Le rapport au président accompagnant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 présentait la sécurité juridique comme le principal objectif poursuivi par cette dernière. Or, les nouvelles dispositions qu’elle introduit dans le Code civil concernant les règles de représentation rendent peu lisible le régime applicable en ce domaine aux personnes morales. C’est tout particulièrement le cas du nouvel article 1161 du Code civil prévoyant qu’«un représentant ne peut agir pour le compte de deux parties au contrat ni contracter pour son nom propre avec le représenté. En ces cas, l’acte accompli est nul à moins que la loi ne l’autorise ou que le représenté ne l’ait autorisé ou ratifié».
Par Christophe Lefaillet, avocat associé en fiscalité (droits d’enregistrement et ISF) et en Corporate/Fusions & acquisitions. Il intervient particulièrement dans les opérations de fusion-acquisition du secteur immobilier. christophe.lefaillet@cms-bfl.com et Julie Bailly, avocat en Corporate/Fusions & acquisitions. Elle intervient principalement sur des opérations de fusion-acquisition, de private equity et de restructuration de groupe de sociétés, tant sur le plan national qu’international. julie.bailly@cms-bfl.com
Les conventions visées par cet article étant fréquentes (notamment, conventions conclues entre sociétés appartenant à un même groupe ou conventions passées entre une société et ses représentants légaux), le praticien du droit des sociétés peut légitimement s’inquiéter de savoir si les dispositions de l’article 1161 leur seront applicables.
Pour cela, il convient de comprendre l’articulation de ces dispositions, d’ordre général, avec celles issues des droits spéciaux et, notamment, du droit des sociétés. En vertu de l’article 1105 nouveau du Code civil, les règles générales s’appliquent sous réserve des règles particulières à certains contrats. Or, l’application de ce principe à des situations qui, bien que traitées par le Code de commerce, ne le sont que partiellement, soulève des difficultés.
A cet égard, le sort des conventions dites réglementées est éloquent. En effet, il est aisément admis que les conventions passées entre une SA, une SAS, une SCA, une SARL ou une société civile ayant une activité économique, et l’un de ses dirigeants, se trouvent hors du champ d’application de l’article 1161, dans la mesure où leur conclusion est spécifiquement encadrée par le Code de commerce. En revanche, un certain nombre de situations sont exclues de cette procédure spécifique de contrôle des conventions réglementées, soit du fait de la forme sociale de la société concernée (SNC, SCS), soit du fait de la nature de la convention considérée (notamment, convention courante conclue à des conditions normales). Le silence du droit des sociétés sur ces conventions, dites libres, impose-t-il dès lors de les faire désormais autoriser ou ratifier ? La question est d’importance, l’inobservation de l’article 1161 étant sanctionnée par la nullité de la convention considérée.
Un contrôle et des sanctions inappropriées à des situations non porteuses de conflits d’intérêts
La solution consistant à appliquer les dispositions de l’article 1161 à ces conventions libres est incohérente à double titre. D’une part, elle impose, à des situations ne suscitant pas ou peu de conflits d’intérêts, une procédure de contrôle là où le droit spécial des sociétés faisait preuve d’une souplesse bienvenue. D’autre part, le droit spécial des sociétés permet de s’en tenir à une sanction moins radicale que la nullité, en ne mettant en jeu, dans certains cas, que la seule responsabilité des dirigeants, là où l’article 1161 sanctionne exclusivement par la nullité l’inobservation de la procédure qu’il prévoit ; et ce, alors que cette dernière ne serait alors appliquée qu’à des conventions emportant un moindre risque de conflit d’intérêts.
Une mise en œuvre absurde de la procédure d’autorisation
Enfin, le respect à la lettre de l’article 1161 rendrait absurde l’autorisation ou la ratification de conventions conclues par des sociétés n’ayant qu’un seul et même dirigeant. Dans une telle hypothèse, la conclusion du contrat nécessiterait en effet l’autorisation de chacun des représentés, lesquels ne sont justement représentés que par leur seul et unique représentant. Autrement dit, il faudrait que le représentant s’autorise lui-même à signer la convention. Toutefois, et compte tenu de la sanction encourue, la prudence conduira au respect des dispositions contestées, fussent-elles incohérentes.