Lorsqu’elles dépassent certains seuils, généralement exprimés en chiffre d’affaires et/ou, le cas échéant, en parts de marché, les opérations de concentration doivent faire l’objet d’un examen préalable par une autorité de concurrence, soit nationale comme l’Autorité de la concurrence française, soit européenne.
Cet examen, entrepris sur la base d’une notification de l’opération en cause, a pour objectif de s’assurer qu’elle n’aura pas d’effet négatif sur la situation concurrentielle des marchés concernés. Les seuils qui président à son déclenchement ont été déterminés selon l’idée que seules les opérations d’une certaine ampleur méritent d’être examinées, les autres restant sous les « radars » des autorités de concurrence.
Par exemple, en France, sauf seuils spécifiques, une opération de concentration est notifiable si l’ensemble des entreprises concernées réalisent un chiffre d’affaires mondial hors taxes de 150 millions d’euros et au moins deux des entreprises concernées réalisent un chiffre d’affaires en France de 50 millions d’euros.
Si de tels seuils ont le mérite de la clarté quant aux obligations légales des entreprises devant obtenir l’autorisation des autorités de concurrence compétentes, ces dernières ont néanmoins progressivement estimé que des opérations stratégiques, concernant notamment des « pépites » dont le poids sur le marché est appelé à grandir rapidement, échappaient à leur contrôle.
Deux évolutions jurisprudentielles traduisent désormais la volonté de pouvoir examiner ces opérations jusqu’alors sous les radars.
D’une part, le tribunal de l’UE a validé, dans l’affaire Illumina/Grail, la possibilité pour une autorité nationale de concurrence de saisir la Commission européenne d’une opération n’atteignant pas les seuils de chiffre d’affaires européens et nationaux, dès lors que cette opération affecte le commerce entre les Etats membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire d’un ou plusieurs des Etats concernés (article 22 du règlement Concentrations 139/2004). Dans cette hypothèse, il revient à la Commission d’examiner cette concentration sous les seuils.
Si la possibilité de renvoyer à la Commission européenne une telle opération de concentration concerne tous les secteurs et toutes les entreprises, la Commission a indiqué qu’elle se concentrerait sur les situations impliquant « au moins une entreprise dont le chiffre d’affaires ne reflète pas le potentiel concurrentiel réel ou futur ».
Cette faculté devrait par exemple s’appliquer en priorité à une « jeune pousse » qui dispose d’un potentiel concurrentiel substantiel ou à un « innovateur » important, notamment dans les secteurs de l’économie numérique ou dans le secteur pharmaceutique.
D’autre part, la CJUE a également validé la possibilité d’un contrôle a posteriori (ex post), sur le fondement des règles européennes encadrant l’abus de position dominante, de certaines opérations de concentration qui auraient échappé au contrôle des concentrations (CJUE 16 mars 2023, aff. C-449/21 Towercast).
En d’autres termes, l’acquisition d’une pépite n’ayant pas fait l’objet d’un contrôle ex ante par le biais du contrôle des concentrations pourra être remise en cause sous l’angle de l’abus de position dominante. Pour cela, les autorités de concurrence devront déterminer que l’acquisition en cause a entravé substantiellement la concurrence sur le marché où l’acquéreur est en position dominante. Le seul constat du renforcement de la position d’une entreprise ne suffit pas pour retenir la qualification d’un abus.
Ces évolutions témoignent du risque que l’acquisition d’une « pépite », même si les seuils de concentration ne sont pas atteints, puisse faire l’objet d’un contrôle par les autorités de concurrence. Un risque à prendre impérativement en compte lorsqu’on envisage une telle opération.