Fonction encore souvent méconnue au sein des directions financières, le directeur de la consolidation pourrait bien voir son rôle s’accroître au cours des prochaines années en raison de l’évolution de la réglementation fiscale internationale. Son savoir-faire en fait l’un des principaux piliers sur lequel peut s’appuyer le directeur financier.
Un mélange des genres. De plus en plus de réformes fiscales s’intéressent à la comptabilité des entreprises. Déjà, les normes IFRS (international financial reporting standards) ont imposé, à partir de 2005, aux sociétés cotées un référentiel international d’informations financières destinées à standardiser la présentation de leurs données comptables. Quelques années plus tard, en 2016, le CbCR (country by country reporting) a obligé les groupes, dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 750 millions d’euros, à déclarer pays par pays leurs résultats économiques, comptables et fiscaux afin de lutter contre l’optimisation et la fraude fiscale. Un exercice qui deviendra même public dès 2024 ! Entre-temps, à compter du 1er janvier 2023, ces mêmes multinationales devront se soumettre au pilier 2 de la réforme fiscale internationale menée par l’OCDE (imposition minimum de 15 % des filiales des grands groupes) basé sur un calcul complexe du résultat comptable consolidé du groupe. Autant de normes qui rendent plus que jamais indispensable la fonction de consolideur au sein des directions financières des grands groupes. « Les nouvelles exigences de communication demandées aux entreprises font de la consolidation une composante essentielle pour toutes les entreprises qui sont dans l’obligation de publier leurs informations financières », affirme Marie-Laure Navelot, product manager chez KShuttle et formatrice en normes IFRS et consolidation.
«La mission de directeur de la consolidation nécessitée d'interagir avec les différents comptables des filiales du groupe pour récupérer toutes les informations financières.»
Un rôle clé pour la communication financière
Il faut dire que le consolideur est, au sein de la direction financière, celui qui produit l’information. « C’est un ingénieur comptable », remarque Marie-Laure Navelot. Il doit, en effet, grâce à ses compétences techniques et les outils de reporting dont il dispose, produire des données sur le groupe qui vont servir ensuite à d’autres services de l’entreprise. « C’est lui qui détermine ce que l’on appelle la fiscalité différée, poursuit Marie-Laure Navelot. Son travail permet à l’entreprise de se projeter à court et moyen terme en exposant les impacts fiscaux futurs des positions actuelles. »
Son utilité n’est cependant pas nouvelle. Au-delà des différents projets de réformes, il était déjà sollicité, tous les six mois, pour la publication des comptes consolidés de l’entreprise (au 30 juin et au 31 décembre). « A partir du moment où une entreprise est cotée et qu’elle possède plusieurs filiales, elle a l’obligation de présenter des comptes consolidés, rappelle Emmanuel Roger, directeur central comptabilité, consolidation et fiscalité au sein du groupe Bouygues. Or, ces comptes sont construits à partir de données présentes dans un logiciel de consolidation unifié utilisé par le directeur de la consolidation. » Un métier qui nécessite donc des compétences techniques et des bases de comptabilité mais aussi un certain savoir-faire en termes de communication interne. « Pour mener à bien sa mission, il doit interagir avec les différents comptables des filiales du groupe pour récupérer toutes les informations financières », souligne Marie-Laure Navelot. Une fonction multifacette puisque le consolideur est également proche du service juridique car il a besoin de connaître la façon dont un groupe est structuré. « Il doit être au fait de la gestion du droit des sociétés », poursuit Marie-Laure Navelot.
«Depuis l’entrée en vigueur, en 2016, du CbCR limité à l’époque pourtant aux seules administrations fiscales, un binôme s’est formé entre les équipes fiscales des groupes qui doivent analyser les données et celles de consolidation qui sont chargées de la collecte des données financières.»
Un binôme avec le directeur fiscal
Surtout, il est un partenaire essentiel du directeur fiscal. « Depuis l’entrée en vigueur, en 2016, du CbCR limité à l’époque pourtant aux seules administrations fiscales, un binôme s’est formé entre les équipes fiscales des groupes qui devaient analyser les données et celles de consolidation qui étaient chargées de la collecte des données financières », constate Emmanuel Roger. Les prémices d’une collaboration qui ne peut que se renforcer avec l’application prochaine de la réforme fiscale internationale de l’OCDE.
Cependant, selon les praticiens, les normes à venir ne disqualifient en rien les fiscalistes. Bien au contraire ! « Ne voir le sujet que par le prisme du taux effectif est trop réducteur, souligne Emmanuel Dufour, partner chez Segalen+associés. Les fiscalistes garderont leur pré carré : la norme, la loi, la jurisprudence et l’interprétation de tout cela au sens large. Les consolideurs maintiendront quant à eux leur expertise : la production, la fiabilisation. Et les deux devront dès lors travailler de concert. » Une collaboration qui doit donc être considérée comme renforcée plutôt qu’être vue comme une rivalité entre les deux fonctions. « L’intérêt est même que les deux fonctions convergentes puisque le consolideur a également besoin du directeur fiscal pour connaître toutes les règles fiscales », assure Emmanuel Roger. Le directeur de la consolidation pourrait voir toutefois son rôle prendre une certaine ampleur dans les années à venir. « En effet, la réglementation en matière de communication non financière étant elle aussi évolutive, la mise en œuvre prochaine de l’organisation qui édictera les normes internationales de la finance durable, l’international sustainability standards board (ISSB), imposera aux grands groupes une communication financière et non financière intégrée qui ne pourra être que consolidée », souligne Marie-Laure Navelot. Les fonctions du directeur de consolidation engloberont donc, à terme, non seulement les données financières mais aussi extra-financières.
Un métier qui n’est pas répertorié par Pôle emploi
Malgré l’évolution de la réglementation fiscale européenne et internationale, les entreprises ont du mal à recruter des talents au sein de leur service consolidation. « C’est une profession qui reste un peu marginale, déplore Marie-Laure Navelot, product manager chez KShuttle et formatrice en normes IFRS et consolidation. Ceux qui en ont entendu parler ont un peu peur de cette fonction car elle consiste notamment en l’application des normes IFRS réputées très techniques. » Un manque de visibilité de cette profession d’autant plus problématique que même les services de Pôle emploi ne la référence pas. « Lorsqu’une entreprise souhaite recruter un consolideur et qu’elle décide de faire appel à Pôle emploi, la catégorie dans laquelle l’offre d’emploi sera publiée est “chef comptable”, poursuit Marie-Laure Navelot. La fonction de consolidation n’existe pas en tant que telle. » Dans ce contexte, beaucoup d’entreprises sont obligées de former leurs recrues une fois embauchées, en interne, aux enjeux de la consolidation.