Définie comme l’affirmation des valeurs, par essence vertueuses, qui font l’identité d’une société et que celle-ci entend promouvoir durablement dans la réalisation de son objet social, la raison d’être figure désormais parmi les outils dont peuvent librement se doter les sociétés à l’effet de concilier les fonctions économique et sociétale de l’entreprise.
Qu’elle soit statutaire ou extrastatutaire, l’inscription d’une raison d’être peut incontestablement contribuer à l’attractivité d’une société, en lui permettant notamment d’attirer des partenaires et des salariés en phase avec les valeurs qu’elle affiche. Au nom d’une finance responsable, investisseurs et prêteurs exigent par exemple de plus en plus souvent des entreprises qu’elles financent des engagements concrets en matière de RSE, auxquels celles-ci doivent satisfaire afin de pouvoir drainer les capitaux nécessaires à leur développement.
Un acte juridiquement engageant
Le rapport Rocher du 19 octobre 2021 souligne cependant les réticences que peut susciter l’adoption d’une raison d’être, acte juridiquement engageant pour la société qui y procède. Dès lors qu’elle vise à améliorer la prise en compte des intérêts des parties prenantes (salariés, partenaires commerciaux et financiers, territoires, etc.) dans les activités de l’entreprise, et à définir un cadre pour ses décisions stratégiques les plus importantes, une société peut se voir opposer sa propre raison d’être. Elle s’expose donc à voir soulever (par des tiers parfois lointains tels que des ONG ou des associations de protection diverses) l’incompatibilité d’une opération à laquelle elle entend procéder avec sa raison d’être. Certaines opérations de fusion-acquisition peuvent ainsi s’en trouver impactées, par exemple lorsqu’une société cible sera jugée incompatible avec l’ADN du groupe acquéreur tel que celui-ci l’aura lui-même défini ou au contraire lorsqu’un cessionnaire sera considéré inapte à pérenniser post-cession la raison d’être du cédant. Les instances représentatives du personnel peuvent également se saisir de la raison d’être pour critiquer voire ralentir, au travers de procédures contentieuses, certaines opérations dans le cadre des procédures d’information-consultation auxquelles celles-ci donnent lieu. Nombre d’entreprises ont pressenti ces écueils en veillant à ce que leur raison d’être ne soit ni trop précise, ni trop contraignante, et/ou en refusant de la graver dans le marbre de leurs statuts.
Des freins identifiés
Autre frein à l’adoption d’une raison d’être : le risque juridique et de réputation qu’elle induit. En cas de manquement à sa raison d’être, résultant par exemple de l’insuffisance des moyens affectés au respect de celle-ci ou des orientations données par une entreprise à ses activités, une société (et en cas de faute détachable ses dirigeants) peut faire l’objet d’actions en responsabilité émanant de tiers justifiant d’un intérêt à agir. En outre, l’effet d’annonce produit par l’adoption d’une raison d’être peut, en cas de non-respect de celle-ci, caractériser une information trompeuse répréhensible en application du droit de la consommation et, pour les sociétés cotées, du droit boursier.
Deux recommandations formulées par le rapport Rocher tendent à renforcer les contraintes pesant sur les sociétés dotées d’une raison d’être statutaire. La première consisterait à conditionner une fraction - 20 % au moins - de la rémunération variable des salariés et dirigeants de ces sociétés (bonus annuels, intéressement, long term incentives) à des critères extra-financiers objectifs en lien avec la raison d’être. La seconde, destinée à prévenir les procès en « purpose washing », viserait à imposer à ces sociétés de rendre compte chaque année à leurs actionnaires, sur la base d’indicateurs pertinents, de la manière dont leur raison d’être a été effectivement déclinée dans la stratégie de l’entreprise et la conduite opérationnelle de ses activités.