La lettre gestion des groupes internationaux

Avril 2013

Double non-imposition et hybrides ou le souci du traitement dans l’autre Etat

Publié le 10 mars 2014 à 11h38    Mis à jour le 12 mars 2014 à 9h58

Renaud Jouffroy

Le 29 février 2012 la Commission européenne initiait une consultation publique «Marché intérieur : exemples concrets de cas de double non-imposition». Quelques jours plus tard, le 5 mars 2012, l’OCDE publiait un rapport sur les hybrides intitulé «Dispositifs hybrides, questions de politique et de discipline fiscales».

Par Renaud Jouffroy, avocat, associé, cabinet Landwell & Associés.

Les situations visées par ces deux rapports sont relatives en premier lieu aux entités hybrides. Ces dernières sont des entités imposables dans un pays mais transparentes ou ignorées fiscalement dans un autre. L’utilisation d’une entité hybride peut conduire à une double déduction de charge pour une même obligation contractuelle. L’investissement dans une filiale hybride peut ainsi permettre la déduction des intérêts dans l’Etat de la filiale et dans l’Etat de l’associé de cette filiale. Des résultats similaires peuvent être obtenus par l’utilisation d’instruments hybrides. Ce sont des instruments financiers qui présentent à la fois les caractéristiques propres à des dettes mais aussi à des capitaux propres. La disparité de traitement par les systèmes fiscaux respectifs des Etats peut entraîner une déduction dans l’Etat de l’emprunteur/émetteur (qualification d’intérêts) et une non-imposition dans l’Etat de l’apporteur de fonds (qualification de dividendes exonérés). L’application fiscale divergente d’une convention fiscale bilatérale peut également aboutir, dans certains cas, à ce qu’une entreprise ne soit pas imposable dans un Etat, sa présence ne permettant pas de qualifier un établissement stable, l’autre Etat ayant une analyse différente, ce qui se traduit par une absence d’imposition dans l’un quelconque des deux Etats.

La Commission souhaite également traiter, de manière plus large, des différences de traitement des revenus passifs (intérêts et redevances notamment) aboutissant à une situation de double non-imposition.Les organisations internationales souhaitent contrer l’utilisation de ces différences conceptuelles ou d’application des conventions par les grandes entreprises en mettant en place un train de mesures.L’harmonisation des législations internes pour éviter toute asymétrie étant utopique, les solutions envisagées reposent sur l’adoption de nouvelles règles dans chacun des Etats.L’OCDE évoque l’adoption de règles générales contre l’évasion fiscale, les General Anti Avoidance Rules (GAAR) que l’Inde ou le Royaume-Uni sont en train d’adopter et que nous connaissons bien en France au travers de l’abus de droit ou de la théorie jurisprudentielle de l’acte anormal de gestion. La Commission européenne dans sa recommandation de décembre 2012 relative à la planification fiscale agressive propose également aux Etats membres d’adopter une règle générale contre les montages artificiels.

Toutefois, ainsi que l’indique l’OCDE, ces dispositions ne sont en général pas très efficaces pour lutter contre les dispositifs hybrides puisque la mesure de l’abus ne se fait en général qu’au travers d’une seule juridiction et le fait que l’autre Etat adopte un régime asymétrique n’est pas, en soi, constitutif d’un abus dans le premier Etat.Les dispositions visant expressément les hybrides semblent plus efficaces, mais sont-elles justifiées ? L’OCDE conclut que les règles spécifiques et ciblées qui lient le régime fiscal applicable dans le pays concerné au régime fiscal applicable dans l’autre Etat ont déjà été adoptées par un certain nombre de pays (Italie, Royaume-Uni, etc.) et peuvent s’avérer particulièrement efficaces. Elles peuvent empêcher la déduction d’une même dépense dans plusieurs Etats, la déduction de paiements non taxés dans l’autre Etat ou encore permettre la non-exonération des revenus ayant donné lieu à déduction dans l’autre Etat.

Dans la même veine, la Commission, dans sa recommandation de décembre 2012, invite les Etats membres à insérer dans les conventions fiscales et dans leur législation nationale des mesures subordonnant les exonérations de revenu à l’imposition de celui-ci dans l’autre juridiction. Cependant ces recommandations méritent d’être nuancées car elles ne prennent pas en compte les objectifs de politique générale des règles fiscales mises en place. Si un pays souhaite attirer les capitaux étrangers en prévoyant une déduction générale des intérêts et une absence de retenue à la source, pourquoi subordonnerait-il soudainement cette déduction au fait que le prêteur bénéficie d’un régime fiscal favorable dans son pays de résidence ? De même l’application générale par les Etats de règles anti-hybrides poserait la question de savoir celle qui prévaut pour une même transaction impliquant deux juridictions ayant adopté de telles règles ; à défaut elles pourraient aboutir à des situations de double taxation.


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