La lettre gestion des groupes internationaux

Avril 2013

Erosion de la base fiscale et délocalisation des bénéfices : histoire et perspectives

Publié le 10 mars 2014 à 11h32    Mis à jour le 12 mars 2014 à 9h58

Philippe Durand

Entamée il y a une vingtaine d’années, dans le sillage de l’harmonisation fiscale européenne, la lutte contre la concurrence fiscale dommageable a changé de nature et d’objet : la préoccupation budgétaire l’emporte aujourd’hui sur le caractère loyal de la concurrence entre entreprises et entre Etats.

Par Philippe Durand, avocat associé, cabinet Landwell & Associés.

Cette lutte a commencé au début des années 1990. Son premier objectif consistait à limiter les risques résultant, après la suppression des frontières fiscales, de régimes fiscaux jugés source de «concurrence fiscale dommageable». Il paraissait possible de venir à bout de ces régimes dans un cadre négocié. Tel a été l’objet des travaux sur la fiscalité de l’épargne puis sur le Code de conduite. Le fait que les Etats membres se soient d’abord préoccupés de l’épargne des particuliers illustre la perception du risque qu’on avait alors. On redoutait moins l’érosion des bases fiscales que des mouvements de capitaux, à même de déséquilibrer les balances des paiements et d’affecter les cours des devises nationales (avant l’euro), donc le financement des dettes publiques. Les Etats les plus montrés du doigt ayant fait valoir que le démantèlement des régimes incriminés risquait de faire le jeu de pays extérieurs à l’Union européenne mais proches de ses frontières, le débat s’est en partie déplacé vers l’OCDE dont faisaient partie les Etats tiers en cause. Dans le même temps, les Etats-Unis dont la législation fiscale incite notoirement les grandes entreprises à ne pas rapatrier leurs bénéfices, ont commencé à se préoccuper de leur situation budgétaire sans aller toutefois jusqu’à remettre en cause cette législation, très favorable au développement international des groupes américains.

Ils ont donc apporté un soutien de poids à la lutte contre les schémas d’optimisation fiscale. Commencée par la mise en cause des Etats et territoires non coopératifs (ETNC), cette nouvelle phase prend maintenant pour cible l’utilisation de différences de systèmes juridiques et fiscaux entre Etats qui peuvent aboutir à des doubles exonérations ou à des impositions très réduites, en dehors de toute intention des Etats concernés de faire concurrence à d’autres. Tel est l’objet du récent rapport de l’OCDE sur le «Base Erosion and Profit Shifting» (BEPS). Cette voie n’est pas celle de la facilité. Il est plus aisé de montrer du doigt un Etat non coopératif que de démonter des mécanismes financiers et fiscaux dont on reconnaît a priori qu’ils ne sont pas critiquables par eux-mêmes mais par l’utilisation qui peut en être faite. Elle pose ainsi le problème de la frontière entre fraude et optimisation fiscale. C’est d’ailleurs la difficulté qui frappe à la lecture du rapport de l’OCDE qui, après avoir constaté qu’il n’est guère possible de mettre en évidence la réalité de la délocalisation des recettes fiscales au vu des seules données budgétaires, relève qu’il est néanmoins difficile de justifier la place tout à fait anormale de certains micro-Etats dans la géographie des flux financiers.

Mais plutôt que d’y voir un motif de rouvrir immédiatement le dossier des ETNC, le rapport s’oriente vers l’analyse d’un certain nombre de mécanismes qui conduisent à cette situation. Autrement dit, il s’agit de souligner que la responsabilité n’est peut-être pas tant celle des Etats qui accueillent ces flux de capitaux que celle des opérateurs qui, sans motifs économiques valables, utilisent des procédés pour les y envoyer.Cette démarche paraît devoir se heurter à deux difficultés. La première est technique : mettre en cause ces procédés non pour les prohiber mais pour en combattre les cas d’utilisation abusive requiert des normes qui puissent s’appliquer avec une certaine sélectivité ; apparaît ainsi le risque d’applications divergentes selon les administrations, ce qui ne ferait que renforcer le risque de distorsions. La seconde est institutionnelle : comment mettre en œuvre des solutions qui reposent souvent sur la renégociation de conventions fiscales ou, dans le cadre communautaire, de directives ? Rares sont les pays qui, comme les Etats-Unis, peuvent faire prévaloir la loi nationale sur les traités.

Par ailleurs, l’acquis juridique communautaire qui s’est construit sur les grandes libertés garanties par le Traité d’Union pourra-t-il être concilié avec cette évolution ? Sortir de la posture politique qui caractérise le débat actuel nécessite de surmonter ces difficultés. Enfin, au-delà de l’adhésion des opinions publiques, il faut obtenir celle des entreprises. Pour y parvenir, il faut les convaincre que les pratiques auxquelles il leur est demandé de renoncer ne continueront pas à être utilisées par d’autres, en dehors de l’OCDE, voire au sein même de celle-ci. Les convaincre également que l’érosion de la base fiscale n’est pas la conséquence mécanique du déclin de certains pays dans l’économie mondiale et d’une tentative de leur part de différer l’adoption des réformes de structures qui permettraient de l’enrayer. Sans ce travail de conviction, ces projets risqueraient d’accélérer la délocalisation de la base fiscale au lieu d’y mettre un frein.


La lettre gestion des groupes internationaux

Le plan d’action de la Commission européenne en matière de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales

Emmanuel Raingeard de la Blétière

Le plan d’action publié le 6 décembre 2012 par la Commission européenne contient un ensemble de propositions et deux recommandations.

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