Par Guilhem Calzas, avocat, et Nicolas Busin, PwC Société d’Avocats
Pour l’application des conventions fiscales internationales, la reconnaissance du statut de résident fiscal de l’un des Etats contractants revêt une importance déterminante dès lors qu’elle constitue l’une des conditions nécessaires pour que le contribuable puisse bénéficier de ces conventions1.
Dans une décision du 9 juin 20202, le Conseil d’Etat a jugé qu’un contribuable peut être reconnu résident d’un Etat alors qu’il n’y est imposé que sur des revenus de source locale et non sur l’ensemble de ses revenus. Le Conseil d’Etat précise ainsi qu’il peut y avoir résidence conventionnelle sans obligation fiscale illimitée !
Censure de la décision de la cour administrative d’appel ayant refusé la qualité de résident
En l’espèce, le contribuable s’était installé en Chine avec son épouse et ses enfants, pour diriger une usine au cours des années 2013 et 2014. Pendant cette période, le contribuable a perçu des dividendes de source française. Le contribuable n’étant pas résident fiscal français au sens de l’article 4 B du Code général des impôts, les dividendes ont été soumis à une retenue à la source en France au taux de 30 % en vigueur à cette date. Le contribuable entendait se prévaloir du statut de résident fiscal chinois au sens de la convention fiscale signée entre la Chine et la France alors en vigueur3 pour bénéficier d’une réduction à 10 % du taux de la retenue à la source.
Cette demande a été rejetée par l’administration fiscale française, ainsi que par le tribunal administratif4 puis par la cour administrative d’appel5. Cette dernière a en effet considéré que le contribuable ne pouvait être regardé comme résident de Chine pour l’application de la convention dès lors, notamment, qu’il n’était imposé en Chine que sur ses salaires de source chinoise et non sur ses dividendes de source française. A cet égard, la cour a relevé que le contribuable n’avait pas établi que l’absence d’imposition des revenus de source étrangère résultait de l’application du régime des «impatriés» en Chine et n’affectait pas le caractère illimité de son obligation fiscale dans cet Etat. Il résulte de la décision de la cour que le contribuable ne pouvait être reconnu résident chinois dès lors qu’il n’était pas en mesure de démontrer une obligation fiscale illimitée en Chine.
Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat considère que cette position n’est pas conforme à l’article 4.1 de la convention fiscale de 1984 qui dispose que la notion de «résident d’un Etat contractant» désigne «toute personne qui, en vertu de la législation fiscale de cet Etat, est assujettie à l’impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction générale ou de tout autre critère analogue».
Par suite, le Conseil d’Etat censure l’arrêt de la cour administrative d’appel dans la mesure où le caractère illimité ou non de l’obligation fiscale du contribuable en Chine était sans incidence sur la qualification de résident. Le Conseil d’Etat précise ainsi qu’il appartenait seulement à la cour administrative d’appel de rechercher si la Chine assujettissait le contribuable à l’impôt, le cas échéant sur certains seulement de ses revenus, en raison d’un lien personnel (domicile, résidence, lien personnel analogue) et non uniquement de leur source chinoise.
Il appartiendra à la cour administrative d’appel de renvoi de déterminer si le contribuable peut se prévaloir d’un lien personnel de rattachement avec la Chine à raison, par exemple, de son domicile.
Une nouvelle précision jurisprudentielle sur les conditions de reconnaissance du statut de résident
Les conditions nécessaires à la reconnaissance de la qualité de résident ont été détaillées au travers d’une jurisprudence importante du Conseil d’Etat.
La haute juridiction a ainsi jugé que les personnes exonérées d’imposition à raison de leur statut ou de leur activité ne pouvaient pas se voir accorder la qualité de résident au sens conventionnel. Dans les décisions LHV6 et Santander7 du 9 novembre 2015, le Conseil d’Etat a refusé la qualité de résident respectivement à une caisse de prévoyance allemande et à un fonds de pension espagnol. Les conventions fiscales doivent être interprétées à la lumière de leur objet, qui est notamment d’éliminer les doubles impositions. Par suite, les personnes qui bénéficient d’une exonération d’impôt en raison de leur statut ou de leur activité ne peuvent être regardées comme assujetties à imposition au sens des conventions fiscales et ne peuvent donc se voir reconnaître la qualité de résidentes.
La décision Easyvista du 20 mai 20168 a permis au Conseil d’Etat de préciser que l’assujettissement du contribuable limité à un impôt forfaitaire non visé par la convention franco-libanaise9 ne lui permet pas de se prévaloir de la qualité de résident au sens de cette convention.
Dans une décision Moghadam du 24 janvier 201110, le Conseil d’Etat avait déjà jugé que l’existence d’un lien de rattachement personnel du contribuable à l’Etat est seule pertinente pour apprécier la qualité de résident au regard d’une convention fiscale, telle que la convention franco-allemande, qui ne contient aucune référence quant à l’étendue de l’obligation fiscale du contribuable. Le Conseil d’Etat avait confirmé la position de la cour administrative d’appel selon laquelle l’assujettissement à un impôt dans un Etat ne suffisait pas à démontrer que le contribuable était assujetti dans cet Etat en raison de son domicile, de sa résidence ou d’un lien personnel analogue et non uniquement de la source locale des revenus.
Pour apprécier la qualité de résident, il convient de rechercher la cause de l’assujettissement du contribuable et non l’étendue de cette obligation. Cette qualité est reconnue à la personne assujettie à raison de son domicile, de sa résidence ou d’un lien personnel analogue. En revanche, une personne assujettie du seul fait que les revenus qu’elle perçoit trouvent leur source dans l’Etat d’imposition, sans qu’un lien personnel avec cet Etat ne soit caractérisé, ne peut pas se prévaloir du statut de résident au sens conventionnel.
Le Conseil d’Etat confirme cette jurisprudence par la décision commentée et retient une interprétation littérale de la convention franco-chinoise de 1984. L’arrêt de la cour administrative d’appel se trouve ainsi censuré en ce que la cour s’est abstenue de caractériser le lien de rattachement personnel et qu’elle a retenu un critère, celui de l’étendue de l’obligation fiscale du contribuable, qui est indifférent au sens de la convention.
La portée de la décision du 9 juin 2020
Au-delà du cas de l’ancienne convention franco-chinoise, la décision du 9 juin 2020 permet d’apprécier la qualité de résident d’un contribuable au regard de toutes les conventions fiscales signées par la France qui ne comportent pas de restriction quant au caractère limité de l’imposition du contribuable. Tel est notamment le cas des conventions signées avec l’Allemagne11 et le Brésil12.
S’agissant des relations franco-chinoises, la convention fiscale du 26 novembre 2013, applicable à compter de 2015, précise désormais que les personnes qui ne sont assujetties à l’impôt dans un Etat que pour les revenus qui trouvent leur source dans cet Etat ne sont pas considérées comme des résidents de cet Etat13. La restriction introduite par la nouvelle convention correspond à la seconde phrase de l’article 4 § 1 du modèle de convention de l’OCDE, introduite en 1977. Les commentaires du modèle précisent à cet égard14 que cette restriction vise en particulier, s’agissant des personnes physiques, les agents diplomatiques et les fonctionnaires consulaires étrangers en service sur leur territoire. S’agissant des personnes morales, cette restriction exclut notamment les entreprises sous contrôle étranger exonérées d’impôt sur leurs revenus étrangers en vertu de régimes de faveur conçus pour attirer les sociétés relais.
En revanche, cette restriction ne vise aucunement à exclure du champ d’application des conventions fiscales tous les résidents de pays qui appliquent un principe de territorialité en matière fiscale, c’est-à-dire qui ne taxent pas leurs résidents sur leurs revenus mondiaux mais sur leurs seuls revenus de source interne.
Il appartiendra aux tribunaux de déterminer si un régime d’exonération fiscale temporaire applicable aux impatriés, comme celui invoqué par le contribuable dans la décision commentée, est visé par la restriction du modèle de convention de l’OCDE ou si cette exonération, relevant de règles d’assiette de l’Etat de résidence, se révèle sans incidence sur le principe d’un assujettissement intégral à raison d’un critère personnel et n’est donc pas exclusive de la qualité de résident.
1. Hormis le cas spécifique des clauses de non-discrimination, qui sont fondées sur un critère de nationalité.
2. CE, 9 juin 2020, n° 434972, M. A.
3. Convention fiscale du 30 mai 1984 entre la Chine et la France.
4. TA Montreuil, 19 septembre 2017, n° 1604725.
5. CAA Versailles, 29 mai 2019, n° 17VE03385.
6. CE, 9 novembre 2015, Landesärztekammer Hessen Versorgungswerk, n° 370054.
7. CE, 9 novembre 2015, Société Santander Pensiones SA EGFP, n° 371132.
8. CE, 20 mai 2016, Easyvista, n° 389994.
9. Convention fiscale du 24 juillet 1962 entre la France et le Liban.
10. CE 24 janvier 2011, n° 316457, Moghadam.
11. Convention fiscale du 21 juillet 1959 entre l’Allemagne et la France.
12. Convention fiscale du 10 septembre 1971 entre le Brésil et la France.
13. Convention fiscale du 26 novembre 2013 entre la Chine et la France, article 4 § 1.
14. OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune (version complète), 2017.