Ressources humaines

Mentorat : les directeurs financiers jouent le jeu

Publié le 22 octobre 2021 à 12h03

Alexandra Milleret    Temps de lecture 7 minutes

Différent du coaching qui requiert les services rémunérés d’un spécialiste du développement personnel, le mentorat a le vent en poupe dans les grands groupes et notamment au sein des directions financières. Ces dernières utilisent depuis des années cette pratique, en interne, afin d’aider les managers à mieux appréhender leurs fonctions.

Séduits par l’initiative lancée par le président de la République, Emmanuel Macron, en mars dernier, « un jeune, un mentor », une centaine de grands patrons, parmi lesquels Alexandre Bompard de Carrefour, Jean-Pierre Farandou de la SNCF et Thomas Buberl d’Axa, ont décidé, au début de l’été, de s’engager à devenir eux-mêmes mentors d’entrepreneurs juniors et à développer cette pratique dans leurs entreprises. Ils ont notamment demandé à chaque membre de leur comité exécutif de se prêter au jeu. Par ces quelques heures accordées bénévolement, tous souhaitent ainsi conseiller, guider et accompagner de jeunes patrons dans leur développement.

Si le concept est bienveillant, il n’est pas pour autant novateur. Le mentorat existe depuis des années dans les grandes entreprises et notamment au sein des directions financières qui n’hésitent pas à y recourir afin d’aider leurs responsables à gagner en confiance. Une méthode de management qui est d’ailleurs plébiscitée par les équipes.

Guider les profils juniors

Aujourd’hui directrice financière externalisée de Bodyguard, application dédiée à la protection contre le cyberharcèlement, Isabelle Semence avait décidé de participer à un programme en tant que mentor quand elle était responsable des affaires financières pour l’Europe du Sud chez Sulzer, groupe industriel suisse. « La directrice financière de la division dans laquelle je travaillais avait engagé un programme spécifique de développement des talents pour les responsables financiers, indique Isabelle Semence. Elle cherchait des volontaires et j’ai donc accepté de devenir mentor pour un jeune collègue situé dans une filiale du groupe en Angleterre. » L’idée de ce mentorat en interne était en effet qu’une salariée senior expérimentée puisse apporter une aide au développement de carrière pour des collègues de niveaux professionnels moins avancés. « Je n’ai pas choisi mon binôme, il m’a été affecté », précise Isabelle Semence. Pendant six mois, elle l’a ainsi accompagné pour des besoins spécifiques exprimés par le mentoré lui-même. « Le mentorat ne traite pas forcément de sujets techniques du métier de directeur financier, rappelle la directrice financière. Il peut aussi s’intéresser à des points personnels, ce qui a été le cas pour la personne que je coachais. Il souhaitait en effet apprendre à mieux communiquer à l’oral comme à l’écrit, sur les chiffres, ses interventions en réunion et en fonction du degré d’audience de ses présentations afin d’adapter son discours en fonction de son auditoire. » Avec un rythme soutenu d’une réunion au moins toutes les deux semaines, dont deux fois en face-à-face et le reste en visioconférence du fait de la distance, elle l’a mis en situation, l’a challengé et l’a aidé à être plus à l’aise et plus pertinent. « Je lui ai, par exemple, conseillé d’être très synthétique devant le comité de direction, d’axer ses rapports sur quelques messages forts sans trop de slides, de travailler sa diction et de ne pas parler trop vite », détaille Isabelle Semence.

Se rassurer sur ses pratiques

Cette expérience s’est également révélée bénéfique pour la mentor elle-même : « Etre mentor questionne aussi sur ses propres pratiques, on se demande si l’on applique bien tous les conseils qu’on donne, confie Isabelle Semence. C’est également très intéressant de comparer les pratiques et très gratifiant de partager les compétences. » Une raison qui l’a poussée, quelques années plus tard, à tenter l’aventure, cette fois-ci, en tant que mentorée. « A mon arrivée chez Thales, en 2018, en tant que directrice financière, je devais encadrer 85 collaborateurs. J’ai eu l’occasion de participer à un programme de mentoring avec un scope international, mis en place spécifiquement pour les femmes du groupe, explique Isabelle Semence. Comme je cherchais à développer mon réseau à l’intérieur du groupe et à m’intégrer compte tenu de la structure complexe de l’entreprise, cette proposition m’a semblé être une excellente opportunité. » C’est une vice-présidente finance d’une autre division du groupe qui l’a coachée pendant six mois. « J’ai trouvé intéressant de pouvoir interagir sur les pratiques managériales et les différentes stratégies mises en place, confie Isabelle Semence. Les discussions avec ma mentor m’ont par exemple inspiré l’idée de faire des déjeuners informels tous les mois avec mes N-1 afin de mieux se connaître, sur un plan plus personnel. Une idée d’autant plus nécessaire que l’entité juridique dans laquelle je travaillais était la fusion de trois sociétés et que tous collaborateurs n’avaient pas forcément l’habitude de travailler ensemble. » Le concept du mentorat n’est donc pas axé sur la performance des collaborateurs mais sur leur développement personnel au travail. « Avoir un mentor n’est pas forcément destiné à vous apprendre des fonctions techniques que vous maîtrisez forcément à un certain niveau de responsabilité, souligne Isabelle Semence. Cela permet également de travailler sur les relations interpersonnelles par exemple. »

Vaincre la solitude du manager

Un plus pour ces managers qui reconnaissent parfois leur solitude : « A un certain niveau de management, on peut se sentir assez seul, confie la directrice financière. Le mentorat revêt donc aussi une dimension de soutien et de prise de recul. » Un sentiment partagé également par Pascal Grémiaux, président et fondateur d’Eurecia, fournisseur de logiciels RH, alors qu’il exerçait les fonctions de directeur financier de son entreprise et pour qui un mentor a apporté une dimension humaine à son engagement professionnel. « J’ai été mentoré de façon informelle par une connaissance rencontrée dans le cadre d’un réseau professionnel, explique le fondateur d’Eurecia. J’ai ainsi compris la nécessité d’apporter une attention particulière au recrutement dans l’entreprise, de savoir m’entourer de profils plus seniors, plus expérimentés pour encadrer les équipes. » En tant que jeune entrepreneur, son mentor a également pu lui faire profiter de son expérience. « Nous avons pu échanger sur des problématiques liées à la croissance ou à la décroissance de l’entreprise, ce qui m’a beaucoup aiguillé dans mes réflexions sur le développement de nos activités, notamment à l’international », relate Pascal Grémiaux. Une bienveillance susceptible de rassurer sur ses choix stratégiques, qui est aussi contagieuse puisque le fondateur d’Eurecia a décidé à son tour de transmettre son expérience, donnant aujourd’hui ses conseils à une jeune start-up.

Une salle de sport pour les directeurs financiers en plein Paris

Boulevard de la Tour-Maubourg à Paris se trouve une salle de coaching un peu particulière. Une « salle de sport » pour dirigeants, et notamment les directeurs financiers, qui n’en est pas vraiment une. « Ils en bavent car nos experts les font vraiment travailler, sourit Charlie Clarck, fondateur de Whistom, société spécialisée en stratégie orale. Nous avons différents espaces : un plateau télé, un théâtre, des salles de réunion… tout pour aider des directeurs financiers dont la fonction est très technique à soigner leur discours et leur éloquence. » Chaque directeur financier adhère à un parcours d’une vingtaine d’heures pendant lesquelles il participe à huit ateliers : présentation, gestuelle, gestion du trac avec une sophrologue, media training… Il est également soumis à des confrontations orales avec les directeurs des ressources humaines ou des directeurs généraux.

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