«Une majorité de bailleurs a renoncé à percevoir les loyers, voire les charges, afférents à la période de fermeture administrative des locaux commerciaux.»
Par Chloé Strasser, avocat en droit immobilier. Elle assiste des investisseurs français et internationaux, des gestionnaires d’actifs et des promoteurs sur l’ensemble des aspects transactionnels et contentieux du droit immobilier. chloe.strasser@cms-fl.com
Face à la crise sanitaire provoquée par l’épidémie de Covid-19, le Gouvernement a adopté certaines mesures en vue d’endiguer la propagation du virus. Dans ce contexte, la fermeture des locaux commerciaux relevant de la catégorie M a notamment été ordonnée à compter du 15 mars 2020 et jusqu’au 10 mai 2020 inclus.
Pour accompagner cette cessation d’activité de la plupart des enseignes, le Gouvernement a également adopté des mesures de soutien aux entreprises. Deux ordonnances impactent les relations bailleur/preneur :
– une ordonnance interdisant aux bailleurs de mettre en œuvre les clauses résolutoires et les clauses de pénalité financières pendant la période d’état d’urgence sanitaire contre les preneurs éligibles au fond de solidarité ;
– une seconde ordonnance repoussant le délai d’acquisition des clauses résolutoires postérieurement à la date de fin d’état d’urgence sanitaire.
Les ordonnances n’ont donc pas instauré de dispositif de report ou d’étalement des loyers commerciaux. Toutefois, la cessation d’activité a suscité de la part des preneurs des demandes d’exonération du paiement du loyer, fondées notamment sur la force majeure, l’exception d’inexécution, l’imprévision, etc.
En pratique, la mise en œuvre de mesures d’accompagnement a été discutée de gré à gré entre les parties. Une majorité de bailleurs a renoncé à percevoir les loyers, voire les charges, afférents à la période de fermeture administrative des locaux commerciaux.
Au-delà de ces mesures temporaires, certains preneurs voudront faire baisser durablement leur loyer.
Le statut des baux commerciaux offre aux preneurs deux modes de révision :
– la révision dite triennale sur le fondement de l’article L.145-38 du Code de commerce qui peut être demandée trois ans après la dernière fixation du loyer, sous réserve de rapporter la preuve de deux conditions :
• une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ;
• une variation de plus de 10 % de la valeur locative à raison de ladite modification matérielle.
-– si le bail comporte une clause d’indexation, la révision sur le fondement de l’article L.145-39 du Code de commerce sous réserve de démontrer que, par le jeu de la clause d’indexation, le loyer a évolué de plus de 25 % par rapport au prix précédemment fixé.
Dans le cadre de la crise sanitaire actuelle, l’obligation de fermeture administrative des locaux commerciaux est un argument en faveur de la baisse de la valeur locative.
La valeur locative se détermine par comparaison avec les prix couramment pratiqués dans le secteur, étant précisé que c’est le loyer économique qui est pris en compte. Le loyer économique se calcule à partir du loyer facial auquel on retranche l’ensemble des mesures d’accompagnement comme la franchise de loyer, la mise en place d’un loyer progressif, la prise en charge par le bailleur de travaux d’aménagement du preneur, etc. En période de crise, celles-ci prennent d’autant plus d’importance.
Il convient toutefois de noter que toutes les valeurs locatives ne s’inscriront pas à la baisse. Certaines activités comme les supermarchés alimentaires ont enregistré des surperformances.
Outre la baisse de la valeur locative, il faudra également justifier d’une modification des facteurs locaux de commercialité, c’est-à-dire une modification de l’environnement commercial (facteurs géographique, démographique, accessibilité des locaux, etc.) au regard de l’activité considérée. La jurisprudence considère par exemple que la fermeture de boutiques accompagnée de la baisse des valeurs locatives constitue une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité. Aussi, une demande de révision triennale, dans un secteur où des preneurs rendent les clés et ou les cellules libérées sont recommercialisées à des valeurs inférieures, serait recevable.