Le financement est un levier fiscal traditionnellement utilisé par les entreprises séduites par la relative facilité de sa mise en œuvre et sa faible interaction avec le business et l’organisation. L’arbitrage entre dette ou capital penche souvent en faveur de la dette dans la mesure où les charges financières sont en général déductibles alors que les dividendes ne le sont pas.
Par Hélène Rives, avocat associée, et Ferielle Habili, avocate, cabinet Landwell & Associés.
En France, l’impératif de réduire les déficits publics et une croissance atone se sont traduits par le déploiement d’une série de mesures d’austérité visant à renforcer l’arsenal législatif existant en vue de lutter contre l’érosion des bases taxables par la déduction d’intérêts. Le dispositif du «rabot», qui prévoit la réintégration de 15 % des intérêts financiers nets dès 2012 (25 % à compter de 2014), est à ce titre emblématique, puisqu’il affecte tous les financements et vient pénaliser le levier réalisé par les entreprises en dehors même de toute recherche d’optimisation fiscale. A l’inverse, la contribution additionnelle de 3 % à l’impôt sur les sociétés au titre des montants distribués tend à pénaliser l’apport en capital puisque la rémunération de celui-ci, les dividendes, est plus lourdement taxée. Une appréciation globale des pratiques mises en place dans les différents pays révèle, outre une tendance claire de réplication des «meilleures pratiques», deux angles d’attaque communément utilisés pour maîtriser les avantages fiscaux liés à l’endettement des groupes : un premier ciblé sur les flux financiers, l’autre contre les structures financières.
1. Arsenal ciblé sur les flux financiers
Dans certains pays, la maîtrise des flux financiers se traduit par l’instauration d’un taux d’intérêt légal ou réglementaire au-delà duquel les intérêts de la dette ne sont pas déductibles sauf à apporter la preuve que le taux utilisé correspond effectivement à un taux de marché. Il peut s’agir d’un taux publié périodiquement, comme aux Etats-Unis «Applicable Federal Rate», en France, en Suisse ou d’un taux fixe comme en Croatie qui prescrit actuellement un taux de 7 %. Dans un contexte d’internationalisation croissante, les prix de transfert fondés sur le principe de pleine concurrence constituent un pilier incontournable dans la lutte contre l’évasion fiscale. Les efforts de coordination des Etats (procédure d’arbitrage insérée dans les conventions internationales) et des obligations nouvelles en matière de documentation ont permis d’améliorer l’efficacité de ces mesures. Les règles de prix de transfert sont, dans de nombreux pays comme la Grande-Bretagne, le principe qui régit en premier lieu la déduction des charges financières.
Les règles de sous-capitalisation prescrivant des ratios d’endettement (individuel ou groupe), liés à la structure des capitaux (5 pour 1 en Belgique, 1,5 pour 1 en France) ou à un certain pourcentage des actifs de l’entreprise en Suisse ou au Danemark par exemple, se sont très largement répandues. Elles peuvent être combinées avec des règles relatives à des ratios de profits («earning stripping») qui sont aussi parfois appliquées seules, comme en Allemagne (30 % de l’EBITDA) ou plus récemment en Espagne où ce même ratio a remplacé à partir de 2012 l’ancien ratio dette capital de 3 pour 1. Le franchissement des seuils entraîne soit une non-déduction des intérêts, soit un traitement en dividende et certains pays prévoient que les «stocks» non déduits d’intérêts ou les ratios non consommés d’EBITA peuvent faire l’objet de règles de report. Parallèlement à ces mesures, les Etats ont également recours à des mesures plus systématiques appliquées de manière uniforme à toutes les entreprises et qui consistent, par exemple, en l’application de taxes (à l’image de la taxe sur les transactions financières «IOF» au Brésil) ou de plafonds limitant la déduction des intérêts comme le «rabot» en France.
A côté de ces mesures répressives, certains Etats réagissent par la mise en place de mesures offensives visant à réduire l’attrait de la dette soit en instaurant un traitement symétrique entre la dette et le capital (exemple des Pays-Bas qui refusent dans certains cas la déduction des intérêts sur l’acquisition de titres dont les revenus seront exonérés), soit par la mise en place de législations innovantes permettant une rémunération des investissements en capital comme les intérêts notionnels belges ou italiens. L’ensemble de ces mesures pousse les groupes à reconsidérer leurs structures financières et à recourir à des instruments financiers leur permettant d’optimiser leur taux effectif d’impôt (instruments hybrides, endettement en devises, etc.). Conscients de ces adaptations, les Etats réagissent à leur tour en mettant en place des limitations relatives aux structures financières elles-mêmes.
2. Arsenal ciblé sur les structures financières
Les lois anti-abus permettent aux Etats de contrôler l’usage fait par les entreprises de structures financières présentant un avantage fiscal certain. Diverses d’un pays à l’autre, ces lois s’articulent autour d’une idée directrice selon laquelle les structures financières doivent être justifiées par des raisons économiques tangibles et non par la recherche d’un avantage exclusivement fiscal. La dette doit être conçue comme un outil au service du développement de l’entreprise et non pas comme un moyen financier dont la seule utilité serait d’améliorer le taux d’imposition effectif d’un groupe. Les dispositifs législatifs se sont renforcés autour de notions concrètes telles que la substance, le contrôle des filiales et l’influence des holdings qui portent la dette. La limitation de la déduction des intérêts liés à l’acquisition de titres prévue par l’amendement Carrez en France en est un excellent exemple. Les mesures anti-abus peuvent être générales mais également ciblées lorsqu’elles visent un schéma d’optimisation connu, comme l’«amendement Charasse» qui prévoit la réintégration d’un ratio d’intérêt afin de lutter contre les schémas de levier par acquisition «interne» de filiales au sein d’un groupe en France.
Enfin, si l’objectif est commun, la méthode employée par les pays peut être variée. Si certains Etats comme le Royaume-Uni ont instauré des règles générales qui interdisent largement l’utilisation des instruments ou des structures dits «hybrides», d’autres Etats privilégient une approche plus factuelle, se réservant la faculté de requalifier le flux selon le traitement fiscal adopté dans l’Etat de l’émetteur (en Italie, refus d’application du régime mère fille si les revenus sont déduits chez l’émetteur). L’arsenal déployé par les Etats en vue de maîtriser l’endettement des groupes est un chantier encore en perpétuelle évolution qui nécessite une veille vigilante des entreprises afin de rester compétitives. Quels que soient les efforts déployés localement pour renforcer l’arsenal existant, l’internationalisation des pratiques des entreprises rend indispensable aux yeux des Etats un effort de coordination pour pallier les effets de double imposition dommageables aux investissements mais aussi lutter contre les abus fiscaux rendus possibles par l’exploitation des discordances entre les pays.