Longtemps gérées directement par les associés, les relations investisseurs se sont professionnalisées, portées par le poids croissant de la réglementation et la nécessité de mieux répondre aux demandes des souscripteurs. La récente ouverture du private equity au retail conduit également à recruter de nouveaux profils dédiés aux clients privés.
Son rôle est central et pourtant encore assez méconnu. Le responsable des relations investisseurs, en charge notamment de la levée de fonds, a pris toute sa place dans le secteur du private equity. Rares sont désormais les sociétés de gestion à ne pas s’appuyer sur ce professionnel. Soutenant plus de 200 sociétés de gestion partenaires via son activité Fonds de fonds, Bpifrance est aux premières loges pour observer cette évolution. « Nous avons commencé à voir une professionnalisation des relations investisseurs il y a un peu moins de dix ans, note Jean-Eudes Leleu, directeur d’investissement senior au sein de la direction Fonds de fonds de la banque publique. Depuis lors, cette fonction n’a cessé de prendre de l’ampleur. Aujourd’hui, nous voyons même des sociétés de gestion qui, dès leur création, recrutent un responsable des relations investisseurs. » Ce constat est partagé par les chasseurs de têtes, qui voient de petites structures se doter d’une telle fonction. « Les relations investisseurs se sont nettement professionnalisées ces dernières années, y compris au sein des petites et moyennes structures qui ont commencé à créer des postes dédiés assez récemment », souligne Karine Favreau, associée au sein du cabinet de chasseurs de têtes Fed Finance.
Longtemps, cette fonction a en effet été assurée par un ou plusieurs associés, avec l’appui du middle-office pour la réalisation des documentations et reporting. Mais la hausse des actifs sous gestion et la tendance pour les gérants à multiplier les stratégies (en LBO, capital-innovation, dette, etc.) ont conduit à une plus grande structuration. C’est ainsi que le fonds lower mid-cap MBO+ a décidé en 2019 de créer cette fonction, la confiant à Géraldine Lanthier, alors directrice de participations de son équipe d’investissement : « Les souscripteurs demandaient des informations de plus en plus qualitatives et transparentes, explique-t-elle. Les associés ont donc souhaité leur dédier des ressources afin de mieux répondre à leurs besoins. » Les exigences réglementaires de plus en plus nombreuses, combinées à une concurrence accrue entre les acteurs du private equity, n’ont fait qu’entretenir ce mouvement. « Les investisseurs institutionnels sont sursollicités aujourd’hui. En face, il est donc important que les fonds consolident leurs forces commerciales », ajoute Jean-Eudes Leleu.
Une mission au long cours
Convaincre des investisseurs institutionnels de souscrire au fonds est évidemment au cœur de la mission du responsable relations investisseurs. Un travail qui se concentre sur certaines périodes, puisque c’est généralement lorsqu’un véhicule est totalement investi que se lance officiellement la levée de son successeur. « La levée en tant que telle s’étale en moyenne sur une année, indique Géraldine Lanthier. Mais en amont, il y a a minima 18 mois de préparation. » Bien avant de frapper aux portes des souscripteurs potentiels, les LP, le responsable des relations-investisseurs doit, en lien avec la direction générale, définir toutes les caractéristiques du futur produit tant au niveau stratégique que financier : quelle est la typologie des entreprises visées, quelles sont les géographies couvertes, comment sont calculés les frais de gestion, etc. « Nous faisons également régulièrement un point avec l’équipe afin d’établir son track-record, et voir si des recrutements sont nécessaires » ajoute Géraldine Lanthier. Autant d’informations ensuite formalisées dans la documentation, l’objectif étant d’anticiper au maximum les futures questions des investisseurs démarchés.
Une fois le fonds levé, il s’agit ensuite d’informer régulièrement les investisseurs de son évolution. « C’est là toute la différence avec un agent de placement qui n’intervient que ponctuellement durant la commercialisation du fonds, souligne Jean-Eudes Leleu. Un responsable relations investisseurs suit un LP sur plusieurs années, et lui donne des informations au-delà du reporting trimestriel standard. » Envoi de newsletters, organisation de réunions collectives, ou encore rendez-vous individuels, tous les moyens sont bons pour entretenir la relation. Enfin, c’est également en dehors des périodes de levées que le responsable des relations investisseurs va s’atteler à la prospection. « Je rencontre régulièrement de nouveaux LP afin de leur présenter nos fonds, connaître leurs besoins et ainsi voir si nous pouvons y répondre, témoigne Géraldine Lanthier. Ces prises de contact s’inscrivent sur plusieurs années car créer de la confiance nécessite du temps. »
«La levée en tant que telle s’étale en moyenne sur une année, mais en amont, il y a a minima 18 mois de préparation.»
De nouveaux profils pour séduire la clientèle privée
Historiquement centrés sur les banques, les assureurs et autres institutionnels, les acteurs du private equity se sont depuis peu ouverts à la clientèle privée, de la famille fortunée à l’épargnant individuel, la loi Pacte de 2019 ayant rendu cette classe d’actifs éligible à l’assurance vie. Une évolution réglementaire qui incite les sociétés de gestion à recruter des profils dédiés au développement de partenariats avec les banques privées et conseillers en gestion de patrimoine (CGP). Tikehau Capital a par exemple récemment intégré une ancienne de BNP Paribas Wealth Management, Margaux Buridant, pour co-diriger l’activité private wealth solutions avec Célia Hamoum, qui évolue au sein de la structure depuis près de dix ans. Astorg a pour sa part recruté l’année dernière Joséphine Loréal, qui opérait auparavant au sein d’un autre fonds de private equity, Seven 2. Ce dernier a fait appel à Avidan Geissmann, un ancien du gestionnaire d’actifs Oddo BHF et de la société de gestion Andera Partners, aujourd’hui entouré de trois collaborateurs. « Servir des clients privés implique de définir une offre adaptée, relève le directeur distribution et partenariats de Seven 2. La classe d’actifs du private equity était, jusqu’à récemment, réservée aux institutionnels et aux clients fortunés dit “avertis”. L’une de nos premières missions consiste à structurer des produits qui répondent aux attentes des particuliers en termes de ticket et de liquidité notamment. » Pour cela, une veille à la fois concurrentielle et réglementaire est indispensable afin de suivre les évolutions du marché.
«Nous jouons un rôle important d’acculturation en présentant les différentes stratégies de private equity.»
La dimension commerciale visant à prospecter, puis suivre un réseau de distributeurs est également centrale. Mais à la différence de son homologue en charge des institutionnels, le responsable distribution doit, quant à lui, convaincre des intermédiaires pas toujours très aux faits des caractéristiques du private equity. « Si les banques privées et les grands conseillers en gestion de patrimoine ont une bonne connaissance du capital-investissement, cette classe d’actifs n’est pas systématiquement maîtrisée par les structures plus modestes, confie Avidan Geissmann. Nous jouons donc un rôle important d’acculturation en présentant les différentes stratégies de private equity via des outils marketing adaptés. » Un travail d’autant plus important que le marché des CGP est encore très atomisé : l’AMF recensait ainsi plus de 5 000 cabinets en 2021.
Qu’il travaille auprès de conseillers financiers ou d’investisseurs institutionnels, le responsable des relations investisseurs doit allier des compétences relationnelles et de communication afin de développer et d’entretenir son réseau de souscripteurs ou de partenaires. Ces qualités lui sont également utiles en interne afin de manager d’éventuels collaborateurs, et surtout pour faire le lien entre les différents départements. Opérant comme un chef de projet, il est quotidiennement en contact avec les équipes d’investissement, la direction générale, le middle-office ou encore la communication. Enfin, impossible de commercialiser un fonds sans une solide culture financière, sur le capital-investissement naturellement, mais aussi sur les autres classes d’actifs, afin de pouvoir positionner au mieux ses produits sur l’échiquier des investissements financiers.
Des professionnels aux profils variés
Anciens agents de placement, ex-commerciaux du secteur financier ou investisseurs reconvertis, les responsables des relations investisseurs ont des parcours assez variés. « Ils peuvent aussi venir du d’une société cotée à condition d’avoir un minimum de connaissance sur le private equity », note Karine Favreau, associée au sein du cabinet de chasseur de têtes Fed Finance. Les postes dédiés au développement de la clientèle privée sont quant à eux souvent confiés à des professionnels issus de l’asset management. « Le private equity représente aujourd’hui une toute petite part de l’épargne des Français, mais a un véritable potentiel de croissance, affirme Avidan Geissmann, directeur distribution et partenariats chez Seven 2. Les bons commerciaux l’ont compris et manifestent beaucoup d’intérêt pour la classe d’actifs. » Avidan Geissmann indique ne pas avoir eu de difficulté à recruter pour son équipe.
Les rémunérations, quant à elles, varient selon les années d’expérience, la taille de l’équipe et les montants des actifs sous gestion. A titre indicatif, la dernière étude Robert Walters indique une fourchette comprise entre 60 k€ et 80 k€ pour une personne bénéficiant de cinq à dix ans d’expérience, avec un salaire pouvant largement dépasser les 100 k€ pour les plus expérimentés. Ce salaire fixe est généralement associé à des bonus liés aux montants collectés, ainsi qu’à une part de carried interest, lui-même lié aux plus-values réalisées par le fonds.