«La principale interrogation nous paraissait être de savoir si ce régime est applicable lorsque l’acquisition du terrain ou de l’immeuble en vue de sa revente n’a pas supporté de TVA.»
Par Philippe Tournès, avocat associé en fiscalité. Il conseille et assiste les entreprises dans l’ensemble des sujets relatifs à la TVA, notamment liés à l’immobilier.
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Le champ d’application du régime de la TVA sur marge, en matière immobilière, comporte bon nombre d’incertitudes, notamment quant à la question de savoir si cette assiette dérogatoire est applicable lorsqu’un terrain partiellement bâti fait l’objet d’une division par lots avant sa revente, ou bien de travaux de viabilisation importants.
Mais, la principale interrogation nous paraissait être de savoir si ce régime est applicable lorsque l’acquisition du terrain ou de l’immeuble en vue de sa revente n’a pas supporté de TVA. En effet, la rédaction de l’article 392 de la directive TVA de 2006 («Les Etats membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n’a pas eu droit à déduction à l’occasion de l’acquisition, la base d’imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d’achat»), comporte une ambiguïté : un assujetti-revendeur qui n’a pas supporté de TVA lors de son acquisition peut-il bénéficier de la taxation sur la seule marge lors de la revente, ou bien l’application de ce texte suppose-t-elle que l’acquisition ait été grevée d’une TVA n’ayant pu être récupérée ?
A cette question, la cour administrative d’appel de Versailles a répondu, dans un arrêt du 19 octobre 2017 que, puisque l’article 392 autorise les Etats membres à prévoir que la TVA sur marge s’applique pour la livraison des terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n’a pas eu droit à la déduction à l’occasion de l’acquisition, tel est bien le cas en l’espèce en l’absence de tout paiement de taxe lors de l’achat.
Cet arrêt ayant fait l’objet d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat, au vu de la difficulté d’interprétation posée par le texte, a décidé par une décision du 25 juin 2020 de de saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) des questions préjudicielles suivantes :
– l’article 392 de la directive doit-il être interprété comme réservant l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons d’immeubles dont l’acquisition a été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée sans que l’assujetti qui les revend ait eu le droit d’opérer la déduction de cette taxe, ou permet-il d’appliquer ce régime à des opérations de livraisons d’immeubles dont l’acquisition n’a pas été soumise à cette taxe, soit parce que cette acquisition ne relève pas du champ d’application de celle-ci, soit parce que, tout en relevant de son champ, elle s’en trouve exonérée ? ;
– l’article 392 de la directive doit-il être interprété comme excluant l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons de terrains à bâtir dans les deux hypothèses
suivantes :
• lorsque ces terrains, acquis non bâtis, sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, des terrains à bâtir ;
• lorsque ces terrains ont fait l’objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles que leur division en lots ou la réalisation de travaux permettant leur desserte par divers réseaux (voirie, eau potable, électricité, gaz, assainissement, télécommunications) ?
Dans l’hypothèse où la CJUE répondrait que la TVA sur marge ne s’applique pas lorsque l’acquisition n’a pas supporté une TVA non récupérable, seraient affectés :
– d’une part, les particuliers et autres non assujettis à la TVA qui achètent des terrains à bâtir, puisque leurs acquisitions seraient grevées d’une TVA sur le prix total et non plus sur la seule marge, d’où un risque de renchérissement du prix des terrains à leur niveau puisqu’ils ne peuvent pas récupérer la TVA ;
– d’autre part, les collectivités locales qui, au lieu de percevoir des droits de mutation sur les terrains acquis par les non assujettis au taux de 5,80 % ne percevraient plus que la seule TPF (Taxe sur la Publicité Foncière) de 0,70 %.