Très critiquées, les retraites chapeaux semblaient en voie de disparition. Mais le nouveau cadre réglementaire imposé au niveau européen les a relancées fortement. Le nouveau dispositif est avantageux à la fois pour le cadre dirigeant, qui conserve la retraite acquise même s’il quitte l’entreprise, et pour cette dernière, car largement défiscalisé. En contrepartie, les montants attribués sont plafonnés.
Après les cas emblématiques de retraites chapeaux sujettes à polémiques, telle celle de l’ancien patron de Vinci Antoine Zacharias (2,1 millions d’euros de rente annuelle) ou de Carlos Ghosn, qui, en fuite, avait tout de même exigé le paiement d’une rente annuelle de près de 800 000 euros, ces dispositifs semblaient en bout de course. Du reste, les retraites supplémentaires dites « article 39 » – l’article du Code général des impôts encadrant ce dispositif – avaient tout l’air de tomber lentement en désuétude, à voir les montants mis de côté chaque année par les entreprises pour assurer leur paiement. Selon les dernières données précises diffusées par la direction de la recherche, des études et des statistiques (Drees) du ministère des Affaires sociales, 1,2 milliard d’euros seulement de cotisations ont été provisionnées par les entreprises en 2020 au titre des contrats dits « article 39 », soit seulement 8,5 % du total des cotisations destinées à financer des retraites supplémentaires (s’ajoutant aux retraites de base et complémentaires).
Une fiscalité avantageuse
Un des intérêts du nouveau cadre réglementaire des retraites chapeaux « article 39 », c’est, pour l’employeur, une fiscalité plutôt modérée. Quand l’entreprise cotise pour cette retraite, autrement dit, verse un salaire différé, elle n’est pas soumise à charges sociales. « Les cotisations versées sont taxées à hauteur de 29,7 %, mais elles sont déductibles des charges fiscalement » souligne Pierre Guillocheau, directeur général de Crédit Agricole Assurances Retraite. En outre, l’assuré – le cadre dirigeant – n’est pas soumis au forfait social ou à un quelconque prélèvement social, au moment de la cotisation. En revanche, quand elle est perçue, cette retraite supplémentaire est bien sûr soumise à l’impôt sur le revenu.
Il faut dire que les retraites « articles 39 » ont pour particularité d’être à prestations définies, c’est-à-dire que l’entreprise qui les promet à certains salariés s’engage à l’avance sur un montant fixe à leur verser chaque année, tout au long de leur vie de retraité. Un engagement potentiellement coûteux et risqué pour l’employeur : la rente à verser ne dépend ni de la situation financière à long terme de l’entreprise, ni de l’évolution des marchés, qui détermine les sommes effectivement accumulées par l’employeur, y compris le fruit des placements, le jour du départ en retraite du salarié. En général, les entreprises préfèrent donc à l’article 39 les dispositifs à « cotisations définies ». Dans ce cas, elles s’engagent seulement à placer durant la vie active du salarié, chaque année, un montant prédéfini. La rente versée au retraité n’est alors pas fixée par avance, elle dépend des montants cotisés et de leur capitalisation.
Un véritable succès
Cependant, contrairement aux apparences, les retraites chapeaux ou à prestations définies connaissent à nouveau un véritable succès, qui n’est pas encore perceptible dans les statistiques globales. « On observe actuellement une vraie demande , souligne Pierre Guillocheau, directeur général de Crédit Agricole Assurances Retraite. Elle provient d’abord des grandes entreprises souvent familières de ce type de dispositif, mais aussi et c’est nouveau de nombreuses ETI, notamment les plus importantes. Cette demande a émergé sous un double effet : d’abord la réforme de l’article 39 (dit dorénavant «L137-11-2»), imposée par une directive européenne de 2019, dont les textes d’application ont été publiés en décembre 2020, réforme qui assainit ce adispositif qui n’avait pas jusqu’alors bonne presse. Ensuite la chute régulière et forte des taux de remplacement des cadres dirigeants ». Le dispositif est devenu plus attractif à la fois pour ces cadres, qui en sont les principaux bénéficiaires, et pour les entreprises qui les emploient. Du point de vue du cadre, la directive européenne a imposé la portabilité : alors qu’un salarié démissionnant de son entreprise perdait auparavant le bénéfice de cette « retraite chapeau », elle est désormais définitivement acquise, quel que soit le motif de départ.
«Avec une rémunération annuelle de 250 000 euros quand il se trouve en activité, un cadre dirigeant partant en retraite ne touchera, au titre des retraites obligatoires (de base et complémentaire) que 30 % de son dernier salaire(taux de remplacement). »
Des abus évités, grâce à un plafonnement
Mais, en contrepartie, il n’est plus question d’accorder à tel ou tel dirigeant une retraite supplémentaire d’un montant disproportionné, comme cela avait pu être constaté auparavant. « Il s’agit d’un contrat de groupe, il ne peut être ajusté de façon individuelle », souligne Hélène Farouz, actuaire IA et associée chez PwC France et Maghreb. Surtout, la retraite supplémentaire que les cadres dirigeants peuvent acquérir est plafonnée à 3 % de leur salaire net de cotisation, par année de présence dans l’entreprise. Autrement dit, si une entreprise décide d’accorder ce plafond, la retraite du dirigeant sera accrue au bout d’un an de présence d’un montant correspondant à 3 % de son salaire, de 6 % après deux ans, 9 % après trois ans, etc. Après 10 ans dans l’entreprise, la progression cesse : la rente sur laquelle peut s’engager l’employeur est plafonnée à 30 % du dernier salaire.
« Au total, ce cadre réglementaire est beaucoup plus normé que celui de l’ancien article 39, il permet d’éviter de nombreux scandales » estime Hélène Farouz. D’autant que le Comité social et économique de l’entreprise (CSE) est informé de l’existence du dispositif, « même s’il n’a pas connaissance des détails » précise Pierre Guillocheau. Si elle évite les abus, la limite fixée à 30 % du dernier salaire pour la retraite supplémentaire ne paraît pas handicaper l’article 39 rénové, qui reste avantageux, d’autant que la retraite obligatoire des cadres dirigeants a eu tendance à baisser ces dernières années. « Avec une rémunération annuelle de 250 000 euros quand il se trouve en activité, un cadre dirigeant partant en retraite ne touchera, au titre des retraites obligatoires (de base et complémentaire) que 30 % de son dernier salaire (taux de remplacement), estime Pierre Guillocheau. Un dispositif de type article 39 permet un complément pouvant aller jusqu’à 30 % de revenu supplémentaire sur une période de 10 ans, garantissant un total de 60% C’est donc un outil très performant, qui plus est sur une phase relativement courte de constitution. » Quelle est la part d’entreprises promettant chaque année une rémunération supplémentaire atteignant le plafond autorisé, correspondant à 3 % du salaire pour chaque année de cotisation ? « Tout dépend de l’âge des membres du comex, principaux bénéficiaires de ces contrats, estime Hélène Farouz. S’ils sont plutôt proches de 45 ans, il est possible de limiter le dispositif à 1 % ou 2 % de retraite en plus chaque année, puisque la montée en puissance pourra être étalée sur le long terme. Si l’âge moyen est de 55 ans, l’entreprise choisira le plafond de 3 %. L’objectif est bien de parvenir au maximum de 30 % lors du départ en retraite. »
Ce surplus de revenu à venir est donc une bonne façon d’attirer des dirigeants âgés de près de 55 ans, auxquels l’entreprise peut promettre une retraite globale plus proche de leur salaire qu’elle ne l’aurait été en l’absence de cette « carotte ».
L’alternative de l’article 82
- Certaines entreprises peuvent opter pour un autre système de retraite chapeau, encore plus souple que le nouvel article 39, en ayant recours au dispositif issu d’un autre article du Code général des impôts : l’article 82. « Il s’agit clairement, en l’occurrence, du versement d’un sur-salaire, qu’il est possible de percevoir entièrement le jour du départ en retraite, sous forme de capital », relève Hélène Farouz, actuaire IA et associée, PwC France et Maghreb chez PwC. Une possibilité qui n’est pas offerte par l’article 39 rénové, qui impose, lui, une sortie en rente. En contrepartie, avec l’article 82, les sommes mises de côté par l’entreprise dans la perspective du départ en retraite du cadre dirigeant sont soumises à cotisations sociales, acquittées par l’entreprise.
- « Cela peut rester intéressant dans le cas de cadres dirigeants, pour lesquels l’entreprise paie peu de cotisations sociales au-delà de huit fois le plafond de la Sécurité sociale (soit 29 328 euros par mois) », indique Hélène Farouz. Le bénéficiaire doit toutefois payer l’impôt sur le revenu sur la prime mise de côté chaque année par l’entreprise, qu’il ne perçoit donc pas. Par comparaison, les cotisations versées dans le cadre de l’article 39 « rénové » ne sont pas soumises à l’impôt sur le revenu et ne supportent qu’une taxe de 29,7 %.
«Le nouveau cadre réglementaire des retraites chapeaux, beaucoup plus normé que celui de l’ancien article 39, permet d’éviter de nouveaux scandales. »
Un bonus pour attirer les cadres dirigeants
En mettant ce dispositif en place, « on imite beaucoup de pays, comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou l’Espagne, dans lesquels la pension de base est très faible pour les cadres et où la retraite supplémentaire apparaît donc primordiale, souligne Hélène Farouz. C’est une façon d’éviter que les dirigeants partent dans ces pays, où la retraite totale représente souvent 65 % du dernier salaire ». Pour le recrutement d’un directeur financier ou d’un secrétaire général, dans un marché très tendu de l’emploi des cadres supérieurs dirigeants, « ce type de dispositif de retraite supplémentaire est très différenciant, dans une approche générale de package de rémunérations », ajoute Pierre Guillocheau.
Intéressant pour le dirigeant, le nouveau dispositif offre des garde-fous aux entreprises. « Il est possible de mettre l’article 39 sous condition de performance, ce qui est là aussi un vrai levier de motivation et de rétention », relève Pierre Guillocheau. Et il n’existe pas de contrainte semblable à celles existant pour les autres dispositifs de retraite, à savoir l’obligation d’octroyer cet avantage à tous les salariés relevant d’une catégorie définie préalablement, de façon objective, comme les cadres dirigeants, les membres du comex, ou les cadres dépassant telle ou telle rémunération… « On échappe au concept de catégorie objective, il est donc possible d’attribuer cette retraite supplémentaire aux dirigeants choisis de façon discrétionnaire », précise Pierre Guillocheau. En général, les membres du comex et les patrons de “business units” en sont les bénéficiaires, soit en moyenne une quinzaine de personnes. Beaucoup plus rarement, tous les cadres supérieurs peuvent être concernés, soit jusqu’à 300 ou 400 personnes.
Même encadrées, les retraites chapeaux restent l’apanage de quelques « happy few ».
Une gestion à horizon
- Si les entreprises provisionnaient auparavant les futures retraites chapeaux, décaissant ensuite chaque année les montants promis, une fois le dirigeant en retraite, le mode de fonctionnement financier a changé avec la réforme de 2019. « La sécurisation de la future retraite supplémentaire étant obligatoire, l’argent doit être sécurisé », souligne Hélène Farouz, actuaire IA et associée chez PwC France et Maghreb. Ainsi, même en cas de faillite de l’entreprise qui l’employait, le cadre dirigeant est assuré de percevoir sa retraite supplémentaire.
- Dans la majorité des cas, c’est un intermédiaire financier qui est retenu pour gérer la phase de cotisation (constitution) mais également de paiement de la retraite, « le plus souvent un assureur » précise Hélène Farouz. Celui-ci est le mieux à même de gérer la future rente du cadre dirigeant : en effet, la sortie en rente est obligatoire, il n’est pas possible pour le cadre dirigeant de récupérer les sommes cotisées sous forme de capital, comme c’est le cas depuis la loi Pacte pour les autres dispositifs d’épargne retraite, tel que les PERO (Plans d’épargne retraite obligataire).
- L’assureur adapte son mode de gestion des sommes qui lui sont confiées au nombre d’années entre le versement de la cotisation et le départ en retraite attendu. « Nous adoptons une gestion à horizon selon l’âge du cadre dirigeant, indique Pierre Guillocheau. Mais à 55 ans, le profil de gestion est prudent, avec une majorité des sommes placées sur des fonds euros (70 %). »