La lettre de l'immobilier

Septembre 2018

Comptes-courants d’associés : une décision instructive sur la taxe de 3 % ?

Publié le 17 septembre 2018 à 14h55    Mis à jour le 17 septembre 2018 à 18h17

Richard Foissac

Les situations dans lesquelles le financement des actifs immobiliers des sociétés est assuré par les associés sont nombreuses. Néanmoins, les règles fiscales françaises n’ont que partiellement appréhendé cette situation et on peut considérer que les règles applicables n’ont pas modifié les pratiques.

Par Richard Foissac, avocat associé en fiscalité. Il traite notamment des dossiers d’acquisition et de restructuration de groupes immobiliers cotés ou non cotés et les conseille sur leurs opérations. Il est chargé d’enseignement en droit fiscal aux Universités Paris I et Nice Sophia-Antipolis. richard.foissac@cms-fl.com 

Un environnement législatif maitrisé

En matière d’impôt sur les sociétés, le dispositif tendant à combattre la sous-capitalisation a conduit les entreprises à moduler leurs financements. Mais il n’a pas conduit à supprimer les comptes-courants d’associés.

Par ailleurs, les nouvelles règles de l’impôt sur la fortune immobilière concernant les règles de valorisation des sociétés propriétaires d’immeubles (article 973 du Code général des impôts) ont pu laisser penser que les financements d’associés étaient condamnés. Mais le dispositif a prévu la possibilité pour les contribuables, soit de démontrer que les prêts n’ont pas été contractés dans un objectif principalement fiscal, soit de pouvoir justifier de leur caractère normal, notamment en matière de respect du terme des échéances, du montant et du caractère effectif des remboursements.

On peut en revanche noter que l’ancien article 885 ter du Code général des impôts relatif à l’ancien impôt de solidarité sur la fortune (ISF), aujourd’hui abrogé, ne contenait pas de mécanisme de réserve. Il prévoyait ainsi que les créances détenues, directement ou par l’intermédiaire d’une ou plusieurs sociétés interposées, par des personnes n’ayant pas leur domicile fiscal en France, sur une société à prépondérance immobilière n’étaient pas déductibles pour la détermination de la valeur des parts que ces personnes détenaient dans la société.

Ce dispositif réservé aux seuls non-résidents visait ainsi à «neutraliser» les comptes-courants d’associés pour la détermination de la valeur des sociétés à prépondérance immobilière française soumises à l’ISF.

Son objectif était de combattre «les schémas d’optimisation fiscale» par lesquels un contribuable était réputé réduire la valeur des parts servant de base à l’ISF par un financement en compte-courant alors que ce dernier bénéficiait de l’exonération des placements financiers des non-résidents.

Le législateur s’est ainsi intéressé à la situation des créances d’associés en les appréhendant soit sous l’angle de la déduction des intérêts, soit sous l’angle de la «nationalité» pour distinguer entre créances françaises ou étrangères, soit enfin sous l’angle de la valorisation des sociétés.

En revanche, on ne trouve pas de traitement spécifique des comptes-courants d’associés et, plus généralement, des créances intra-groupe dans l’appréciation de la prépondérance immobilière des sociétés. L’explication peut sembler résidée dans le seul fait qu’une créance, quand bien même elle serait détenue par un actionnaire direct ou indirect d’une société, ne constitue jamais un immeuble et ne peut dès lors que figurer au dénominateur, quel que soit l’impôt concerné, du ratio de prépondérance immobilière.

La notion de prépondérance immobilière existe en effet pour certains régimes d’imposition des plus-values de cession de titres, pour les droits de mutation à titre gratuit, pour l’ex-ISF ou bien encore pour la taxe de 3 % sur les immeubles détenus en France par les personnes morales. Pour apprécier si une société est ou non à prépondérance immobilière, il convient toujours de déterminer son ratio de prépondérance immobilière et ainsi les biens ou actifs de la société devant figurer respectivement au numérateur et au dénominateur du ratio de prépondérance immobilière.

S’agissant de la taxe de 3 % due sur les immeubles détenus en France, il faut constater l’absence de dispositions spécifiques concernant les comptes-courants d’associés, notamment s’agissant de l’exonération visant les sociétés qui ne sont pas à prépondérance immobilière.

L’article 990 E du Code général des impôts prévoit en effet que la taxe de 3 % n’est notamment pas applicable aux personnes morales, dont les actifs immobiliers, au sens de l’article 990 D, situés en France, représentent moins de 50 % des actifs français détenus directement ou par l’intermédiaire d’une ou plusieurs entités juridiques1.

Les commentaires de l’administration fiscale sous ce dispositif ne contiennent pas plus de précision sur les comptes-courants d’associés.

Une décision surprenante de la cour d’appel de Paris

La cour d’appel de Paris vient cependant de juger (n° 16/03476 du 7 mai 2018, pôle 5 - chambre 10) que ne doit pas être retenue au dénominateur du ratio de prépondérance immobilière d’une société qui contestait être placée dans le champ d’application de la taxe, une créance détenue indirectement sur sa sous-filiale immobilière française.

La situation était la suivante. Une société étrangère A détenait 50 % du capital d’une autre société étrangère B, laquelle détenait une société civile immobilière (SCI) française détentrice d’un immeuble français. La société B détenait des créances sur sa filiale SCI dont la valeur était supérieure à celle de l’immeuble détenue par la SCI.

L’administration fiscale considérait que la société A était redevable de la taxe de 3 % à raison de l’immeuble détenu par la SCI. La société A soutenait qu’elle n’était pas à prépondérance immobilière au motif que son ratio immobilier était inférieur à 50 %, dès lors que figurait au numérateur la valeur de l’immeuble, mais figurait aussi au dénominateur la même valeur d’immeuble et celle des comptes-courants précités.

La Cour d’appel2 a rejeté cette analyse en considérant que ce mode de calcul reviendrait à prendre deux fois en compte la valeur de l’immeuble, une première fois directement, une seconde fois par anticipation sur son prix de vente, car ce calcul procédait d’une approche purement théorique ne pouvant pas être retenu.

Dans l’affaire jugée, les comptes-courants étaient d’une valeur supérieure aux immeubles détenus, ce qui conférait à la SCI une valeur symbolique. Mais cette situation ne saurait justifier la solution retenue dès lors que le calcul du ratio de prépondérance immobilière ne prend pas en considération la valeur des sociétés interposées puisqu’il est opéré une consolidation des actifs immobiliers français, détenus directement ou indirectement, sans tenir compte de la valeur des sociétés interposées qui les détiennent mais dont alors la contrepartie est la même consolidation des actifs français non immobiliers.

On pourrait alors considérer que la cour d’appel de Paris a entendu finalement s’opposer aux situations dans lesquelles, en lieu et place d’un financement intégralement en fonds propres, il est préféré un financement mixte faisant intervenir des prêts d’associés. La loi fiscale n’interdisant pas cette mixité, l’Administration devrait, en principe, uniquement procéder par la voie de la requalification d’avances en capital, et encore, seulement dans des situations hautement critiquables. 

1. Pour l’application de cette disposition, ne sont pas inclus dans les actifs immobiliers les actifs, détenus directement ou indirectement, que les entités juridiques définies à l’article 990 D ou les entités juridiques interposées affectent directement ou indirectement à leur activité professionnelle autre qu’immobilière ou à celle d’une entité juridique avec laquelle elles ont un lien de dépendance au sens du 12 de l’article 39.

2.  Devant le tribunal de grande instance de Paris, l’administration fiscale avait soutenu sans succès que les créances en question avaient la nature de droits réels immobiliers.

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Au sommaire de la lettre


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Le prisme limité des couleurs fiscales des sociétés civiles immobilières

François Lacroix

Qu’un peintre pose sur sa palette les trois couleurs jaune, bleue et rouge, et il pourra composer par mélange toutes les nuances possibles ; mais qu’un opérateur immobilier attribue à sa société civile les trois activités fondamentales (location, construction-vente, ainsi que celle d’achat-revente en l’état relevant du régime des marchands de biens) et il ne pourra obtenir qu’une seule couleur fiscale, celle de l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés (IS), car les deux dernières des trois activités citées ne peuvent pas se combiner entre elles.

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