Certaines opérations affectant la cible pendant la période de référence de l’earn-out sont susceptibles d’impacter le montant effectif de ce dernier, voire le principe même de sa perception. Elles doivent donc être anticipées lors de la négociation des accords afin de protéger l’intérêt légitime du vendeur, bénéficiaire du complément de prix.
Par Thomas Hains, avocat counsel en corporate/fusions & acquisitions. Il assiste des industriels, des fonds d’investissement et des managers dans le cadre de tous types d’opérations de fusion-acquisition, de joint-venture et de private equity, tant nationales qu’internationales. thomas.hains@cms-fl.com et Anne-Flore Millet, avocat en corporate/fusions et acquisitions. Elle intervient principalement en fusions-acquisitions, capital-investissement et droit des sociétés. Elle conseille aussi bien des groupes de sociétés que des fonds d’investissement pour leurs opérations d’acquisition et de cession. anne-flore.millet@cms-fl.com
Le vendeur et ses conseils doivent veiller à ce que la possibilité d’atteindre les objectifs de performance convenus ne soit pas défavorablement affectée par les décisions de l’acquéreur post-cession. En effet, pendant la période de référence de l’earn-out, les intérêts respectifs des parties sont susceptibles de diverger. Notamment, le cessionnaire, mû par ses propres intérêts, pourrait être tenté de procéder à des opérations de restructuration, telles qu’une fusion-absorption, une transmission universelle du patrimoine de la cible ou encore l’apport ou la cession de tout ou partie de ses activités au profit d’une tierce partie.
La vigilance s’impose donc s’agissant de ce type d’opérations conduisant à la confusion des activités de la cible avec celles d’une autre entité. En effet, bien qu’usuelles dans la vie des groupes de sociétés – ces opérations de restructuration complexifient l’application des mécanismes d’earn-out, et sont donc susceptibles d’en fragiliser la mise en œuvre.
A cet égard, la cour d’appel de Paris a considéré dans une décision du 15 septembre 2011 (CA Paris, p. 5, ch. 9, n°07/02102) qu’«en prévoyant la possibilité d’un complément de prix et des objectifs communs de développement de l’activité de la société cédée, le cessionnaire, devenu l’unique actionnaire de la société cédée, a nécessairement pris l’engagement implicite vis-à-vis des cédants, bénéficiaires potentiels de l’éventuel complément de prix, de conserver un périmètre sensiblement constant d’activités et de personnes y affectées pour l’exploitation jusqu’à la date de référence pour le calcul de l’éventuel complément de prix». En l’espèce, l’acquéreur avait réalisé une opération de transfert universel du patrimoine de la cible postérieurement à la réalisation de la cession, en dépit d’un engagement contractuel de maintien de la personnalité morale de celle-ci.
En se référant au principe même du complément de prix et aux objectifs communs de développement pour justifier une obligation implicite de l’acquéreur de maintenir l’existence et le périmètre d’exploitation de la cible, la Cour d’appel a donc décidé que cette obligation s’imposait aux parties, indépendamment de toute stipulation contractuelle.
La sanction du non-respect de cette obligation, qui se fonde sur le principe général posé à l’article 1104 du Code civil selon lequel les conventions doivent être exécutées de bonne foi, est toutefois limitée car elle consiste en l’octroi de dommages et intérêts visant à réparer la perte de chance – pour le cédant – d’obtenir le paiement du complément de prix. Le montant du préjudice effectivement indemnisable est donc nécessairement inférieur au montant du complément de prix escompté compte tenu de la nature du préjudice.
Les praticiens se doivent par conséquent de veiller à la sécurisation des intérêts du vendeur pendant la période de référence de l’earn-out, avec l’objectif d’anticiper au maximum les situations susceptibles de se présenter compte tenu des intérêts respectifs de l’acquéreur et de la cible et des circonstances de l’acquisition et ainsi de limiter, autant que faire se peut, les sujets pouvant occasionner des divergences d’interprétation, en particulier lorsque le vendeur ne conserve aucun mandat social au sein de la cible.
La première solution consiste à prévoir dans le contrat de cession une obligation de maintenir l’existence de la société pendant toute la période de référence et à énumérer les décisions qui ne pourront être réalisées sans l’accord exprès du cédant. Il est alors usuel de prévoir qu’en cas de violation de ces engagements, le montant du complément de prix sera acquis au cédant, ou à tout le moins ajusté afin de compenser tout effet négatif résultant de ladite violation. Si elle présente l’avantage de la simplicité, cette clause est parfois rejetée par les acquéreurs qui y voient une ingérence dans leur gestion, et donc une possible entrave à la préservation des intérêts de la cible et à la réalisation des objectifs de leur groupe.
La nécessité de parvenir à un équilibre entre les intérêts du cédant qui souhaite légitimement être sécurisé quant à la perception de son complément de prix, et ceux du cessionnaire, vigilant quant à son autonomie de gestion de la cible post-cession, a conduit les praticiens à développer une solution alternative, consistant en la stipulation de mécanismes de retraitements comptables.
Dans cette hypothèse, les opérations de restructuration sont autorisées mais la clause d’earn-out organise contractuellement leur traitement comptable dans le calcul du complément de prix. En pratique, cela se traduit par la mise en place d’une comptabilisation spécifique de l’activité qui était celle de la cible avant la cession, afin de permettre que celle-ci puisse être isolée des autres activités de l’entité avec laquelle le rapprochement est intervenu.
Il n’est pas rare que la clause d’earn-out prévoie en outre la neutralisation des charges supplémentaires qui seraient supportées par la cible en raison de son intégration dans le groupe de l’acquéreur (tels que les management fees, les frais de restructuration ou de déménagement, les coûts liés au remplacement des fournisseurs et prestataires existants dont les tarifs seraient plus onéreux, ceux relatifs à la mise en place d’une nouvelle politique de tarification commerciale conforme à celle du groupe ou encore à l’harmonisation du statut collectif des salariés, etc.). En sens inverse, la neutralisation peut également conduire à écarter les avantages qui bénéficieraient indûment à la société par l’effet de son intégration, comme les flux intra-groupes effectués en sa faveur par exemple.
Une telle solution n’est cependant pas la panacée, en raison de sa complexité à mettre en œuvre d’un point de vue opérationnel. Elle ne règle par ailleurs pas complètement le risque d’indétermination du prix au regard des difficultés d’interprétations qu’elle peut susciter. Afin de se prémunir au mieux contre le risque de nullité de la convention, le recours à un tiers expert devra donc être prévu en cas de désaccord des parties.
Plus généralement, au-delà des opérations susceptibles de faire obstacle au calcul du complément de prix, la préservation des intérêts du vendeur implique de tenir compte de l’ensemble des décisions de gestion du cessionnaire pouvant affecter les performances de la cible pendant la période d’earn-out. Sont notamment visées ici l’ensemble des dépenses d’investissement qui seraient engagées dans le but de favoriser le développement de la société sur le long terme mais qui ne se traduiraient par aucun retour sur investissement pendant la période d’earn-out. Sans aller jusqu’à interdire de telles décisions, il sera sage de prévoir leur neutralisation dans le calcul du complément de prix.
Les clauses d’earn-out sont également usuellement complétées par un principe général de gestion de la cible dans le cours normal des affaires et la définition d’une politique de gestion à suivre pendant la période de référence.