La loi de finances pour 2018 a prévu de remplacer l’actuel impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par un impôt sur la fortune immobilière (IFI), dont l’assiette serait limitée aux actifs immobiliers détenus par le contribuable au 1er janvier de chaque année.
Par Richard Foissac, avocat associé en fiscalité. Il traite notamment des dossiers d’acquisition et de restructuration de groupes immobiliers cotés ou non cotés et les conseille sur leurs opérations. Il est chargé d’enseignement en droit fiscal aux Universités Paris I et Nice Sophia-Antipolis. richard.foissac@cms-bfl.com et Julien Saïac, avocat associé en fiscalité. Il traite plus particulièrement des questions relatives aux restructurations internationales et aux investissements immobiliers. julien.saiac@cms-bfl.com
Le nouveau dispositif décevra ceux des contribuables qui s’attendaient à une assiette simple purement immobilière tant le projet de texte élargit la notion d’actifs immobiliers détenus. Il aggrave également la situation des non-résidents ne bénéficiant pas d’une convention fiscale.
Comme pour l’ISF, seuls seraient taxables les patrimoines nets excédant un seuil de 1,3 million d’euros.
Une définition large des biens immobiliers
Le législateur a souhaité assujettir au nouvel impôt l’ensemble des biens et droits immobiliers, détenus directement ou indirectement. C’est dans la définition de la détention d’immeubles que le nouveau dispositif suscite le plus de surprises et de difficultés.
Sont ainsi visés, en l’état du projet de loi de finances adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, non seulement les actifs immobiliers eux-mêmes détenus par le redevable, mais également les immeubles détenus indirectement, et ce quel que soit le nombre de sociétés ou d’entités interposées, leur nationalité, le fait qu’elles soient ou non à prépondérance immobilière et le fait qu’elles soient ou non cotées sur un marché français ou étranger.
Sont également visés les actifs immobiliers faisant l’objet d’un contrat de crédit-bail ou d’un contrat de location-accession à la propriété immobilière qui seraient ainsi compris dans le patrimoine imposable du preneur (ou de l’accédant) pour une valeur égale à la valeur du bien immobilier réduite des loyers ou redevances restant à courir jusqu’à l’expiration du bail ou du terme prévu pour la levée d’option ainsi que du montant de l’option d’achat.
Le texte dans sa rédaction actuelle vise aussi bien les contrats de crédit-bail immobilier (CBI) directement détenus par le redevable de l’IFI que ceux détenus indirectement via une société interposée1.
Enfin, le législateur a même prévu de retenir dans l’assiette de l’IFI la fraction de la valeur de rachat des contrats d’assurance-vie rachetables exprimés en unités de compte, représentative des actifs immobiliers tels que définis ci-avant compris dans les unités de compte.
Il conviendra de définir le champ d’application des contrats, français et/ou étrangers, et la notion de contrats rachetables, au regard notamment de la jurisprudence déjà existante sur cette question en matière d’ISF.
De la même façon que pour les contrats de crédit-bail immobilier, le législateur entend donc imposer des immeubles qui n’appartiennent ni directement ni indirectement au redevable de l’IFI. Il est ainsi vraisemblable, compte tenu de l’objectif de l’IFI, que ces dispositions seront appelées à être examinées par le Conseil constitutionnel.
La loi a cependant prévu deux types d’exclusion.
. Une exclusion générale pour les immeubles appartenant à des sociétés ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale dont le redevable détient directement ou indirectement moins de 10 % du capital ou des droits de vote, l’appréciation de ce seuil se faisant au niveau du foyer fiscal.
La question de l’inclusion des titres de sociétés cotées se pose, notamment pour les sociétés d’investissement immobilier cotées (SIIC), qui pourraient le cas échéant revendiquer l’exercice d’une activité commerciale2. La loi prévoit ainsi que sont considérées comme des activités commerciales les activités des sociétés holdings dites «animatrices» qui, outre la gestion d’un portefeuille de participations, contribuent activement à la conduite de la politique de leur groupe et au contrôle de leurs filiales. En revanche, est expressément exclue l’activité de gestion par une société de son propre patrimoine immobilier.
A noter que, par voie d’amendement, ont été exclues du champ de l’IFI les participations de moins de 10 % dans des organismes de placement collectif (OPC) qui ne sont pas réservés à moins de 20 investisseurs, toutefois seulement lorsque l’actif dudit OPC est composé, directement ou indirectement, de moins de 20 % de biens immobiliers imposables, ce qui ne constitue pas une réponse aux détentions de parts d’OPCI ou de SIIC.
. Une exclusion de ceux des biens immobiliers qui sont affectés par la société qui les détient à sa propre activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Seraient également visés les immeubles détenus par une filiale ou une sous-filiale de la société dont les titres sont détenus par le contribuable. En outre, les biens immobiliers affectés par une société à l’activité d’une autre société du même groupe seraient également exclus de la base imposable, à condition toutefois que l’activité de la société dans laquelle le redevable détient ses titres soit elle-même opérationnelle.
Enfin, le texte maintient un cas d’exonération des immeubles liée à l’exercice par le redevable d’une activité professionnelle au sens des biens professionnels de l’ISF lorsque les immeubles sont détenus dans le patrimoine privé et donnés à bail à la société d’exploitation. Pour déterminer la fraction de la valeur représentative de biens immobiliers à hauteur de laquelle le contribuable est taxable en cas de détention par société interposée, le législateur est venu préciser, par voie d’amendement, qu’il fallait appliquer à la valeur des parts «un coefficient correspondant au rapport existant entre, d’une part, la valeur vénale réelle des biens ou droits immobiliers imposables (…) et d’autre part, la valeur vénale réelle de l’ensemble des actifs de la société.»
La valeur des parts des sociétés interposées dépendra notamment des modalités complexes de prise en compte du passif à chaque niveau3.
Enfin, s’agissant des fiducies et des trusts, les règles actuellement en vigueur pour l’ISF seraient reprises à l’identique pour l’IFI. Ainsi, les biens immobiliers mis en trust demeureraient imposables chez le constituant (ou chez le bénéficiaire réputé être constituant après le décès du constituant) pour leur valeur vénale au 1er janvier.
Un champ d’application territorial classique
Les personnes physiques résidentes de France seraient soumises à l’IFI à raison de leurs actifs immobiliers tels que définis ci-avant situés en France et à l’étranger.
Cependant, les personnes qui n’ont pas été fiscalement domiciliées en France au cours des cinq années civiles précédant celle de leur installation en France ne seraient imposables que sur leurs actifs immobiliers français, et ce pendant cinq ans (précisément, jusqu’au 31 décembre de la 5e année suivant celle du transfert de résidence en France). Il s’agit là d’une reprise de la règle qui existait déjà en matière d’ISF4. La question se pose cependant des impatriés déjà rentrés compte tenu de la modification de la définition des biens immobiliers français.
Les non-résidents ne seraient quant à eux assujettis à l’IFI qu’à raison des biens immobiliers situés en France tels que définis ci-avant.
Hors convention fiscale, l’assiette est indiscutablement plus large. Outre le cas des contrats de CBI et des contrats d’assurance-vie rachetables, le nouveau dispositif abroge en effet l’article 885 L du Code général des impôts qui permettait d’imposer les immeubles détenus par des sociétés qui n’étaient pas à prépondérance immobilière française uniquement lorsque les actionnaires détenaient, avec leur groupe familial, le contrôle de ces sociétés.
Il s’agit ici d’une différence fondamentale, dans la mesure où n’entraient dans le champ de l’ISF que les biens immobiliers détenus indirectement par des sociétés contrôlées à plus de 50 % par le groupe familial (lorsque celles-ci n’étaient pas à prépondérance immobilière française), alors que, dans le cadre de l’IFI, le seuil a été abaissé à 10 %, et encore pour les seules sociétés ayant une «activité professionnelle».
Ces nouvelles règles d’assiette ne peuvent toutefois trouver à s’appliquer que sous réserve des dispositions des conventions fiscales signées par la France. A cet égard, on peut penser que les conventions actuelles visant l’ISF ont vocation à couvrir l’IFI, dans la mesure où elles s’appliquent en principe à tout impôt analogue ou semblable qui pourrait être institué après leur signature. Or, les conventions fiscales prévoient généralement que les biens immobiliers sont imposables dans le pays où ils sont situés. Il en est souvent de même pour les titres de sociétés dont l’actif est principalement constitué d’immeubles situés dans ce pays (cas des sociétés à prépondérance immobilière). En revanche, les biens immobiliers détenus indirectement par une société détenue à plus de 10 % ne sont pas visés par les dispositions conventionnelles et devraient normalement être couverts par la clause «balai» qui renvoie au pays de résidence du contribuable le droit d’imposer les éléments de fortune non visés spécifiquement. Il en est ainsi par exemple de la convention fiscale franco-allemande (article 19) ou de la convention fiscale franco-américaine (article 23), même si, dans ce dernier cas, la présence d’une clause de participation substantielle (au-dessus de 25 %) vient encore complexifier l’analyse.
Les conventions fiscales visant l’impôt sur la fortune sont relativement nombreuses et les investisseurs non-résidents devraient généralement y trouver une forme de protection contre l’application de l’IFI aux sociétés qui ne sont pas à prépondérance immobilière en France. Toutefois, certaines conventions ne visent pas l’impôt sur la fortune (par exemple avec la Belgique, le Portugal, le Japon ou Monaco) et, dans ce cas, les règles françaises pourraient trouver à s’appliquer sans limitation.
1. Visée au 2 du nouvel article 965 du Code général des impôts.
2. Voir l’article infra «Inclusion des titres cotés dans l’assiette de l’IFI : une logistique discutable, source d’incertitudes», par Frédéric Gerner.
3. Voir l’article infra «Déduction du passif : un dispositif IFI potentiellement inéquitable ou pour le moins pénalisant», par Christophe Frionnet en p. 10.
4. Article 885 A du Code général des impôts.