L’ earn-out, s’il est soumis au droit commun des procédures collectives, pourrait également, avec un peu d’audace, être un outil de retournement des entreprises.
Par Guillaume Bouté, avocat en Restructuring-Insolvency. Il traite de l’ensemble des problématiques soulevées par la défaillance d’entreprises, amiable ou judiciaire. Il intervient tant en conseil qu’en contentieux. guillaume.boute@cms-fl.com et Romain Boyet, avocat en corporate/fusions et acquisitions. Il intervient principalement en matière d’opérations de fusion-acquisition, de private equity et de restructuration de groupe de sociétés, pour des clients tant français qu’étrangers. romain.boyet@cms-fl.com
A l’heure où la matière se réforme, la réflexion doit naître.
La procédure collective, fraude aux droits du créancier de l’earn-out ?
A la suite des arrêts «Cœur Défense», il semble vain pour le cédant de soutenir que la procédure collective du cessionnaire, même si l’earn-out constitue son principal passif, est ouverte en fraude de ses droits dans le seul but de faire échec au paiement, la jurisprudence ouvre toutefois au cédant une voie d’action contre les dirigeants du débiteur de l’earn-out.
En effet, dès lors que ceux-ci seraient auteurs de fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif, la Cour de cassation semble assimiler la «faillite» du cessionnaire à une perte de chance pour le cédant de percevoir l’earn-out stipulé et reconnaît que le cédant souffre d’un préjudice propre distinct de celui subi par la masse des créanciers1.
Obstacle au retournement ?
Traitement amiable
Mandat ad hoc et conciliation constituent des modes de traitement des difficultés efficaces et totalement assimilés par les acteurs économiques. Dans ce cadre, prévaut essentiellement la bonne volonté des participants : la solution du retournement passe par un accord entre les principaux partenaires du débiteur.
Lorsqu’une transmission de titres intervient par le truchement d’un véhicule dédié, celui-ci se trouve débiteur du complément de prix des titres de la société opérationnelle objet de l’opération de reprise. Les difficultés de cette dernière entraînent fréquemment des difficultés au niveau du véhicule de reprise qui porte alors le financement de la reprise sans autres revenus que les dividendes de la filiale opérationnelle. Ainsi, un traitement des difficultés de la cible doit nécessairement inclure le traitement des difficultés de la holding. C’est là que le créancier d’earn-out peut jouer un rôle fondamentalement négatif s’il refuse de participer à la solution de retournement. Un tel comportement impose :
– son désintéressement complet qui intervient au détriment des autres participants à la solution et notamment des partenaires bancaires ; ou
– l’utilisation du mécanisme de l’article 1343-5 du Code civil, peu en rapport avec l’esprit de la procédure amiable ; ou
– le recours à une procédure collective, éventuellement sous la forme d’un prépack.
Dès lors qu’une solution amiable pouvait être trouvée, il est regrettable de se trouver confronté à une telle alternative. Peut-être la transposition de la directive apportera-t-elle une solution plus favorable en permettant un traitement amiable intégrant une proportion de fait majoritaire ?
Plan de cession
Un earn-out pourrait-il être inséré dans une offre de reprise ? Un tel mécanisme aurait pour avantage d’offrir une alternative à la diminution du prix offert au regard des risques identifiés par le candidat repreneur, une partie du prix pouvant être adaptée à la réalité et au succès de la reprise.
Bien que la pratique ne semble pas exister et que l’on puisse formuler les plus grandes réserves sur son accueil par les tribunaux, il ne semble pas que la loi s’y oppose. En effet, il est seulement disposé que le prix offert et les modalités de son paiement doivent être mentionnés dans l’offre2.
Naturellement on arguera contre cette proposition iconoclaste qu’elle pourrait conduire à allonger les procédures. L’argument peut sembler sans portée tant la pratique atteste que des procédures liquidatives rapides relèvent de la chimère3. Pourquoi ne pas faire confiance aux tribunaux et aux organes de procédure sur l’évaluation et la comparaison des offres dussent-elles inclure un earn-out ? Le repreneur est solide, son projet crédible, le mécanisme d’earn-out clairement énoncé : où est le réel obstacle ?
1. Cass Com 14 juin 2017, n° 15-26953.
2. Art. L.642-2 II 3° du Code de commerce.
3. F. Pérochon, Entreprises en difficulté 10e éd. n°1327.