Les éléments incorporels, tels les marques, les brevets ou le savoir-faire constituent des valeurs centrales en matière de prix de transfert. Ils contribuent en général à donner le rôle primordial dit d’«entrepreneur» à l’entité du groupe qui les détient. Ce sont en ce sens des éléments forts qui viennent qualifier un driver de profit.
Par Eric Bonneaud, avocat associé, cabinet Landwell & Associés.
Pour autant, où doit s’arrêter la notion d’incorporel à des fins de prix de transfert ? Cette interrogation n’a pas été dissipée à ce stade par la publication par l’OCDE le 6 juin 2012 (1) du projet de révision du chapitre VI de ses Principes directeurs en matière de prix de transfert concernant ces mêmes incorporels, et les nombreux commentaires qu’il a suscités. Elle semble même renforcée par la sortie du rapport BEPS de l’OCDE en février 2013 qui souligne que «de nombreuses stratégies d’optimisation fiscale adoptées par des entreprises visent en priorité à transférer les risques importants et les actifs incorporels difficiles à valoriser vers des pays à plus faible fiscalité, où ils peuvent bénéficier d’un régime fiscal favorable. De tels mécanismes peuvent contribuer ou aboutir à l’érosion de la base d’imposition ou au transfert de bénéfices».
Lutter contre les schémas de conversion réputés abusifs
Inscrites dans la continuité des travaux de l’OCDE sur les aspects de prix de transfert des réorganisations d’entreprises, les considérations liées aux incorporels constituent à ce titre un complément à ces réflexions. Le constat fait par les Etats membres soulignait le contexte de mutation rapide et de modification des périmètres des groupes multinationaux. Son corollaire était la perte supposée de bases imposables constatée à son détriment par un Etat au profit d’un autre à l’occasion de ces réorganisations. Les administrations fiscales se sont alors de plus en plus concentrées sur l’analyse de la constatation de pertes d’activité ou de non-couverture d’un préjudice subi par les entités établies sur leur territoire et membres d’un groupe multinational, qui voient leurs fonctions modifiées à l’occasion de ces changements. Ainsi, toute réorganisation interne à un groupe est aujourd’hui analysée par une approche fonctionnelle tendant à évaluer si un «préjudice» fiscal existe compte tenu de la baisse de base imposable qui en résulte, et le cas échéant s’il a été correctement évalué et indemnisé.
Ce faisant, les administrations s’octroient dans leurs fonctions régaliennes le pouvoir d’isoler dans les réorganisations économiques au sein des groupes les situations qu’elles estiment abusives, c’est-à-dire préjudiciables pour les finances de l’Etat dans la mesure où une juste rémunération n’a pas été mise en place à l’occasion de cette mutation. A cet égard, l’élément véhicule de valeur de l’activité est considéré comme reposant sur les éléments incorporels acquis ou développés par l’entreprise réorganisée. L’OCDE dans le cadre de son projet sur les incorporels essaie de couvrir de manière large tous les aspects jugés essentiels en la matière. Ceux-ci sont relatifs aux éléments de définition d’un intangible supposés clarifier la distinction entre les incorporels et les simples activités génératrices de revenus. De même, une question centrale consiste à examiner comment identifier et caractériser un transfert d’actif incorporel, et le rémunérer ou le dédommager à l’occasion d’une réorganisation, même pour une entreprise ne détenant pas juridiquement un actif incorporel mais qui pourrait néanmoins dans une situation de pleine concurrence se voir attribuer une rémunération à ce titre. Mais le point crucial est bien celui de l’existence ou non d’un incorporel.
Ne pas créer une artificialité de la notion d’incorporel
Les situations dans lesquelles les éléments incorporels ressortent de l’existence d’enregistrements en vue de leur protection ou d’engagements contractuels ou juridiques existants sont a priori peu sujettes à controverse. Cela étant, d’autres perspectives abordées par l’OCDE sont beaucoup plus polémiques : ainsi, il semble que l’orientation actuelle des débats conduit à constater une définition large de l’incorporel consistant en un élément non traduit par un actif physique ou financier, qui peut constituer toutefois «quelque chose» de suffisamment contrôlé ou détenu pour pouvoir être exploité commercialement. Derrière cette approche, des notions plus floues telles que le goodwill surgissent sans pour autant dissiper l’incertitude pesant sur leur définition. Des garde-fous semblent à ce stade esquissés excluant des éléments tels que les synergies de groupe, les caractéristiques de marché ou encore la qualité ou l’expérience de salariés de la constitution isolée d’un incorporel.Ce flou entourant encore certaines notions, pourrait créer des difficultés d’application et des conceptions extensives de l’incorporel s’agissant de travaux qui sont scrutés de près par tous les Etats, membres de l’OCDE ou pas.
(1). Discussion draft «Revision of the special considerations for intangibles in Chapter VI of the OECD Transfer Pricing Guidelines and related provisions», 6 June to 14 September 2012, OECD.