Le sujet de la transparence fiscale est un serpent de mer dans de nombreux pays : tant les gouvernements que les autorités fiscales ou l’opinion publique considèrent que les entreprises et notamment les grandes entreprises acquittent des montants d’impôt sur les bénéfices («IS») considérés comme insuffisants.
Par Thierry Morgant, avocat, associé, cabinet Landwell & Associés.
Le rapport de l’OCDE sur l’érosion des bases taxables et les transferts de bénéfices publié au mois de février ne dit pas autre chose et suggère des pistes de réflexion qui pourraient permettre de comprendre pourquoi les recettes d’IS des Etats restent stables ou se réduisent. En fonction des pays et des environnements économiques, il est probable que les réponses à cette question soient multiples et dépassent la simple technique fiscale comme cela est parfois reproché aux entreprises. Toutefois, un sujet revient constamment qui est celui de l’extrême complexité pour obtenir une vision claire et précise de la réalité fiscale dans les groupes internationaux.Il est de plus en plus fréquent que soit émise l’idée d’une refonte des obligations mises à la charge des entreprises en matière de communication financière ou de publication. L’Union européenne a consulté il y a deux ans les entreprises sur une proposition envisageant que celles-ci rendent publiques les informations concernant non plus une charge d’impôt consolidée globalement mais détaillée par pays.
Le Sénat dans son enquête parlementaire de 2012 a longuement questionné les entreprises et leurs dirigeants sur les bénéfices réalisés hors de nos frontières et souhaité obtenir des informations précises sur le sujet. L’OCDE enfin émet l’idée d’un taux effectif par pays comme l’un des moyens d’une compréhension accrue de la situation fiscale des groupes. Toutes ces demandes peuvent sembler légitimes si en effet la solution au manque de revenus IS se trouve dans des bénéfices que les entreprises auraient artificiellement transférés dans un autre Etat en contrariété avec les règlementations applicables. Pour autant les Etats disposent de tous moyens pour faire évoluer les textes applicables et la multiplicité des régimes fiscaux, des incitations fiscales et des décisions particulières ne sont que l’émanation de la volonté de ces derniers. Sur la forme, la communication financière des entreprises obéit à des règles internationales qui échappent au pouvoir de décision direct des Etats (1). Les deux organismes principaux que sont l’IASB et le FASB définissent des normes comptables et des obligations dont la finalité est de permettre la comparabilité de la situation financière des entreprises et non d’aider les Etats à identifier des situations fiscales qui, potentiellement, pourraient être discutées ou remises en cause.
De même, un grand nombre d’Etats dont la France ne reconnaissent pas les comptes IFRS au plan fiscal et imposent que la norme comptable nationale reste le seul référentiel utilisable pour déterminer les résultats servant au calcul de l’IS à payer. Or pour qu’une analyse comparée puisse être réalisée utilement, il serait essentiel que les points de départ soient identiques. Demander aux entreprises de publier une information fiscale détaillée par pays ne résoudra pas le problème de rendement budgétaire de l’IS, hors des abus manifestes pour lesquels l’arsenal législatif existant permet normalement de rétablir un niveau de taxation légitimement fondé. Par ailleurs, la complexité opérationnelle et la charge de travail que représente la publication d’un taux effectif par pays ne doivent pas être sous-estimées car beaucoup d’entreprises n’ont pas mis en place les systèmes d’information permettant d’obtenir ce niveau de détails de manière aisée.
Enfin, il y aurait de nombreuses questions techniques à résoudre pour que l’information soit pertinente, comme le référentiel comptable applicable et la prise en compte, ou non, des transactions intragroupes dans les résultats présentés. Selon les cas, l’image fiscale transmise sera très différente. Pour autant, l’objectif est vertueux, notamment en ce que la transparence rétablirait indirectement des situations de concurrence améliorée au plan fiscal entre les entreprises avec une lisibilité accrue des situations particulières de chacun, à supposer que les règles soient les mêmes pour toutes les entreprises. Mais il convient sans doute, avant d’envisager une forme de réponse technique, de clarifier la notion de transparence fiscale et d’inscrire la démarche qui serait engagée dans une logique positive où les entreprises ne sont pas présumées fautives.
(1). Les évolutions des textes sont approuvées par les Etats mais non décidées par ceux-ci.