Pour certains services fiscaux, la franchise de loyers consentie en contrepartie d’un engagement ferme sur la durée du bail serait un leurre, cachant un paiement des loyers par compensation avec un service rendu par le locataire, consistant dans l’engagement pris sur la durée ferme supérieure au minimum légal. Cette théorie repose sur un fondement très discutable et met en danger la sécurité juridique établie jusqu’alors sur le sujet. Il est donc urgent de clarifier la situation.
Par Gaëtan Berger-Picq, avocat associé spécialisé dans les questions de TVA,
notamment liées à l’immobilier.
De nombreux baux commerciaux comportent une période initiale de franchise. Pourtant, certains services fiscaux estiment que cette franchise n’existe pas lorsqu’elle est accordée en contrepartie d’un engagement du locataire sur une durée ferme du bail (ce qui est souvent le cas). Il y aurait compensation entre les loyers et le prix, d’égal montant, d’une créance du locataire sur le bailleur, née du service que constituerait l’engagement ferme sur la durée du bail.
En découlent des rehaussements de TVA chez le bailleur qui n’a pas conscience d’avoir perçu des loyers sur la période de la franchise et chez le locataire qui n’a pas imaginé encaisser le prix d’un service taxable rendu au bailleur du seul fait de son engagement.
L’une des particularités des baux commerciaux réside dans l’article L. 145-4 du code de commerce qui prévoit qu’«à défaut de convention contraire», le preneur «a la faculté de donner congé à l’expiration d’une période triennale». Et puisque «le fait de s’obliger à ne pas faire ou à tolérer un acte ou une situation» est un service taxable à la TVA (article 256 IV du Code général des impôts), l’administration en déduit que le locataire qui accepte de renoncer à la faculté légale de résiliation triennale fournit un service au bailleur au sens de cette taxe.
Cette affirmation paraît pourtant hâtive, car elle omet de vérifier un point essentiel : pour renoncer à un droit, encore faut-il disposer de ce droit… Or, la possibilité de résiliation triennale par le locataire est exclue dès la conclusion du bail. Par conséquent, affirmer que le locataire renonce à son droit à la résiliation triennale suppose d’admettre que ce droit préexiste au bail, ce qui ne nous paraît pas aller de soi.
En effet, nous pensons que ce droit ne prend naissance qu’avec la conclusion du bail auquel il est susceptible de s’appliquer. S’il est exclu d’emblée, il n’a jamais existé autrement que virtuellement. La thèse de la compensation est en outre contraire à la jurisprudence de la CJUE selon laquelle un locataire qui s’engage, même moyennant paiement par le propriétaire, à devenir locataire et à payer le loyer ne fournit pas de service au propriétaire.
Comment expliquer alors que l’engagement de rester locataire puisse constituer un service au regard de la TVA, lorsque l’engagement de devenir locataire n’en est pas un ?
A supposer d’ailleurs qu’un tel service existe, son paiement par compensation avec une fraction des loyers supposerait encore que ce service soit distinct du bail.
En effet, si ce «service» n’est qu’un élément du bail, la notion de compensation avec le bail n’a aucun sens. Or, il n’est pas raisonnable de prétendre que le «service» de renonciation à la résiliation du bail a une existence autonome par rapport au bail. Il n’existe que par le bail et il n’est pas certain que le bail existerait sans cette renonciation.
Les faiblesses de la thèse de la compensation sont d’autant plus regrettables qu’elle crée une insécurité majeure sur l’ensemble des baux commerciaux en cours d’existence ou de négociation. Il est donc temps d’arrêter l’expérimentation dont les assujettis sont les victimes, car au bout du compte, la franchise de loyers paraît bien n’être que la réduction de loyers que tout le monde voyait jusqu’alors.