L’administration fiscale française souhaite entrer, à son tour, dans une démarche de contractualisation de la relation avec les entreprises-contribuables déjà expérimentée dans d’autres pays de l’OCDE : Royaume-Uni, Pays-Bas, Espagne, Etats-Unis, Australie ou Nouvelle-Zélande notamment. Quel est le contexte de ce projet baptisé «relation de confiance» ?
Par Philippe Durand, avocat associé, cabinet Landwell & Associés.
La démarche résulte de la prise de conscience par les administrations fiscales du fait que, dans une économie ouverte et en raison de la dématérialisation des flux économiques comme des informations, la préservation de la base fiscale ne peut reposer sur le seul contrôle fiscal traditionnel et devient dépendante de coopérations extérieures. L’attitude coopérative des contribuables les plus impliqués dans l’internationalisation de l’économie en est une composante importante ; elle constitue le troisième volet du triptyque dont les deux autres pans sont la lutte contre les paradis fiscaux (Etats et territoires non coopératifs) élargie à la planification fiscale agressive, et «la relation avec les intermédiaires». L’appellation donnée à ces procédures dans les autres Etats est révélatrice de ces objectifs : «risk management process» (Royaume-Uni), «horizontal monitoring» (Pays-Bas) ou «real time audit» (Allemagne) ; le terme «compliance» revient fréquemment ; parfois le mot «cooperative» pour traduire le caractère contractuel de la procédure ; mais le mot confiance n’est pas particulièrement mis en avant à l’étranger.
C’est sans doute en raison de ces objectifs de départ que la plupart des pays ont limité la contractualisation de la relation avec les entreprises aux plus grandes d’entre elles, celles dont le contrôle est rendu difficile par la complexité des sujets et l’internationalisation des activités. Seuls les Pays-Bas et désormais la France ont souhaité l’étendre aux PME. Cette contractualisation peut faciliter l’identification de risques qui requièrent une vigilance particulière, en raison de la nature des opérations ou du plus ou moins grand civisme fiscal de l’entreprise considérée. Autrement dit, elle constitue un outil pour améliorer la sélectivité du contrôle fiscal, voire organiser sa programmation ; c’est d’ailleurs son objectif avoué aux Etats-Unis.En raison de ces objectifs, on pourrait s’interroger sur l’intérêt des entreprises à entrer dans une telle relation, pour autant qu’elles en aient le choix, ce qui n’est le cas ni au Royaume-Uni ni au Canada.
Le fait est que la gestion des contrôles fiscaux se révèle d’autant plus lourde pour les groupes que les investigations de l’administration fiscale sont étendues et approfondies. Les normes fiscales sont souvent trop imprécises pour déterminer avec certitude si le traitement fiscal qu’il est envisagé de donner à une opération complexe est correct ; les entreprises doivent donc vivre avec le risque d’une remise en cause du traitement retenu lors d’un contrôle ultérieur. Par ailleurs, il peut être difficile, pour une entreprise, de retrouver les tenants et les aboutissants d’une opération qui s’est déroulée plusieurs années auparavant, notamment dans les Etats où le délai de reprise de l’administration autorise celle-ci à redresser des années très anciennes. Pour ces raisons, la mise en place de contrôles préalables, ciblés et contemporains permet d’espérer des économies de moyens et une plus grande sécurité juridique. Même les entreprises qui considèrent que la qualité du dialogue dans le cadre de la procédure de contrôle a posteriori est bonne peuvent lui préférer une revue préalable, moins lourde et moins anxiogène.
Enfin, la véhémence croissante des discours politiques à l’encontre de l’optimisation fiscale des groupes transnationaux crée une incitation à s’afficher comme une entreprise «citoyenne». Le projet français de relation de confiance, décrit par ailleurs présente deux originalités relatives qui ont été relevées : il s’adresse également aux PME et il se place sous le sceau de la confiance.
Comment les expliquer ?
– En premier lieu, le débat fiscal français semble davantage empreint d’un certain manichéisme : il y a ce qui est bien et ce qui est mal. L’opinion publique a du mal à comprendre qu’en raison de l’imprécision ou de l’instabilité des textes fiscaux, il existe des zones grises. Pour ce motif, le dialogue entre contribuable et administration sur le principe ou sur le quantum d’un redressement est perçu comme suspect. L’opinion ne conçoit pas que si une part significative des redressements notifiés n’est finalement pas recouvrée, c’est probablement parce que certains de ces redressements n’étaient pas pertinents.
– Deuxième spécificité, l’importance très vive accordée au principe d’égalité suscite la défiance vis-à-vis de l’idée que certains contribuables puissent recevoir une réponse plus rapide que d’autres ou soient moins vérifiés que d’autres, quand bien même existeraient des éléments objectifs pour dire qu’il est moins nécessaire de les contrôler.
– Enfin, la vérification de comptabilité à la française a été peu à peu enserrée dans un corset procédural strict avec lequel un mécanisme de contrôle en temps réel du type de celui qui est envisagé nécessiterait sans doute de prendre des libertés. Pourtant, celui-ci serait sans doute voué à l’échec si toutes les règles de forme encadrant les demandes de renseignements et la procédure contradictoire d’une vérification traditionnelle devaient être scrupuleusement appliquées : il nécessite un certain pragmatisme. Si les parties se réfugient derrière des règles de forme, le dialogue risquerait de s’en trouver compliqué. Les deux originalités françaises répondent donc à des préoccupations de présentation du dispositif mais également de fond. Exclure les PME du dispositif pourrait être vu comme une atteinte à l’égalité devant l’impôt. Arguer que l’objectif prioritaire est celui de l’efficacité du contrôle fiscal des grands groupes pour exclure ces PME aurait probablement un effet répulsif sur les candidats potentiels. Quant à la confiance réciproque, elle est nécessaire pour s’affranchir autant que de besoin de certaines règles de procédure qui font que la «vérification à la française» peut parfois prendre des airs de guerre de tranchées.