La lettre gestion des groupes internationaux

Enjeux réputationnels et ESG : un impératif stratégique pour les entreprises

Publié le 24 avril 2025 à 16h13

PwC Société d'Avocats    Temps de lecture 12 minutes

Par Eric Hickel, avocat associé, PwC Société d’Avocats et Anne-Laure Legout, avocate, PwC Société d’Avocats

Les enjeux réputationnels et ESG sont devenus des facteurs clés de performance et de différenciation pour les entreprises, qui doivent répondre aux attentes croissantes de leurs parties prenantes (clients, investisseurs, salariés, régulateurs, ONG, médias, etc.) en matière de responsabilité sociétale, ce dans un contexte d’inflation normative (CSRD, CS3D, etc.) et de judiciarisation de l’ESG (à ce titre, le Guide pratique à destination des métiers réalisé par l’ORSE en partenariat avec PwC met en lumière les thématiques clés pouvant faire l’objet de contentieux ESG, telles que le devoir de vigilance, les risques contentieux liés aux réglementations environnementales, sociales et de gouvernance (1)).

1. L’intégration croissante des facteurs ESG dans l’évaluation de la réputation d’une entreprise : un risque, mais également une chance

Les enjeux réputationnels sont notamment liés à la perception qu’ont les parties prenantes de la capacité de l’entreprise à créer de la valeur durable, à respecter ses engagements éthiques, à gérer les risques et les crises, et à contribuer positivement aux enjeux sociétaux. Une bonne réputation peut être un atout stratégique, qui renforce la confiance, la fidélité, la préférence et la recommandation des parties prenantes, et qui protège l’entreprise des attaques ou des controverses.

A l’inverse, une mauvaise réputation peut avoir des conséquences négatives, telles que la perte de clients, de parts de marché, de talents, de financements, de licences ou encore la dégradation de la notation, la baisse du cours de l’action ou la sanction des autorités. 

Les enjeux ESG découlent également de la prise en compte par l’entreprise, quelle qu’en soit la raison, des impacts de ses activités sur l’environnement, le social et la gouvernance, et à sa capacité à intégrer ces dimensions dans sa stratégie, sa gestion, sa communication et son reporting.

La réputation d’une entreprise est ainsi aujourd’hui scrutée à travers le prisme des critères ESG et cette évolution s’explique par les facteurs interdépendants suivants.

L’émergence de nouvelles attentes des parties prenantes : Les investisseurs, les consommateurs, les employés, les pouvoirs publics, les organisations non gouvernementales (ONG) et la société civile dans son ensemble accordent une importance croissante aux pratiques ESG des entreprises.

Ils sont, en outre, devenus des critères de plus en plus importants pour les investisseurs, qui évaluent la performance financière et extra-financière des entreprises, et qui intègrent des principes de durabilité, d’éthique et de transparence dans leurs décisions d’investissement, conscients des risques et opportunités à long terme liés aux enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance.

Les consommateurs, quant à eux, sont de plus en plus sensibles à l’impact des produits et services qu’ils achètent et sont prêts à boycotter les entreprises dont les pratiques sont jugées non durables ou contraires à leurs valeurs.

De même, les salariés sont d’avantage enclins à rejoindre et à rester dans des entreprises qui affichent un engagement sincère en matière de responsabilité sociale et environnementale.

Une pression réglementaire et législative croissante : Les législateurs nationaux et internationaux ont multiplié les initiatives visant à encadrer les pratiques ESG des entreprises. Des obligations de reporting extra-financier (comme la Directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises - CSRD), des lois sur le devoir de vigilance (à l’instar de la loi française relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre ou de la proposition de directive européenne sur le devoir de diligence des entreprises en matière de durabilité - CSDDD), et des réglementations sectorielles spécifiques se développent, imposant aux entreprises une plus grande transparence et une meilleure prise en compte des enjeux ESG.

Le non-respect de ces réglementations peut non seulement entraîner des sanctions financières, mais également nuire considérablement à la réputation de l’entreprise.

L’impact de la transparence et des médias sociaux : L’ère numérique et la prolifération des médias sociaux ont amplifié la visibilité des actions et des omissions des entreprises en matière d’ESG. Les informations, qu’elles soient positives ou négatives, circulent rapidement et peuvent avoir un impact immédiat sur la réputation. Un incident environnemental, une controverse sociale ou un scandale de gouvernance peuvent être relayés à grande échelle, entraînant une crise réputationnelle majeure difficile à gérer.

Toutefois, les enjeux ESG ne doivent pas être uniquement considérés sous un prisme négatif et contraignant par l’entreprise. Ils sont également de véritables leviers de création de valeur, qui permettent à l’entreprise de réduire ses coûts, d’optimiser ses ressources, d’innover, de fidéliser ses parties prenantes, de se différencier de ses concurrents, et de saisir des opportunités de marché (à ce propos, voir également : Françoise Gintrac – Comment estimer la valeur financière de la performance ESG (i)). 

2. Les risques réputationnels liés à une mauvaise performance ESG

Une performance ESG déficiente expose les entreprises à une série de risques réputationnels significatifs :

• Les scandales environnementaux et le « Greenwashing » : Les atteintes à l’environnement, telles que les pollutions, la déforestation ou la contribution au changement climatique, peuvent avoir des conséquences désastreuses sur la réputation d’une entreprise.

Parallèlement, les pratiques de « greenwashing », consistant à communiquer de manière trompeuse sur les efforts environnementaux, sont désormais démasquées et sanctionnées et entraînent une perte de confiance des consommateurs et des autres parties prenantes : l’entreprise est alors décrédibilisée.

• Les problèmes sociaux et de droits humains : Les manquements notamment en matière de conditions de travail, de respect des droits humains dans la chaîne d’approvisionnement, de discrimination ou de sécurité des produits peuvent engendrer des boycotts, des campagnes de dénigrement et des poursuites judiciaires, impactant négativement la réputation de l’entreprise et sa marque.

• Les déficiences de gouvernance : Les problèmes de gouvernance, tels que la corruption, le manque de transparence, les conflits d’intérêts ou une mauvaise gestion des risques, peuvent éroder la confiance des investisseurs et des autres parties prenantes, affectant la crédibilité et la réputation de l’entreprise.

Les entreprises pourront toujours engager des recours juridiques en cas de diffamation ou de dénigrement infondé lié à leurs pratiques ESG avec pour objectif la protection de leur réputation. Néanmoins, en pratique, cette défense ne sera pas nécessairement aisée car l’intérêt général pourra être invoqué pour justifier l’atteinte. Par ailleurs, le mal sera fait -  si l’on peut dire -, la réputation publique de l’entreprise sera impactée et l’action judiciaire ne pourra tout effacer.

3. L’anticipation, la réponse au risque réputationnel et un nouveau challenge pour les entreprises et leurs parties prenantes

Les enjeux réputationnels et l’ESG sont donc étroitement liés et constituent des facteurs de risque et d’opportunité pour les entreprises.

Les entreprises doivent donc adopter une démarche proactive et cohérente, qui consiste à : 

• Définir une vision, une mission, des valeurs et des objectifs en matière de responsabilité sociétale, alignés avec leur stratégie globale et leur identité ; 

• Identifier et analyser les enjeux réputationnels et ESG pertinents pour leur secteur, leur activité, leur territoire, et leurs parties prenantes. A cet effet et dans un souci d’efficacité, il est nécessaire de procéder à la cartographie des risques d’atteinte aux principes ESG les plus susceptibles d’émerger en fonction de l’activité et de l’environnement de l’entreprise et de procéder, le cas échéant, à des régularisations immédiates ;

• Mettre en place des politiques, des procédures, des indicateurs, des contrôles et des audits internes et externes, pour assurer le respect des normes, des réglementations, des codes de conduite, et des engagements volontaires relatifs aux enjeux réputationnels et ESG. En outre, l’atteinte des objectifs fixés par l’entreprise sera conditionnée à la surveillance continue du respect des critères retenus en passant par une évaluation régulière du respect des principes ESG par l’entreprise, son groupe, voire ses partenaires. En raison du nombre de données à prendre en compte pour assurer cette veille, un monitoring via des outils digitaux ne peut être que vivement recommandé (1). 

• Anticiper et gérer les crises et les risques réputationnels en relation avec l’ESG, en établissant des plans de prévention, de détection, de réaction, et de réparation, et en mobilisant les ressources et les compétences nécessaires ; 

• Mesurer et évaluer l’impact et la performance de l’entreprise en matière de responsabilité sociétale, en utilisant des outils et des méthodes reconnus, et en tenant compte des retours et des recommandations des parties prenantes ; 

• Communiquer de manière transparente, crédible, régulière et adaptée aux besoins et aux attentes des parties prenantes, sur les actions, les résultats, les progrès, les difficultés, et les perspectives de l’entreprise en matière de responsabilité sociétale ; 

• S’engager dans une démarche d’amélioration continue, en se fixant des objectifs ambitieux et réalistes, en se comparant aux meilleures pratiques, en intégrant les évolutions des enjeux réputationnels et ESG, et en favorisant l’innovation et la collaboration. 

Si la direction générale et le top management doivent être totalement impliqués dans ces actions pour qu’elles soient efficientesii, l’embarquement de l’ensemble des composantes de l’entreprise est nécessaire.

Afin de remonter ces risques, les équipes doivent ainsi être sensibilisées aux critères ESG afin de pouvoir les identifier. Notamment les juristes, dont l’essence même est de circonscrire les risques pour l’entreprise, doivent être intrinsèquement associés à la mise en place des réponses aux manquements à ces critères.

La formation sur les aspects ESG des collaborateurs, notamment les juristes, est donc impérative. Paradoxalement, le Baromètre ESG des directions juridiques publié par PwC et l’AFJE (2) révèle que les directions juridiques sont insuffisamment matures quant à l’appréhension de ce nouveau paradigme et perçoivent l’ESG-RSE principalement comme un enjeu de conformité. L’impératif de transformation s’impose donc également aux juristes (3).

Par ailleurs et afin de renforcer la surveillance, il est également envisageable de mettre en place un organe social dédié à cette détection et surveillance des risques potentiels afin d’optimiser la réponse de l’entreprise à la survenance un éventuel manquement.

Même les investisseurs ont un intérêt et un rôle à jouer dans la démarche ESG de l’entreprise. Ainsi, ils pourront utilement utiliser leur droit d’audit (intégré dans la plupart des pactes d’actionnaires mis en place) pour vérifier la conformité de l’entreprise aux standards ESG souhaités.

En anticipant les risques et en se conformant à des standards ESG élevés, l’entreprise ne peut sortir que gagnante car elle pourra s’engager dans la voie d’une communication transparente auprès de ses clients, partenaires, salariés, actionnaires mais également envers le grand public, ce qui limitera de facto son risque en matière réputationnel.

4. L’ESG comme levier de réputation positive

Inversement, une performance ESG solide peut constituer un puissant levier de réputation positive pour les entreprises.

Les entreprises qui démontrent un engagement sincère et transparent en matière d’ESG sont davantage susceptibles de gagner la confiance et la fidélité de leurs clients, de leurs salariés et de leurs investisseurs.

Une bonne réputation ESG peut ainsi attirer de nouveaux clients, renforcer les relations avec les partenaires commerciaux et même favoriser la rétention des talents par l’adhésion à un projet commun.

Or, dans un marché du travail de plus en plus compétitif, les entreprises dotées d’une forte culture ESG sont plus attractives pour les jeunes générations, particulièrement sensibles aux enjeux de durabilité et de responsabilité sociale. L’engagement en matière d’ESG de l’entreprise peut ainsi faciliter le recrutement et la fidélisation des employés les plus talentueux entraînant ipso facto une valeur ajoutée importante pour l’entreprise à tous points de vue.

Par ailleurs et notamment pour les raisons développées supra, les investisseurs sont de plus en plus attentifs aux performances ESG des entreprises et sont plus enclins à investir dans celles qui présentent un profil de risque ESG faible et un potentiel de croissance durable. Une bonne réputation ESG peut ainsi faciliter l’accès au capital et améliorer la valorisation de l’entreprise.

Conclusion

Les enjeux réputationnels et ESG sont intrinsèquement liés et constituent un impératif stratégique pour les entreprises. Une performance ESG solide n’est plus seulement une question d’éthique ou de conformité réglementaire, mais un facteur clé de succès et de pérennité. Les entreprises qui intègrent véritablement les critères ESG dans leur stratégie et leurs opérations sont mieux armées pour répondre aux attentes croissantes des parties prenantes, gérer les risques, saisir les opportunités et construire une réputation durable et positive. À l’inverse, les négligences en matière d’ESG peuvent engendrer des dommages réputationnels importants, aux conséquences financières et opérationnelles potentiellement désastreuses. Dans un contexte de transparence accrue et de sensibilité croissante aux enjeux de durabilité, la gestion proactive des risques et des opportunités liés à l’ESG est devenue une compétence essentielle pour toute entreprise soucieuse de sa réputation et, plus globalement, de son avenir. 

1. www.pwcavocats.com/fr/ouvrages-et-etudes/2025/guide-pratique-a-destination-des-metiers-tout-savoir-sur-les-reglementations-esg.html

2. PwC Société d’Avocats - Baromètre ESG-RSE x Directions Juridiques -2024.

3. Les Enjeux ESG-RSE et la Transformation des Directions Juridiques : Une histoire de Métamorphose, Nathalie Dubois, Jérôme Rusak, Eric Hickel.

i. www.pwcavocats.com/fr/lettres-actualite/2023/avis-d-expert/comment-estimer-la-valeur-financiere-de-la-performance-esg.html

ii. Communication de l’entreprise et niveau d’engagement, Eric Hickel, Lionel Yemal et Clément Vasset


La lettre gestion des groupes internationaux

Edito / L’ESG reste un vecteur profond de transformation des entreprises

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