Le crowdfunding a enregistré sa plus grosse croissance en volume de fonds collectés dans le secteur immobilier en 2018. Les promoteurs immobiliers, soumis au durcissement des conditions de prêt, le considèrent comme une source de financement alternatif pour renforcer leurs fonds propres. Les investisseurs qui plébiscitent la pierre y voient un placement à court terme et facile d’accès qui affiche une rentabilité attractive. Analyse des dernières réformes règlementaires et fiscales qui impactent ce financement d’avenir.
Par Jérôme Sutour, avocat associé, responsable de l’équipe services financiers et Stéphanie Némarq-Attias, avocat en fiscalité
Le crowdfunding immobilier consiste en la mise en commun de fonds par des personnes physiques et/ou des personnes morales (de droit privé ou public), au travers d’une plate-forme Internet spécialisée, dans le but de financer un projet immobilier. Il couvre plusieurs régimes juridiques et répond à des règles fiscales correspondant à chacun d’eux.
En ce qui concerne les supports d’investissement, le promoteur peut avoir recours à des outils de type «dette», sous forme d’obligations. A la signature du contrat, l’investisseur et le porteur de projet ont connaissance d’un échéancier de remboursement et du taux d’intérêt prévu. L’investissement peut aussi prendre la forme d’une souscription d’actions, le rendement sera alors fonction des performances de l’entreprise. On peut donc légitimement s’interroger sur l’unicité des régimes fiscaux applicables aux gains et aux pertes de ces deux formes de crowdfunding immobilier.
Selon le modèle proposé, l’investisseur peut espérer percevoir, une fois le projet livré et vendu (en moyenne au bout de douze à trente-six mois), soit le remboursement in fine du capital investi et des intérêts liés à ses obligations, soit une plus-value de cession de ses actions et, éventuellement, des dividendes. Dans les deux cas, l’investisseur supporte le risque de perdre tout ou partie du capital investi en cas de faillite.
Plus récemment, certaines plates-formes ont entrepris de proposer aux investisseurs de devenir actionnaires de sociétés foncières qui réalisent des investissements locatifs et d’être rémunérés grâce aux loyers générés, la plate-forme s’occupant des aspects administratifs. Ce crowdinvesting se rapproche conceptuellement de la «pierre-papier» de type SCPI (société civile de placement immobilier) qui entre dans l’assiette de l’impôt sur la fortune immobilière. Ici, on peut observer que certaines opérations de crowdfunding sont susceptibles de relever d’une qualification de fonds d’investissements alternatifs requérant un agrément spécifique par rapport au régime «classique» de ce type d’opérations.
Une règlementation en constante évolution
Si l’organisation de l’activité de crowdfunding repose sur une exception nationale au régime de l’offre au public, permettant aux offres de titres financiers, par le biais de plates-formes agréées, d’être réalisées sans l’établissement d’un prospectus d’offre, l’intérêt de ce régime spécifique peut apparaître moins évident que par le passé depuis que le règlement Prospectus1 autorise la réalisation d’offres de titres financiers jusqu’à 8 millions d’euros, offres pour lesquelles l’établissement d’un prospectus visé par l’Autorité des marchés financiers ne serait pas requis. Cette avancée laisse toutefois entière l’interdiction de réaliser des offres de titres financiers par le biais de démarchages en l’absence d’un tel prospectus, difficulté qui est «contournée» dans le régime classique du crowdfunding par le biais des plates-formes.
Par ailleurs, on peut noter que le crowdfunding fait actuellement l’objet d’un projet de règlement au niveau européen2 et que les opérations de levée de capitaux, qu’il s’agisse de securities tokens offering ou d’utility tokens, peuvent apparaître comme une alternative aux formes classiques de crowdfunding.
La fiscalité des gains issus du crowdfunding immobilier
La première question pour déterminer le régime fiscal applicable aux gains est celle de la nature du produit : financière ou immobilière. Cette préoccupation est d’autant plus prégnante que ce nouveau mode de financement est en mutation, avec l’apparition du crowdfunding immobilier locatif dont les rendements pourraient être couplés aux loyers perçus.
La fiscalité des gains dépend nécessairement du type de structuration juridico-financière mise en place par le promoteur et la plate-forme. Si l’investissement se matérialise toujours sous la forme d’une souscription de titres de sociétés non cotées, plusieurs montages sont possibles. Les plus utilisés sont :
-– la prise de capital dans une holding qui prend des parts dans une société civile de construction-vente (SCCV), ce qui présente l’avantage pour l’investisseur de ne pas être solidairement responsable des dettes de la SCCV ;
-– la souscription d’obligations auprès d’une holding qui détient des parts dans une SCCV ; ou
-– la souscription d’obligations auprès d’une société par actions simplifiée (SAS) qui se charge de la gestion du chantier et de la promotion du projet immobilier.
Les produits du crowdfunding immobilier - qu’ils soient issus d’actions ou d’obligations - ont donc une nature mobilière. Chez les personnes morales, les gains comme les pertes sont intégrés au résultat imposable et imposés en fonction du régime fiscal de l’entité. Chez les particuliers, ces gains entrent dans le champ de la taxation forfaitaire. Depuis le 1er janvier 2018, l’investisseur en crowdfunding immobilier a donc le choix entre deux modes d’imposition de ses gains : le prélèvement forfaitaire unique de 30 % (PFU ou flat tax), ou bien l’application du barème progressif de l’impôt sur le revenu, dans le cadre d’une option globale visant tous ses revenus de capitaux mobiliers et toutes ses plus-values mobilières de l’année. Les foyers redevables de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR de 3 % ou 4 %) doivent garder à l’esprit que cette contribution s’ajoute au prélèvement de 30 %.
Des précisions attendues sur le traitement fiscal des pertes
La loi de finances rectificative pour 2015 a prévu que la perte en capital subie par des particuliers en cas de non-remboursement d’un prêt consenti dans le cadre d’un financement participatif est imputable sur les intérêts produits par des prêts de même nature au cours de la même année ou des cinq années suivantes.
Le crowdfunding immobilier sous forme de souscription en actions ne relève pas de ce dispositif codifié à l’article 125-00 A du Code général des impôts. Quid du crowdfunding immobilier lorsqu’il est structuré sous la forme d’une émission obligataire qui génère des intérêts comme un prêt ? Il serait opportun que l’Administration (ou le législateur) se prononce sur le traitement de ces pertes avant la prochaine campagne déclarative.
Vers une ouverture à de nouveaux avantages fiscaux
La plupart des investissements en equity crowdfunding3 sont éligibles à des avantages fiscaux dès lors qu’ils représentent un investissement au capital de PME (le dispositif «Madelin», par exemple). Le crowdfunding immobilier serait donc également éligible à condition que le support financier retenu soit la souscription d’actions, et non d’obligations.
En outre, il est prévu, dans le projet de loi PACTE4 en cours de débat parlementaire, d’ouvrir le PEA-PME aux obligations à taux fixe, aux actions et aux minibons acquis par le biais de plates-formes de financement participatif. De fait, le législateur intègre de plus en plus ces nouveaux outils d’investissement dans notre corpus légal.