La lettre gestion des groupes internationaux

Conjuguer transition ESG et compétitivité : les défis du Paquet Omnibus

Publié le 24 avril 2025 à 16h53

PwC Société d'Avocats    Temps de lecture 10 minutes

Par Antoine Coursaut-Durand, avocat associé, PwC Société d’Avocats et  Baptiste Guilberteau, avocat, PwC Société d’Avocats

L’économie européenne doit relever un défi qui peut sembler paradoxal : gagner en compétitivité – ce qui peut être facilité par un allégement de la contrainte réglementaire – tout en créant une croissance durable – ce qui peut difficilement se faire sans réglementation contraignante.

Cet impératif, avancé par le Rapport Draghi et la déclaration de Budapest sur le nouveau pacte pour la compétitivité européenne, est l’une des priorités et trouve une traduction juridique dans le Paquet Omnibus présenté le 26 février 2025 par la Commission européenne.

Composé de deux projets de directives, le Paquet Omnibus ambitionne de modifier deux directives piliers de l’édifice ESG :

• La Directive CSRD, qui oblige les entreprises à produire un reporting extra-financier annuel de leurs activités, dont le périmètre couvre les risques climatiques et les enjeux sociaux et de gouvernance ;

• La Directive CS3D, qui impose un devoir de diligence raisonnable que les entreprises doivent respecter sur toute leur chaîne de valeur, ce qui inclut donc leurs propres activités mais aussi celles de de leurs fournisseurs.

Le Paquet Omnibus va immanquablement faire l’objet de nombreuses modifications au fil de son parcours législatif au cours de l’année 2025. Les discussions se sont ouvertes devant le Parlement européen, mardi 1er avril. Le texte devra être adopté par le Parlement européen et par le Conseil de l’UE.

1. Les points clés du Paquet Omnibus

Les principales modifications de la Directive CSRD, à ce stade, consistent en une réduction du périmètre et une simplification des normes de reporting :

• Concentration des obligations de reporting sur les plus grandes entreprises. Seules les entreprises de plus de 1 000 salariés et qui ont soit (i) un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros soit (ii) un total de bilan supérieur à 25 millions d’euros seraient concernées par les obligations de reporting. Par conséquent, le nombre d’entreprises soumises à ces obligations serait réduit de près de 80 %. Toutefois, les entreprises exclues des obligations de reporting pourraient appliquer un reporting volontaire, dont le cadre sera adopté par un règlement de la Commission européenne.

• Report des échéances de reporting de deux ans (Stop the clock) pour les entreprises de la vague 2 (grandes entreprises non cotées) et de la vague 3 (PME cotées). Cette mesure a été adoptée le 3 avril par une large majorité. Par ailleurs, le même jour, le Sénat français a adopté une disposition similaire figurant dans le projet de loi DDADUE 51, qui prévoit aussi le même report de deux ans.

• Réduction du nombre d’indicateurs de reporting (ESRS). En outre, les normes sectorielles seraient supprimées.

• Allégement des informations pouvant être demandées dans la chaîne de valeur : les entreprises soumises à l’obligation de reporting ne pourront demander aux entreprises de moins de 1 000 employés composant leur chaîne de valeur que les informations prévues dans le cadre du reporting volontaire.

Les principales modifications de la Directive CS3D, à ce stade, consistent essentiellement en un allègement des obligations de diligence raisonnable :   

• Report des obligations de transposition par les Etats membres de la directive CS3D à juillet 2027 avec une application aux entreprises en juillet 2028.

• Simplification des obligations de diligence raisonnable : les entreprises ne seraient tenues que d’effectuer les évaluations détaillées des impacts négatifs dans la chaîne de valeur que pour les partenaires commerciaux directs (i.e. les fournisseurs de rang 1).

• Limitation des demandes d’informations aux PME : les entreprises ne peuvent demander que ce qui est prévu dans les normes de reporting volontaires.

• Alignement du contenu de plans de transition climat avec les exigences de la CSRD.

• Suppression de l’obligation pour les Etats membres d’introduire un régime de responsabilité civile associé au devoir de vigilance. Le principe de responsabilité civile des entreprises serait maintenu.

• Allègement des sanctions : les sanctions pécuniaires prévues au niveau de l’UE seraient supprimées.

2. Est-ce pour autant un renoncement au Green Deal de 2020 ?

S’agissant de la CSRD et de la CS3D, il existe une tension entre l’option de déréguler et celle de simplifier intelligemment. Il est trop tôt pour dire quel sera le point de chute. Mais il ne faut pas oublier que beaucoup de réglementations adoptées dans le cadre du Green Deal demeurent inchangées à ce stade.

On mentionnera, en premier, le Règlement SFDR (Règlement (UE) 2019/2088), qui intègre des critères sociaux et environnementaux aux produits financiers assurant un fléchage des investissements vers les produits les moins risqués en matière de durabilité. C’est à notre sens un levier très puissant. Les fonds d’investissements orientent leurs participations vers des objectifs de durabilité pour satisfaire les critères de qualification du SFDR. Ce vecteur a déjà et devrait continuer à pousser les entreprises de toutes tailles vers une transformation de leurs business models incluant la dimension durabilité.

Puis, des dizaines et des dizaines de réglementations ont été adoptées, des plus emblématiques comme la « Loi européenne sur le climat » (2) qui fixe un objectif de 55 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990 aux plus spécialisées comme le règlement RefuelEU Aviation (3), qui impose au secteur de l’aviation d’utiliser davantage de carburants renouvelables et bas carbone, de la plus mondiale comme le Règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts (4) à la plus localisée comme la directive renforcée sur la performance énergétique des bâtiments, et elles ne sont pas remises en cause.

Le Paquet Omnibus n’est donc pas un renoncement aux ambitions ESG de l’Union. Il se joue, au niveau mondial, une guerre de valeurs. L’Europe porte une certaine vision du monde, qui ne peut cependant pas se faire au détriment d’une croissance économique raisonnée.

3. L’enjeu : la réglementation  environnementale comme levier de compétitivité 

a) La réglementation : une opportunité de transformation du business model des entreprises

Il est notable que certaines évolutions réglementaires ont pu être un catalyseur de valeur pour les entreprises qui ont su adapter leur business model et saisir des opportunités.

La réglementation peut soutenir le développement d’un secteur. Le secteur des énergies renouvelables a bénéficié de politiques incitatives et de soutien depuis 25 ans, que ce soit par des contrats d’achats avec des prix subventionnés, par la simplification du cadre juridique (fin de la licence au titre du droit de l’énergie, autorisation environnementale unique, dans certains cas suppression du double degré de juridiction) ou encore par l’obligation de déployer des ombrières photovoltaïques. Le 31 mars 2025 à 15 h, le solaire représente par exemple 23 % du mix énergétique de la France. Naturellement, la progression n’a pas été linéaire. Il y a eu des stop-and-go, mais il serait inexact de soutenir que la réglementation n’est pour rien dans le développement des énergies renouvelables.

La réglementation est souvent un vecteur nécessaire au changement des usages. L’économie circulaire est un exemple particulièrement probant. Des lois comme la Loi AGEC sont à l’origine de changements dans les modes de productions et dans les usages : le réemploi, la limitation du sur-emballage, la transformation du cycle de vie des produits en utilisant des matériaux recyclés et renouvelables, l’extension des éco-organismes ou encore la rénovation énergétique des bâtiments, sont autant de transformations que la réglementation a poussé.

b) Une réglementation environnementale au service de la compétitivité

Nous avons la conviction que la réglementation peut être un vecteur de compétitivité. On peut évoquer quelques points d’attention.

1. Légitimité et enjeux. En Europe, heureusement, il n’est pas besoin d’argumenter sur l‘existence du changement climatique et de la nécessité et l’utilité de modifier les comportements des consommateurs et des entreprises. C’est le rôle que devra remplir ce Paquet Omnibus, rafraichir la légitimité du Green Deal. Pour ce faire, il sera nécessaire de convaincre les entreprises que la réglementation va réellement être simplifiée.

2. Stabilité, visibilité et sécurité juridique. Pour être efficace, la réglementation doit être stable. Le but à atteindre doit être intangible pour conduire les entreprises à s’adapter. Bien sûr, la difficulté est de définir des buts réalistes et des délais raisonnables. En revanche, il est impératif que les objectifs soient fermes pour que les entreprises prennent leurs décisions d’investissement vers une transformation durable.

3. Protection. La réglementation doit être la même pour tous. On voit très souvent la réglementation comme un fardeau. En revanche, elle peut aussi protéger en matière de durabilité face à une concurrence internationale qui ne respecte pas les mêmes niveaux d’exigences en matière d’environnement. Par exemple, on ne peut que regretter les délais dans la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, qui soumet certains produits importés dans le territoire de l’UE à une tarification carbone lorsque ces pays n’ont pas de législation équivalente sur la tarification carbone ou ne sont pas intégrés dans le système d’échange de quotas de l’UE.

4. Incitation financière. Il serait irréaliste de croire que le consommateur va accepter de payer le surcoût de la durabilité. Avec la crise du pouvoir d’achat existant en Europe et la très difficile coopération entre les acteurs d’une chaîne de valeur, il existe une défaillance de marché que seuls les Etats peuvent en partie corriger. Par exemple, on ne peut que souhaiter le développement et l’encadrement d’un marché du crédit carbone volontaire qui permet aux entreprises de monétiser leurs efforts.

5. Transversalité. Les entreprises souhaitent de la simplification. Au-delà de l’allégement des obligations, il est important que les politiques de durabilité adoptent une approche globale et multi-secteurs. Pour des raisons juridiques ou de négociations politiques, la réglementation européenne ressemble souvent à un patchwork de mesures qui n’a pas fait l’objet d’une mise en cohérence d’ensemble.  Comme avec la politique du « dites-le nous une fois », on souhaite que les obligations de reporting, la taxonomie ou la diligence raisonnée propres à la CSRD, la CS3D, la SFRD ou encore la réglementation sur la déforestation importée soient unifiées par exemple.

Conclusion – le défi de l’acceptabilité ?

Le défi du Paquet Omnibus est celui de l’acceptabilité. Dans un contexte de crise du pouvoir d’achat et de guerre économique, une solution passe sans doute par un usage plus agressif de la réglementation européenne en matière de durabilité. C’est un outil pour protéger l’industrie européenne. Cela implique de parvenir dans le cadre des discussions sur le projet du Paquet Omnibus à un pacte plus équilibré entre les enjeux de la transition climatique, les enjeux économiques et la protection des consommateurs. 

1. Projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes.

2. Règlement (UE) 2021/1119 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) no 401/2009 et (UE) 2018/1999.

3. Règlement (UE) 2023/2405 relatif à l’instauration d’une égalité des conditions de concurrence pour un secteur du transport aérien durable (ReFuelEU Aviation).

4. Règlement (UE) 2023/1115 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union et à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, et abrogeant le règlement (UE) no 995/2010.


La lettre gestion des groupes internationaux

Les Enjeux ESG-RSE et la Transformation des Directions Juridiques : une histoire de Métamorphose

PwC Société d'Avocats    Temps de lecture 6 minutes

Lire l'article

Consulter les archives

Voir plus

Chargement en cours...

Chargement…