Régie par les articles 2011 et suivants du Code civil, la fiducie est «l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires».
Par Alexandre Delhaye, avocat associé en corporate/fusions & acqusitions. alexandre.delhaye@cms-fl.com et Alexandre Bordenave, avocat counsel en droit bancaire et financier. Il intervient en matière de titrisation et de dettes ainsi qu’en financements structurés. alexandre.bordenave@cms-fl.com
L’instrument juridique brille particulièrement par sa plasticité qui en fait, pour singer une citation devenue un triste poncif des juristes, une des plus puissantes écoles de l’imagination contractuelle.
A ce titre, s’il est usuel de distinguer, comme y invite d’ailleurs le Code civil (articles 2372-1 et suivants ; articles 2488-1 et suivants), la fiducie-gestion de la fiducie-sûreté, quelques heures aux prises avec cette figure juridique suffisent pour dégager une conclusion élémentaire : il n’y a pas de fiducie-sûreté qui ne soit aussi une fiducie-gestion. En effet, devenu propriétaire des biens transférés à titre de garantie dans le patrimoine fiduciaire, il est inenvisageable que le fiduciaire d’une fiducie-sûreté ne reçoive pas une mission de gestion des biens en question (ne serait-ce que pour les conserver).
C’est ainsi que, lorsque sont transférés en fiducie des biens composant le capital social d’une société – parts sociales ou actions selon sa forme –, le fiduciaire est amené à exercer ses prérogatives d’associé ès qualités. Et, au premier rang de celles-ci, le droit de vote.
Il revient au contrat de fiducie de déterminer les conditions dans lesquelles le fiduciaire fait usage de ce droit politique. Toutefois, cette liberté contractuelle se trouve contrainte par les articles 145 et 223 A du Code général des impôts. Pour l’essentiel, ceux-ci disposent que, pour que soient prises en compte les parts sociales ou actions remises en fiducie pour l’application des régimes mère-fille et d’intégration fiscale, d’importance en matière de financements structurés, le constituant doit conserver l’exercice du droit de vote ou le fiduciaire doit exercer ce droit dans le sens déterminé par le constituant.
S’agissant de la première branche de l’alternative, comment le droit de vote, attaché aux parts ou actions dont est propriétaire le fiduciaire, pourrait-il rester au constituant ? De deux choses l’une : soit aux termes d’une convention de démembrement le constituant a conservé un usufruit comprenant le droit de vote, soit pour les besoins de chaque décision à prendre par la collectivité des associés est consenti au constituant un prêt portant sur les parts sociales ou actions concernées. Ces solutions peinent à convaincre au nom de leur lourdeur et du risque – surtout pour ce qui est du démembrement, dont la vocation serait certainement de perdurer pendant toute l’opération – qu’elles puissent être qualifiées de conventions de mise à disposition au sens de l’article L.622-23-1 du Code de commerce. Ces dernières ne pouvant être librement résiliées en cas d’ouverture d’une procédure collective du constituant, y recourir prive cette «fiducie sans dépossession» d’une partie non-négligeable de ses effets en cas de réalisation puisque les parts ou actions ne pourraient être vendues que privées de leurs droits de vote…
Voilà pourquoi on privilégie en pratique la seconde solution, à savoir l’exercice du droit de vote par le fiduciaire dans le sens déterminé par le constituant qui nécessite seulement d’inclure dans le contrat de fiducie des stipulations en application desquelles le fiduciaire est tenu de voter en suivant les instructions du constituant. Ainsi que le permet le Code général des impôts, sans remise en cause pour autant des régimes fiscaux de faveur, ce principe peut souffrir d’exceptions «pour protéger les intérêts financiers du ou des créanciers bénéficiaires de la fiducie». La doctrine fiscale exige qu’il soit fait une application stricte de cette tolérance (BOI-IS-BASE-10-10-10-20, II-3 §205).
Aussi, généralement, ces limitations consistent-elles simplement en une interdiction, pour le fiduciaire, de prendre en compte une instruction de vote dont il s’avèrerait (que le fiduciaire le constate lui-même ou qu’il en soit informé par les créanciers bénéficiaires de la fiducie) qu’elle conduit à une violation d’une stipulation particulière de la documentation de financement ou à la survenance d’un cas de défaut prévu dans celle-ci. Bien évidemment, dès lors qu’est intervenu un tel cas de défaut, le contrat de fiducie doit aussi prévoir que le fiduciaire n’est plus lié par les consignes du constituant mais uniquement par celles des créanciers.
Pour éviter certaines difficultés dans sa mise en œuvre, ce dispositif impose que la documentation contractuelle de financement soit suffisamment complète et précise en termes d’obligations de ne pas faire et de cas de défaut. Les statuts de la société dont les parts ou actions sont transférées à la fiducie pourraient également, à titre de limitations de pouvoirs, imposer au dirigeant de consulter la collectivité des associés préalablement à toute décision susceptible de violer une obligation de ne pas faire au titre du contrat de prêt.