Alors que l’appétence des épargnants pour les produits sécurisés mais peu performants a été maintes fois confirmée, la remontée des taux du livret A pourrait conduire certains à privilégier ce placement plutôt que l’épargne salariale, d’où l’importance de démontrer l’efficacité de ce dispositif et de construire une offre en adéquation avec les profils des épargnants.
Cabinet de conseil auprès des directions des ressources humaines dans les domaines de la santé et de la prévoyance, de la gestion des talents, de la retraite et de l’investissement, Mercer France, filiale de Marsh McLennan, publie depuis 2020 un baromètre dédié à la gestion financière de l’épargne en entreprise. Cette analyse offre un comparatif de la performance des fonds les plus distribués au sein de l’épargne salariale : 167 fonds et 9 classes d’actifs ont ainsi été passés au crible pour 2022.
« Dans les comités de suivi et les conseils de surveillance, les gestionnaires de fonds présentent leur performance comparée à celle d’un indice, explique Benjamin Sanson, Sales Leader Retraite et Investissement, chez Mercer France. Il nous semblait plus pertinent, pour évaluer le parcours d’un fonds, de le comparer à ses pairs. Cela nous permet également d’évaluer la pertinence des portefeuilles qui composent l’épargne salariale de nos clients et de les conseiller. » Mercer compte une équipe en charge du conseil en matière d’épargne retraite et salariale et une autre dédiée à l’investissement. Elles s’appuient notamment sur ce baromètre pour conseiller leurs clients. Ces derniers sont en grande majorité des filiales françaises de groupes internationaux, même si de plus en plus d’entreprises de taille moyenne, notamment en province, réévaluent ou lancent leur dispositif d’épargne salariale.
Les vertus de l’architecture ouverte
Si le baromètre établi par Mercer n’a pas pour objectif de pointer nommément les bons ou moins bons élèves de la place, il met en revanche en lumière plusieurs éléments clés pour une gestion performante. « Les chiffres prouvent qu’il existe des écarts majeurs de performance entre des fonds positionnés sur une même classe d’actifs », révèle Benjamin Sanson. Sur l’obligataire court terme, par exemple, le meilleur des fonds étudiés a enregistré un repli de 1,54 % sur l’année 2022, tandis que le moins performant a perdu 7,43 %. Il y avait encore plus à perdre sur l’obligataire moyen terme, puisque le fonds le moins impacté affiche une moins-value de 9,04 % tandis que celui affichant la pire performance chute de 18,61 %. Du côté des actions, l’écart est abyssal, les performances des fonds intégrant le panel de Mercer sont comprises entre – 5,45 % et – 28,67 %.
Pour la première fois cette année, Mercer a également comparé les performances en fonction de profils fictifs d’investisseurs disposant d’un capital investi de 30 000 €. Résultat, sur le très plébiscité segment des fonds diversifiés prudents, les écarts de performance atteignent 16 %. Les profils prêts à prendre plus de risques ne sont pas plus à l’abri, les écarts de rendement sur les fonds actions internationales dépassent 22 %. « Ceci démontre qu’aujourd’hui, pour obtenir les meilleures performances possibles, il n’est plus possible d’être chez un seul gestionnaire de fonds, au sein d’une offre 100 % packagée, souligne Benjamin Sanson. Sortir des offres packagées et recourir à une gestion financière en architecture ouverte constituent un vecteur de performance supplémentaire. »
Néanmoins, face à une certaine méconnaissance des produits financiers de la part de quelques épargnants, est-il indispensable de passer toute l’épargne salariale en architecture ouverte ? Benjamin Sanson répond par la négative. « L’architecture ouverte entraîne plus de frais, elle doit donc être réservée à quelques fonds, par exemple trois ou quatre sur une offre de huit fonds. Sur certains segments, cela ne s’avère pas particulièrement intéressant. » Il ne semble guère nécessaire en effet de proposer une offre en architecture ouverte pour les fonds monétaires, qui affichent des trajectoires de rendement très similaires. En revanche, comme le prouvent les chiffres du baromètre, sur les classes d’actifs obligataires et actions, il existe un intérêt financier à sortir des offres packagées. « Malheureusement, les gestionnaires ont tendance à ne pas toujours présenter cette option, qui est également peu connue de la part des entreprises. Il y a encore un effort de pédagogie à fournir sur ce sujet », précise Benjamin Sanson.
Optimiser les offres et la gestion
La question de la performance des fonds par classes d’actifs et par profil d’investisseur semble d’autant plus cruciale dans le contexte actuel. En effet, l’année 2021 a vraiment été la première à voir les dispositifs Pacte fonctionner à plein régime. Puis, dès 2022, les performances de l’épargne salariale ont été mises à mal par les marchés. « Il y a maintenant un important travail à faire auprès des entreprises et des salariés, si l’on ne veut pas que les épargnants débloquent leur épargne ou se reportent sur des placements tels que le Livret A qui, dans le même temps, ont vu leurs taux remonter, alerte Benjamin Sanson. Il faudra notamment accompagner les DRH, qui vont se trouver dans une situation difficile, entre des performances d’épargne salariale décevantes d’un côté et des inquiétudes fortes sur le pouvoir d’achat et l’inflation de l’autre. Les commissions de suivi vont nécessiter beaucoup de vigilance et de préparation. Il sera important de faire remonter les questions posées par les salariés et les organisations syndicales. L’épargne salariale est un dispositif de long terme et il serait dommageable qu’elle souffre d’un effet déceptif à cause des performances financières de 2022 », recommande le porte-parole de Mercer.
Questions à… Benjamin Sanson, sales leader retraite et investissement, Mercer France
Diplômé de l’ESA, Benjamin Sanson s’est spécialisé dans le conseil en épargne entreprise après une première expérience dans l’audit. Il rejoint Mercer en 2014 en tant que consultant, spécialiste de la retraite et de l’épargne salariale. Il accompagne aujourd’hui le développement commercial de l’ensemble des offres retraite et investissement de Mercer en France.
D’après vos observations, les fonds proposés en épargne salariale sont-ils adaptés au profil des salariés ?
En général non, notamment pour les dispositifs les plus anciens qui proposent entre quatre et six fonds classiques, sans réflexion sur les attentes et les besoins des salariés. Cela commence néanmoins à changer, car la loi Pacte a introduit du conseil et de l’intermédiation dans l’épargne salariale. Cette intermédiation a facilité l’émergence d’une gestion en architecture ouverte et a enrichi l’offre de fonds proposée aux salariés. On remarque d’ailleurs une appétence croissante pour des fonds de conviction, des fonds solidaires.
Quels sont les « indispensables » à retrouver dans une offre ?
On ne peut se passer du monétaire, pour des investisseurs prudents ou de court terme. Un fonds obligataire, dont l’horizon est à déterminer, est également nécessaire, ainsi qu’un fonds diversifié, qui se panache automatiquement entre du monétaire, de l’obligataire et des actions. Les purs fonds actions internationales sont en revanche moins recherchés. Il faut faire de la place à l’investissement thématique, par exemple sur le vieillissement de la population ou la transition énergétique, ainsi qu’aux fonds répondant à la quête de sens des salariés. Ils sont prêts à accepter moins de performances pour plus de sens.
Comment composer l’offre idéale ?
L’important est d’impliquer les partenaires sociaux dans le choix des fonds, de faire des propositions au CSE de l’entreprise. On peut commencer par réaliser un audit des dispositifs précédents, pour comprendre ce qui a ou non fonctionné, puis ouvrir les discussions avec les organismes syndicaux. Cette étroite collaboration ne doit pas s’arrêter à la sélection des fonds, mais se poursuivre ensuite dans le suivi de la performance. Ainsi, en cas de mauvaise performance d’un fonds, celle-ci est mieux comprise par toutes les parties prenantes et le choix est assumé, car les acteurs économiques et sociaux de l’entreprise y ont contribué. Cela sera d’autant plus important en période de volatilité des marchés.