L’impôt sur la fortune immobilière (IFI), adopté par l’Assemblée nationale, présente de nombreuses similitudes par rapport à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), s’agissant du patrimoine immobilier à retenir, sauf que les règles de déduction des dettes du contribuable sont en revanche profondément modifiées.
Par Christophe Frionnet, avocat associé en fiscalité. Il conseille notamment les entreprises dans l’ensemble de leurs opérations. Il est chargé d’enseignement en matière de fiscalité immobilière à l’Université Paris I. christophe.frionnet@cms-bfl.com
Si, pour les actifs à retenir, il est bien prévu de prendre l’intégralité des biens ou droits de nature immobilière, en l’état actuel du projet de loi, les dettes immobilières pourraient n’être retenues que partiellement.
La redéfinition des dettes déductibles
En matière d’ISF, le patrimoine imposable était déterminé après déduction des dettes grevant son patrimoine au 1er janvier de l’année d’imposition, à sa charge personnelle et justifiées par lui. L’IFI quant à lui ne permettra la déduction que des dettes afférentes à des actifs imposables, existantes au 1er janvier de l’année d’imposition et effectivement supportées par le redevable.
Sont déductibles les dettes afférentes aux dépenses d’acquisition des biens ou droits immobiliers, aux dépenses d’amélioration, de construction, de reconstruction ou d’agrandissement ainsi qu’aux dépenses de réparation et d’entretien de ces mêmes biens.
En ce qui concerne la déductibilité des impôts, l’ISF permettait la déduction de tous ceux dont le fait générateur se situait au plus tard au 1er janvier de l’année d’imposition et qui restaient à payer à cette date. De ce fait, l’ISF était lui-même déductible. L’IFI restreint la liste des impôts déductibles en prévoyant que seuls sont déductibles les impôts dus «à raison de la propriété des biens», notamment la taxe foncière et la taxe sur les locaux vacants. La taxe d’habitation ainsi que les impositions dues au titre de l’exploitation du bien immobilier ne seraient donc pas déductibles. Même si ce point n’est pas précisé par le texte, la déductibilité de l’IFI de sa propre base de calcul devrait logiquement être admise dès lors que cet impôt sera bien dû «à raison desdites propriétés».
L’exclusion de certains prêts
Ne pourront être déduits les prêts contractés directement ou indirectement auprès d’un membre du foyer fiscal ou du groupe familial (sauf s’il est justifié du caractère normal des conditions du prêt) ainsi que les prêts contractés auprès d’une société contrôlée directement ou indirectement par l’un des membres du groupe familial.
Enfin, pour valoriser les parts de société détenant des biens immobiliers, certaines dettes contractées directement ou indirectement par la société ne seront pas prises en compte. La non-déductibilité pourra toutefois être évitée si le contribuable justifie du caractère normal des conditions du prêt et notamment du respect des échéances, du montant et du caractère effectif du remboursement. On peut néanmoins craindre que le texte ne laisse ici à l’Administration une marge d’interprétation trop importante.
Le traitement des prêts in fine
Les dettes nées d’un prêt in fine ne seront que partiellement déductibles. Le contribuable devra établir des annuités théoriques en divisant le montant de l’emprunt par le nombre total d’années de l’emprunt. Seule la somme de ces annuités correspondant au nombre d’années restant à courir jusqu’au terme prévu sera déductible. On peut légitimement s’interroger sur l’absence totale de mesures de souplesse, notamment lorsque les caractéristiques de ce prêt ont pour objet de prendre en compte les capacités évolutives de remboursement d’un emprunteur.
La création d’un plafond de déduction
L’IFI intègre un mécanisme de plafonnement du passif déductible. Lorsque la valeur du patrimoine taxable est supérieure à 5 millions d’euros et que le montant des dettes excède 60 % de ce patrimoine, la fraction des dettes excédant cette limite (de 60 %) ne sera déductible qu’à hauteur de la moitié de cet excédent.
Exemple : un contribuable dispose d’un patrimoine imposable de 10 millions d’euros. Le montant total de ses dettes déductibles est de 8 millions d’euros, soit plus de 60 % de la valeur des actifs. En vertu du plafonnement (son patrimoine étant supérieur à 5 millions d’euros), son passif déductible sera donc limité à : 6 M + [50 % (8 M – 6 M)] = 7 millions d’euros (au lieu de 8 millions d’euros).
Ce dispositif introduit un véritable effet de seuil autour d’un patrimoine égal à 5 millions d’euros. Celui-ci – non assorti du moindre lissage – suscite l’interrogation à la lumière des principes de proportionnalité et d’égalité devant l’impôt. En effet, un contribuable avec un patrimoine imposable de 4,9 millions d’euros et un passif déductible de 4,9 millions d’euros aurait un patrimoine net taxable égal à 0 alors que celui dont la valeur des biens imposables est de 5,1 millions d’euros avec un passif de 4,9 millions d’euros aurait un patrimoine taxable de 1,12 million d’euros !
Sans oublier quelques points à éclaircir
Le rachat de prêt
Le prêt issu du rachat du prêt immobilier du contribuable par un autre établissement de crédit entre-t-il dans le passif déductible du contribuable ?
La réponse, non tranchée dans le projet de loi, devrait naturellement être positive dès lors que cet emprunt est afférent au bien immobilier imposable mais il serait préférable que le texte soit plus explicite.
La solution apparaît plus incertaine dans le cadre de la souscription par le contribuable d’un prêt qui, sans constituer un rachat du prêt immobilier, est affecté au remboursement du prêt immobilier initial. Ce prêt, en l’état actuel du texte, ne serait pas déductible dès lors qu’il ne serait pas afférent à un actif imposable.
Cela reviendrait donc à opérer une distinction entre des contribuables pourtant placés dans la même situation.
La constitution d’une hypothèque sur un bien immobilier imposable
Pour garantir un prêt non immobilier – par exemple dans le cadre de son activité professionnelle – un entrepreneur est amené à apporter en garantie un bien immobilier personnel. Il en va de l’avenir de son investissement «productif». Or, on sait que le projet de texte de loi ne permettra pas la prise en compte du passif résultant de l’emprunt et on pourrait craindre que l’Administration n’admette pas la prise en compte d’une décote pour apprécier la valeur vénale du bien immobilier.
Si l’Administration raisonnait de la sorte, ce contribuable – en tant que redevable de l’IFI – serait traité de la même façon qu’un propriétaire – non endetté – d’un bien foncier de même valeur, ce qui pourrait apparaître comme non conforme à l’objectif initial du dispositif. Il serait équitable que le législateur, voire l’Administration dans ses futurs commentaires, permette la prise en compte du prêt à hauteur de l’hypothèque consentie.
Les prêts adossés
Il est courant que pour présenter des taux moyens compétitifs, des banques proposent, pour un même investissement, plusieurs prêts adossés dont certains ont un remboursement progressif voire différé.
Ce type de prêt pourrait soulever des interrogations notamment du fait du traitement particulier qui est réservé aux prêts in fine même si strictement, quand on fait masse des différents prêts qui le composent, il ne devrait pas pouvoir y être assimilé.
Il serait utile que le législateur ou l’Administration clarifient le point en écartant la prise en compte nécessairement linéaire du ou des prêts à remboursement différé prévus pour ce type d’emprunt.
Il est encore ici difficile de comprendre la justification de la distorsion à laquelle le projet de loi aboutirait selon la typologie et le niveau des dettes immobilières contractées. Et il reste encore quelques semaines au Parlement pour rectifier la donne. A défaut, faudra-t-il compter sur la vigilance du Conseil constitutionnel ? Il y a fort à parier que nombreux seront ceux qui pourraient trouver légitime de lui signaler tout ou partie des déséquilibres constatés.