours de table (ceux-ci ont crû de 120 % sur un an en 2021 pour atteindre 2,1 milliards d’euros). A la faveur de cette expansion, les fintechs ne cessent d’étoffer leurs équipes, lancent de nouveaux services, et ont besoin de plus de forces vives. « Ces deux dernières années, nous avons créé de nouvelles offres d’assurances, de financement via des prêts garantis par l’Etat et de pilotage des notes de frais, et avons dû recruter en conséquence », explique un cadre d’une néobanque.
Les cabinets de recrutement en renfort
De plus en plus de fintechs se tournent vers les cabinets de recrutement pour trouver des profils financiers. « L’un des grands acteurs français du crowdfunding, membre du French Tech 120, vient de nous confier un mandat pour recruter son responsable de la gestion du risque de conformité », confit un chasseur de têtes. Une tendance qui pousse de plus en plus de cabinets, à l’instar de Morgan Philips Executive Search ou Heidrick & Struggles, à adjoindre à leurs practices « banques » ou « asset management » des spécialistes des fintechs chargés de dénicher des profils financiers pour l’écosystème.
Un DAF pour muscler le business plan
Elles structurent également cette offre de manière plus poussée en sollicitant des agréments d’établissement de paiement, de monnaie électronique, voire de crédit, qui font peser sur elles de nouvelles contraintes réglementaires. « Les financiers issus du monde bancaire sont bien souvent les mieux placés pour répondre aux exigences de l’ACPR et de l’AMF et préparer les examens de conformité de ces régulateurs », relève Christophe Laville, principal chez Vauban Executive Search. En outre, la crise sanitaire et ses répercussions sur l’activité des entreprises ont fait naître de nouveaux besoins en matière de financement, de pilotage du cash et du BFR, et de prévention des risques de fraude. Un facteur qui a poussé certaines start-up versées dans ces disciplines à intégrer des financiers chevronnés à leurs équipes commerciales, « customer success », voire à leur « top management », afin de pouvoir anticiper toute nouvelle demande de leurs clients.
Plus matures, nombre de fintechs ont structuré dans le même temps leur direction financière. Les levées de série B ou C dont les montants atteignent communément 10 à 50 millions d’euros, multipliées par cinq ces deux dernières années au sein de l’écosystème, ont coïncidé généralement avec le recrutement du directeur financier. « Ce dernier peut être sollicité en amont du tour pour muscler le business plan et le plan de trésorerie de l’entreprise en prévision des roadshows, indique Antoine Léon. Il peut aussi être embauché a posteriori, à la demande des investisseurs, pour piloter le développement de la société, notamment son expansion internationale ou d’éventuelles opérations de croissance externe. » Les DAF plébiscités par les start-up sont souvent passés par le monde bancaire ou assurantiel ou par l’asset management : si Lemonway a récemment déniché son « chief financial officer » chez BDL Capital Management, Alan a recruté à ce poste un ancien de J.P. Morgan.
Des bons de souscription d’actions
D’autres auxiliaires financiers sont embauchés pour accompagner cette croissance. Après avoir levé 330 millions d’euros, Younited Credit s’apprête à recruter, par exemple, un responsable comptable groupe. Celui-ci aura pour missions, notamment, de collecter les données comptables issues des diverses entités de la société, d’assurer le contrôle, l’analyse et la justification de ses comptes, de produire les reportings mensuels et de mettre en place de nouveaux indicateurs de gestion. « Jusqu’à présent, ces responsabilités étaient exercées par notre directeur financier adjoint, mais la très forte croissance du volume de données générées par notre activité ces derniers mois nous poussent à affecter une personne à temps plein sur ce poste, explique-t-on au sein de la fintech. Nous recherchons une personne dotée de 10 ans d’expérience à un poste identique dans le secteur bancaire. »
Fait relativement nouveau, les fintechs disposent désormais d’une surface financière suffisamment large pour proposer à leurs nouvelles recrues des packages de rémunération attractifs. « Si les salaires des profils seniors ne sont pas encore alignés sur ceux du secteur financier traditionnel – ils leur sont encore inférieurs de 30 à 50 % en moyenne – les programmes de participation au capital, matérialisés par l’attribution de bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE), de bons de souscription d’actions (BSA) ou de stock-options, permettent aux talents de tirer parti du développement des structures », explique Christophe Laville. Toutefois, c’est véritablement l’environnement de travail plus flexible et le changement d’objectifs qui attirent les transfuges. « Contribuer à l’émergence d’un écosystème innovant stimule ces profils qui, souvent, ont été confrontés à des cadres managériaux et opérationnels beaucoup moins flexibles et dynamiques », atteste Christophe Laville. De ce point de vue, les fintechs n’ont certainement pas épuisé tout leur potentiel.