On pourrait craindre qu’il y ait une forme de pléonasme à évoquer la cession de l’entreprise en devenir. Une entreprise n’est-elle pas toujours, dans une mesure plus ou moins importante, un objet en évolution ?
Certaines entreprises sont d’ailleurs avant tout porteuses d’espoirs de grand succès, plutôt que la clé d’un résultat annuel garanti. Bien sûr, il existe des entreprises dont le modèle économique repose sur la plus grande stabilité, dont le chiffre d’affaires est contractuellement assuré, dont les relations avec les fournisseurs sont durablement sécurisées. Mais n’est-ce pas là l’exception ? Les économistes voient l’entreprise comme un nœud de contrats, mais n’est-elle pas avant tout la réunion d’un lot d’espoirs et d’un nombre considérable de risques ?
Le caractère par nature instable de l’entreprise complexifie nécessairement l’opération de cession de cet objet. Il est bien entendu possible de « prendre une photographie » de l’entreprise au jour de la cession et de procéder à la vente de ce que l’on voit sur le cliché, évalué au jour de la cession. Un prix doit alors être convenu, l’entreprise change de mains et les routes du vendeur et de l’acheteur ne se croiseront plus. Mais cette approche simpliste de la cession d’une entreprise, qui peut certes convenir à des opérations portant sur des exploitations peu complexes, n’est généralement pas celle souhaitée par les parties, dès lors que l’activité de l’entreprise cédée est soumise à des aléas significatifs et/ou qu’elle n’a pas encore réalisé toutes ses attentes.
Le défi lancé aux juristes, à qui il incombe de donner un cadre à l’opération, consistera ainsi à permettre à celui qui cède de profiter de l’élan qu’il a donné à l’entreprise, que ce soit en conservant pendant un temps une participation, sous une forme ou sous une autre, ou en lui conférant un intéressement aux résultats de l’entreprise postérieurs à la cession. Quant au cessionnaire, il aura à cœur de préserver ses intérêts et de s’assurer que le caractère en devenir de l’entreprise qu’il achète ne relève pas seulement du domaine du rêve. Il lui faudra aussi s’assurer que les mécanismes de protection du cédant ne prennent pas une importance telle que c’est finalement l’idée même de cession qui s’en trouve remise en cause.
Le droit des affaires est heureusement riche de nombreux instruments permettant de satisfaire ces différentes attentes. Certains de ces instruments sont très connus et sont empruntés au droit civil, comme la clause de complément de prix ou le recours aux conditions. D’autres relèvent de constructions du droit des sociétés ou élaborées à partir de celui-ci, comme les dispositifs de ratchet ou les BSPCE. La nécessité de prendre en compte la situation des salariés et le positionnement fiscal de chaque acteur de l’opération achève de rendre indispensable une approche globale de la cession de l’entreprise en devenir. n