«Le Conseil d’Etat a confirmé que, même légalement dues par les SCI cédantes, ces impositions n’en étaient pas moins propres à leurs associés concernés.»
par François Lacroix, avocat associé en fiscalité
En guise de bilan de cette année 2018, examinons ensemble deux décisions invitant les sociétés immobilières non soumises à l’impôt sur les sociétés (IS) et leurs associés à méditer sur les citations qu’elles illustrent.
«Le plus grand péril se trouve au moment de la victoire» : une citation de Napoléon Bonaparte qu’aurait pu s’approprier la société civile immobilière (SCI) ESPM. Alors que son objet statutaire (propriété, administration et exploitation par bail ou location de biens immobiliers) aurait dû la préserver de l’IS, ses sept achats et reventes immobiliers en 2008 et 2009 ont conduit la cour administrative d’appel de Bordeaux à la qualifier, le 25 septembre 2018, de «marchande de biens» et à la soumettre à l’IS.
Pour 2010, l’Administration entendait la traiter identiquement malgré qu’aucune nouvelle vente ne soit intervenue ; mais le juge a donné raison à la SCI, qui plaidait que l’intention spéculative du contribuable doit s’apprécier année par année.
Victorieuse pour 2010, la SCI a donc obtenu de n’être plus soumise à l’IS, sans peut-être avoir pleinement mesuré les effets néfastes de sa demande. En effet, à chacun des allers et retours d’une SCI entre les deux régimes d’imposition est attachée une imposition immédiate des plus-values latentes de tous les immeubles sociaux (et, au «retour» celle des réserves constatées et latentes), de sorte que l’ampleur des conséquences financières induites par une sortie du régime de l’IS conduit parfois à préférer opter pour y demeurer soumis. L’articulation entre les deux régimes (IS et non IS) constitue un mécanisme d’horlogerie, qui commande d’identifier préalablement toutes les conséquences attachées aux opérations que pourraient réaliser les SCI.
«Le diable est dans les détails», aurait dit Nietzsche. C’est la maxime que conserveront à l’esprit les SCI non soumises à l’IS et qui ont cédé un immeuble. Depuis 2004, la SCI cédante doit, dans le mois de l’acte de vente, s’acquitter de certains impôts (notamment, un prélèvement libératoire de l’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux) dus si une fraction de plus-value est soumise au régime des particuliers.
Or, le 11 avril 2018, le Conseil d’Etat a confirmé que, même légalement dues par les SCI cédantes, ces impositions n’en étaient pas moins propres à leurs associés concernés.
Certes, cette décision s’emboite parfaitement dans le constat traditionnel que les impôts dus sur les résultats de sociétés non soumises à l’IS sont personnels à leurs associés et ne constituent pas des dettes sociales.
Mais elle doit conduire les associés et dirigeants de ces sociétés à descendre dans le «détail» des conséquences juridiques, et donc comptables, y afférentes :
– tout d’abord, n’étant pas celles de la société, ces impositions ne constitueront pas une charge réduisant son résultat ; c’est par un débit du compte courant des associés concernés qu’elles seront constatées ;
– ensuite, créancière de l’associé, la société pourra éventuellement être en proie aux affres de la gestion fiscale (voire, juridique) des comptes courants débiteurs : pallier cette difficulté impliquera que, à concurrence du montant des impositions dues, elle ait préalablement identifié ses besoins en trésorerie et provoqué des décisions des organes sociaux décidant du versement d’acomptes sur résultat, ainsi qu’une distribution ultérieure de dividendes ;
– enfin, d’autres taxes pourraient être similairement dues au cas d’associés particuliers (la taxe sur certaines plus-values élevées, et celles sur les cessions de terrains nus devenus constructibles) : or pour ces trois taxes, la doctrine administrative qualifie toujours de redevables les sociétés cédantes non soumises à l’IS.
Décidément, des «détails» restent encore à «dédiaboliser» !