Pour la Cour, un régime fiscal favorable bénéficiant par principe à l’ensemble des entreprises peut néanmoins se voir qualifié d’aide d’Etat incompatible avec le marché intérieur.
En 2001, l’Espagne a adopté une loi offrant la possibilité aux entreprises résidentes de déduire de leur assiette fiscale, au travers d’amortissements, la survaleur financière (càd., le « goodwill ») résultant d’une prise de participations d’au moins 5 % dans une société étrangère, à la condition de détenir ces participations pendant au moins un an. Un tel régime a permis à de nombreux groupes de réaliser des opérations de croissance externe très importantes. La Commission européenne a cependant considéré dès 2009 qu’un tel régime d’aides était incompatible avec le marché intérieur, enjoignant l’Espagne de récupérer les aides accordées (1).
Un rappel des principes gouvernant la qualification d’aides d’Etat…
Après un feuilleton judiciaire (2), la Cour de justice de l’Union européenne a été saisie une seconde fois du sujet. A cette occasion, elle confirme la position de la Commission tout en rappelant la méthodologie à appliquer pour caractériser une mesure nationale d’aide. Ainsi, et de jurisprudence constante, pour pouvoir être qualifiée de mesure fiscale nationale sélective, il y a lieu (i) d’identifier le régime fiscal de droit commun applicable, puis (ii) de rechercher si la mesure fiscale déroge au droit commun, en ce qu’elle introduit des différenciations entre des entreprises qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le régime fiscal de droit commun, dans une situation juridique et factuelle comparable, et, enfin, (iii) de vérifier si la différenciation en question est justifiée dès lors qu’elle résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel elle s’inscrit.
… appliquée par extension à un régime dérogatoire mais d’application générale
Mais, et c’est le point central et novateur du raisonnement, ne fait pas obstacle à une telle qualification de mesure sélective le fait que la législation bénéficie à l’ensemble des entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés, sous réserve de certains investissements. En d’autres termes, il importe peu que l’ensemble des entreprises puissent bénéficier du régime et que la mesure n’ait ab initio pas visé une catégorie spécifique d’entreprises.
Or, au cas particulier du « goodwill » espagnol, le régime dérogatoire introduisait bien une différence de traitement favorable aux seules entreprises prenant des participations dans des sociétés étrangères, contrairement à celles investissant dans des sociétés résidentes. Ce, alors même qu’elles se trouvaient, dans les deux cas, dans des situations comparables et qu’au surplus les sociétés résidentes pouvaient bénéficier d’un mécanisme d’amortissement du goodwill dans l’hypothèse de regroupements d’entreprises (fusion). En l’absence de justification adéquate, un tel régime ne pouvait donc être que qualifié d’aide d’Etat.
De telles décisions, si elles ne viennent que confirmer des positions antérieures, permettent néanmoins d’asseoir l’approche extensive retenue par le Tribunal de l’Union européenne et, partant, ouvrent clairement un champ plus important d’investigations de régimes fiscaux au regard de la conformité à la réglementation des aides d’Etat.
Reste, dorénavant, la question pratique de la récupération des aides accordées (3).
1. Décision 2011/5/CE de la Commission, du 28 oct. 2009 et décision 2011/5/CE de la Commission, du 28 oct. 2009 (amendée le 3 mars et le 26 nov. 2011).
2. Voir TUE 7 nov. 2014, T-219/10 et T-399/11 ; CJUE 21 déc. 2016, C-20/15 P et C-21/15 P ; TUE 15 nov. 2018, T-227/10, T-239/11, T-405/11, T-406/11, T-219/10 RENV et T-399/11 RENV ; CJUE 6 oct. 2021 affaires C-50/19 P, C-51/19 P, C-64/19 P, C-52/19 P, C-53/19 P, C-65/19 P, C-54/19 P, C-55/19.
3. Article 16 du règlement (UE) 2015/1589.