L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations introduit dans le Code civil certaines dispositions qui affectent de manière substantielle les prérogatives du juge face au contrat.
Par Cécile Rebiffé, avocat en contentieux et arbitrage. Elle intervient dans tous types de contentieux en matière de droit des affaires (droit des contrats, droit de la responsabilité, droit des sociétés) et de droit pénal des affaires. cecile.rebiffe@cms-bfl.com et Anne Renard, avocat en contentieux et arbitrage. Elle intervient dans tous types de contentieux en droit civil et commercial, pour le compte de sociétés françaises et étrangères, et en droit pénal des affaires. anne.renard@cms-bfl.com
Des pouvoirs étendus…
Avec la réforme, le juge est désormais autorisé à modifier le contrat dans certaines circonstances, et non plus seulement à veiller à son respect ou à l’anéantir en cas d’inexécution ou s’il est vicié.
On pense bien sûr à la théorie de l’imprévision, consacrée par le nouvel article 1195 du Code civil. Ainsi, en cas de «changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat [qui] rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie», le juge pourra «réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe». Même si les cas d’application de ce texte devraient rester limités, le contenu du contrat peut échapper à la volonté des parties et être soumis à l’immixtion du juge.
Moins révolutionnaire mais tout aussi notable, l’article 1223 pourrait être interprété comme octroyant au juge une faculté de révision judiciaire du prix en cas d’exécution imparfaite du contrat. Il ne s’agirait alors plus seulement pour le juge d’allouer des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi mais d’une véritable réfaction judiciaire du prix.
Au-delà de ce bouleversement dans la conception même du rôle du juge, celui-ci se voit conférer des pouvoirs d’appréciation inédits quant au contenu du contrat. Il apparaît désormais comme garant de l’équilibre du contrat, en procédant dans certains cas à un contrôle de la proportionnalité et de l’absence de caractère abusif de certaines clauses, et en veillant à ce que le contrat soit négocié et formé de bonne foi (articles 1104, 1142, 1143, 1164, 1165, 1171 ou 1221).
Cet accroissement du rôle du juge est d’autant plus remarquable qu’il s’inscrit à rebours de l’objectif affiché par l’ordonnance de restreindre le recours aux tribunaux.
… qui laissent la part belle aux nouvelles prérogatives extrajudiciaires des parties
Les trois actions interrogatoires des articles 1123, 1158 et 1183, applicables aux contrats en cours depuis le 1er octobre 2016, s’inscrivent incontestablement dans l’objectif de prévenir le contentieux. Elles devraient en effet permettre aux parties de mettre fin à des incertitudes quant à la validité du contrat qu’elles ont conclu ou qu’elles s’apprêtent à conclure et de se prémunir ainsi d’une remise en cause judiciaire du contrat.
D’autres dispositions nouvelles tendent à résoudre le contentieux sans intervention du juge. Tel est le cas de :
- l’article 1178 qui permet aux parties de constater d’un commun accord la nullité du contrat ;
- l’article 1222 qui permet au créancier, en cas d’inexécution ou d’exécution imparfaite du contrat, de faire exécuter lui-même l’obligation par un tiers ;
- l’article 1226 qui consacre la faculté de résiliation unilatérale du contrat en cas d’inexécution grave des obligations de l’autre partie.
Dans ces hypothèses, l’intervention du juge ne disparaîtra pas nécessairement mais elle sera cantonnée à un contrôle a posteriori de la régularité des initiatives extrajudiciaires prises par les parties. La place laissée au juge serait toutefois non négligeable, puisque celui-ci devrait alors porter une appréciation sur certaines notions imprécises posées par les textes (caractère «raisonnable» des délais ou des coûts ; «proportion» des intérêts en cause ; etc.).
En définitive, il apparaît que l’évolution du rôle attribué au juge tend à réguler le contrat et à s’assurer de son équilibre économique, au-delà parfois de la volonté exprimée par les parties, et lui laisse une marge d’appréciation qui ne semble pas exactement conforme aux objectifs de sécurité juridique poursuivis par la réforme.
1. Directive 2004/39/CE du 21 avril 2004.