Conscientes de l’impact de l’ESG sur leur valeur patrimoniale, les entreprises ont progressivement mis en place au sein des management packages des critères d’appréciation de performance qui incluent des objectifs ESG et cela quel que soit le niveau hiérarchique.
Ainsi, aux objectifs financiers et économiques traditionnels (chiffre d’affaires, résultats opérationnels, etc.) se superposent désormais couramment des critères ESG aux plans de rémunération. L’objectif est clair : étroitement lié à l’image et à la valeur de la société, le développement durable est au cœur du projet entrepreneurial, et tous les acteurs de l’entreprise sont invités (incités) à s’investir pour permettre l’atteinte des objectifs ESG fixés par l’entreprise.
Ce sont les entreprises cotées en bourse qui, les premières, ont mis en place des management packages prenant en compte les conditions de performance ESG de l’entreprise dans la détermination de la rémunération de leurs dirigeants. A ce titre, dès 2020, le Code Afep-Medef sur la gouvernance d’entreprise des sociétés cotées préconisait d’inclure un ou plusieurs critères extra-financiers dans la rémunération variable des dirigeants d’entreprises. Dans le même temps, les actionnaires ont encouragé les entreprises à étendre ce mécanisme spécifique de rémunération à un panel plus étendu de cadres (directeurs juridiques, directeurs financiers, DRH, membres des comités, etc.).
Désormais, sauf rares exceptions, les sociétés cotées en France ont largement intégré les critères ESG dans le calcul de la rémunération variable de leurs dirigeants, et un nombre croissant d’entre elles ont par ailleurs étendu ce mécanisme de rémunération à leurs managers clés.
On le voit, l’objectif est que la valeur créée par la société infuse en son sein avec fluidité et soit partagée par le plus grand nombre de parties prenantes dans l’entreprise, qu’il s’agisse des actionnaires et dirigeants naturellement, mais également des cadres et, dans la mesure du possible, des salariés.
Le phénomène exposé ci-avant n’est toutefois pas entièrement nouveau, puisque dès juin 2017, le rapport « Critères RSE et rémunérations » préparé par l’ORSE et PwC soulignait que plus de 40 % des entreprises du CAC40 avaient intégré ces critères dans la détermination des primes de leurs managers. Ce qui est néanmoins frappant, c’est son développement et sa généralisation rapides, et ce au-delà des sociétés cotées.
Effectivement, on observe que ces objectifs et critères ESG s’étendent progressivement à la rémunération des dirigeants de sociétés non-cotées, et un nombre croissant de sociétés de gestion de fonds d’investissement incluent désormais ceux-ci dans le package de leurs managers et mettent en place des indicateurs permettant de suivre la progression de leurs sociétés de portefeuille vers des modes de fonctionnement alignés sur les attentes du marché en matière de durabilité. De nombreux fonds établissent des KPIs extra-financiers à atteindre au sein de leurs participations et corrèlent l’atteinte des objectifs ESG et l’attribution du carried interest. De manière plus vertueuse encore, certains fonds privilégient les investissements dans les entreprises à impact, et à l’inverse délaissent certains secteurs d’activité dont la réputation est sujette à controverse.
Comme nous l’avons souligné, les enjeux sont majeurs, puisqu’ils concernent non seulement la valorisation de l’entreprise (et dès lors la plus-value de cession qui en découlera), essentielle pour le fonds d’investissement, mais également son accès aux financements. Au-delà de ces considérations purement patrimoniales, il va sans dire que l’indexation des rémunérations sur les critères ESG contribue à renforcer positivement l’image de l’entreprise auprès des consommateurs et de ses partenaires commerciaux. Ces packages de rémunération devraient également impacter positivement la « marque employeur » et permettre d’attirer des talents, lesquels seront étroitement associés (humainement et financièrement) à la mise en œuvre de la stratégie ESG de l’entreprise, par le jeu d’incitations à atteindre tels ou tels objectifs.
Les difficultés pratiques inhérentes à ces systèmes de packages de rémunération ESG ne résident pas tant dans leur structuration juridique, puisque ces management packages s’appuient en grande partie sur des mécanismes existants (au-delà des dispositifs spécifiques tels que, par exemple, la proposition de loi reprenant les grands principes de l’Accord International Interprofessionnel (ANI) sur le partage de la valeur ci-avant décrite), mais dans la difficulté pratique à les corréler avec des objectifs extra-financiers, dont les contours demeurent relativement flous et protéiformes.
Des outils classiques
Les outils juridiques les plus communément utilisés pour prendre en considération les critères ESG dans les management packages sont les attributions gratuites d’actions (AGA) et les bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE). Des outils plus sophistiqués, tels que des actions de préférence (pouvant d’ailleurs être attribuées également via une attribution gratuite d’actions) dont les droits seraient conditionnés à l’atteinte de certains objectifs collectifs, peuvent bien sûr être envisagés.
Les deux mécanismes que sont les attributions gratuites d’actions et les BSPCE présentent l’avantage de la simplicité et de la gratuité, puisqu’ils permettent à la société d’incentiver leurs bénéficiaires sans avoir à décaisser de trésorerie. Tous deux constituent une bonne alternative au versement d’une prime ou d’un bonus, le bénéficiaire étant directement intéressé à la valorisation de l’entreprise ce qui lui permettra de dégager une plus-value de cession potentielle plus importante au moment de la cession des titres.
La mise en place d’AGA ou de bons de souscription d’actions est plus contraignante eu égard à leur traitement fiscal et social et les récents arrêts de la Cour de cassation et du Conseil d’état ont mis un sérieux coup de frein à leur utilisation1-2. Dès lors, les BSPCE sont généralement plébiscités, pour autant que les conditions de leur attribution soient remplies (notamment, critère d’ancienneté inférieure à 15 ans, IS, distribution du capital entre personnes physiques et personnes morales, etc).
Néanmoins, dans la pratique, les fonds d’investissement auront à cœur de s’assurer de l’alignement des intérêts des fondateurs ou managers avec leurs propres intérêts. Dès lors, dans les opérations de private equity, les managers sont fréquemment appelés à investir aux côtés du fond. Ces outils juridiques, dont la mise en place est plus contraignante et plus complexe, peuvent prendre des formes variées : ratchet ou sweet equity.
Des critères ESG délicats à appréhender
Les critères ESG ne revêtent pas la même objectivité que les critères économiques habituels que peuvent être le résultat ou le chiffre d’affaires. Aussi, pour être efficaces et pertinents, ceux-ci doivent s’inscrire dans une politique claire et cohérente et nécessitent un effort d’identification important.
En particulier, les critères ESG retenus doivent être propres à chaque entreprise considérée. Les critères ESG retenus doivent non seulement être réalistes, lisibles et transparents, mais leur réalisation doit pouvoir être appréciée et mesurée avec une certaine objectivité, eu égard à l’activité de la société.
À ce titre, un certain nombre de recommandations peuvent être formulées :
- ne pas multiplier les critères ESG en voulant tout capturer et brouiller les objectifs à atteindre, mais au contraire privilégier 2 ou 3 critères réalistes et quantifiables,
- privilégier les objectifs précis et mesurables (parité hommes femmes, tonnes de CO2, tonnes de déchets par exemple),
- opter pour des objectifs en adéquation avec l’organisation de l’entreprise et son activité,
- fixer des objectifs cohérents avec le profil des populations concernées dans l’entreprise,
- définir avec discernement la quote-part de la rémunération qui sera indexée sur les critères ESG.
Sous réserve d’être correctement calibrée, notamment en fixant des objectifs transparents, réalistes et quantifiables, la prise en compte des critères ESG dans la rémunération, notamment via les management packages, devrait avoir un effet positif sur les performances de l’entreprise, et dès lors contribuer à la génération et au partage de valeur.
1. Conseil d’Etat, formation plénière, 13 juillet 2021, N° 428506, 435452, 437498
2. Cassation, 2è chambre civile, 28 septembre 2023, n° 21-20.685 : requalification des gains issus des bons de souscription d’actions en salaires, et réintégration dans l’assiette des cotisations sociales dues par l’entreprise en tenant compte de la date effective d’exercices des bons par chacun des bénéficiaires tant pour le fait générateur que pour l’évaluation de leur assiette.