Statuant sur renvoi à la suite d’une importante décision du Conseil d’Etat, Sté Planet, en date du 20 mai 20221, la cour administrative d’appel de Marseille avait pour mission de se prononcer, sur la base des éléments de preuve apportés par la requérante, sur la qualité de bénéficiaire effectif de deux sociétés belge et maltaise apparaissant comme interposées dans un flux de redevances entre une société française, la société Planet, et une société néo-zélandaise. Était in fine en cause le taux de retenue à la source applicable à ces redevances.
Rappel des faits et de la procédure. La société Planet, établie en France, a pour activité la distribution de programmes de cours collectifs auprès de clubs de fitness. Elle a versé respectivement au cours des années 2011 à 2014 des redevances au profit d’une société belge et d’une société maltaise en contrepartie de la sous-distribution de programmes collectifs de fitness élaborés par la société Les Mills International Ltd, établie en Nouvelle-Zélande.
Si, à l’origine, la société Planet versait lesdites redevances directement à la société néo-zélandaise en vertu d’un contrat intitulé « Supplementary agency agreement » conclu en 1998, à la suite de la conclusion de nouveaux contrats intitulés « Sub distribution agreement » avec les sociétés belge et maltaise, il avait été convenu que lesdites redevances seraient versées successivement à la société belge en 2011 puis à une société maltaise à compter de 2012. Aucune retenue à la source n’avait été acquittée par la société Planet à l’occasion des versements intervenus au profit de ces sociétés.
A l’occasion d’un contrôle fiscal, l’administration fiscale a regardé ces versements comme des produits tirés de la propriété industrielle ou commerciale et de droits assimilés, soumis à une retenue à la source en vertu l’article 182 B du CGI et a ramené le taux de droit interne de cette retenue au taux de 10 % prévu par le 2 de l’article 12 de la convention franco-néo-zélandaise s’agissant des redevances versées à la société belge et au taux de 10 % en vertu des stipulations de l’accord entre la France et Malte s’agissant des sommes versées à la société maltaise.
Saisie une première fois du litige, la cour administrative d’appel de Marseille a donné raison à l’administration qui s’appuyait sur les « supplementary agency agreement » pour regarder la société néo-zélandaise comme la bénéficiaire réelle des sommes versées. Ayant qualifié ces sommes de redevances, au sens de l’article 12 de la convention fiscale conclue entre la France et la Nouvelle-Zélande elle a confirmé l’application d’une retenue à la source au taux de 10 % conformément à cet article.
Saisi d’un pourvoi en cassation par la société Planet, le Conseil d’Etat a annulé la décision de la cour, constatant, comme le soutenait la société, que la qualification des sommes n’avait été examinée qu’au regard de la seule convention fiscale conclue entre la France et la Nouvelle-Zélande, et non au regard du droit interne, mais surtout, en relevant que la cour avait commis une erreur de droit en se fondant sur les allégations de l’administration pour juger que la société néo-zélandaise était le bénéficiaire effectif des sommes en litige, sans se prononcer elle-même sur cette qualité (CE, 20 mai 2022, n° 444451, Sté Planet).
La décision de la CAA. Faute de disposer d’éléments de preuve suffisants à l’appui de la structure contractuelle dont elle cherchait à se prévaloir, la requérante ne parviendra pas au terme de la procédure à renverser les arguments de l’administration. Les juges donneront ainsi raison à cette dernière à l’issue d’une démarche rigoureuse de qualification des sommes versées au regard du droit interne, puis au regard du droit conventionnel, non sans avoir examiné en détail la qualité de bénéficiaire effectif de la société néo-zélandaise.
Sur la qualification de redevances des sommes versées
La société Planet avait tenté d’éviter la discussion relative à la qualité de bénéficiaire effectif de la société néo-zélandaise en défendant que les sommes versées devaient être qualifiées de « bénéfices d’entreprises » exclusivement imposables dans l’Etat de résidence du bénéficiaire du revenu en vertu des conventions fiscales (V. article 7 du Modèle de convention fiscale OCDE). A l’appui de son argumentaire, la société faisait notamment valoir que les sommes étaient, en vertu des « sub distribution agreements » exclusivement versées en contrepartie d’un droit exclusif de distribution et ne relevaient donc pas de la définition des redevances.
Cependant, le préambule des « sub distribution agreements » conclus avec les sociétés belge et maltaise laissait entendre que ces sociétés possédaient certains droits sur les programmes, le logiciel et la propriété intellectuelle appartenant à la société néo-zélandaise, en vertu de contrats de distribution passés avec cette dernière. En outre, l’administration fiscale se prévalait également du contrat initial de 1998 (« Supplementary agency agreement »), lequel stipulait que la société Planet pouvait utiliser le savoir-faire, le nom et les logos dans le cadre de son activité et pour la publicité y afférente.
La société Planet avait défendu que ce contrat, conclu en 1998, avait été résilié, sans toutefois parvenir à le prouver. En effet, la cour relève dans sa décision que les contrats intitulés « Sub distribution agreement » conclus avec les sociétés belge et maltaise, qui se bornent « à mentionner que les contrats, y compris leurs annexes qui ne sont au demeurant pas produites, constituent seulement l’intégralité des contrats entre les parties concernant les questions qu’ils traitent et annulent et remplacent tout autre document précédent concernant les questions traitées par ces contrats » ne font « aucunement état de l’annulation de toute autre relation contractuelle entre les sociétés du groupe » et n’emportent pas « résiliation automatique de l’ensemble des obligations résultant du contrat d’agence du fait de la conclusion des contrats de sous-distribution ».
Ces éléments de fait permettent à la cour de regarder les rémunérations versées comme ayant notamment pour objet de rémunérer l’usage ou la concession de l’usage d’une marque, d’un savoir-faire ou d’informations demeurant la propriété de la société néo-zélandaise et, partant, de confirmer successivement que ces sommes sont d’une part soumises, en vertu du droit interne, à la retenue à la source prévue à l’article 182 B, I-b du CGI et, d’autre part, qu’elles constituent des redevances pour l’application des stipulations de l’article 12 de la convention fiscale conclue entre la France et la Nouvelle-Zélande.
Sur la qualité de bénéficiaire effectif de la société néo-zélandaise
Au cœur du débat contradictoire, la société avait défendu la qualité de bénéficiaire effectif des sociétés belge et maltaise en arguant du fait que les paiements envers ces sociétés avaient été effectués sur la base des contrats de « Sub distribution agreement » conclus avec ces sociétés, lesquels avaient écarté toute relation juridique antérieure au sein du groupe, en ce compris le contrat de 1998 conclu directement entre la société Planet et la société néo-zélandaise. Cependant, cet argument ayant été rejeté par la cour, la discussion relative à la détermination du bénéficiaire effectif des redevances demeurait entière.
Le débat s’est cependant focalisé sur les sommes versées à la société belge. En effet, s’agissant des sommes versées à la société maltaise, celles-ci étant qualifiées de redevances et étant soumises par l’accord entre la France et Malte à un taux de retenue à la source de 10 %, identique à celui stipulé par la convention entre la France et la Nouvelle-Zélande, la cour s’est dispensée d’examiner la qualité de bénéficiaire effectif de la société néo-zélandaise au regard de ce flux.
S’agissant du bénéficiaire effectif des sommes versées à la société belge, les juges relèvent que la société « n’apporte aucun élément, qu’elle seule est en mesure d’apporter, de nature à établir que la société [belge] aurait été en droit d’utiliser les redevances et d’en jouir sans être limitée par une quelconque obligation, notamment contractuelle, de céder les paiements reçus à la société [néozélandaise], en l’absence de toute précision quant aux liens contractuels unissant les sociétés [belge et néozélandaise] et aux mouvements financiers entre les sociétés du groupe ».
La cour reprend ainsi la terminologie employée par l’OCDE dans son interprétation du concept de bénéficiaire effectif dans ses commentaires sous le Modèle de convention (voir §12.4 sous l’article 10, §10.2 sous l’article 11 et §4.3 sous l’article 12 du Modèle de convention OCDE afférents aux revenus dits « passifs » que sont respectivement les dividendes, intérêts et redevances).
A titre d’exemple, les commentaires sous l’article relatif aux redevances précisent que « le récipiendaire direct des redevances n’est pas le « bénéficiaire effectif » parce que le droit du récipiendaire d’utiliser les redevances et d’en jouir est limité par une obligation contractuelle ou légale de céder le paiement reçu à une autre personne ». C’est d’ailleurs cette approche économique de la notion de bénéficiaire effectif qui est retenue par Céline Guibé dans ses conclusions sous l’arrêt précité du Conseil d’Etat du 20 mai 2022 dans la même affaire, et qu’elle désigne comme la définition « communément admise » de la notion de bénéficiaire effectif.
Soulignons que dans sa décision Performing Rights Society (PRS) (CE 5 février 2021 nos 430594 et 432845), le Conseil d’Etat s’était également attaché à déterminer les pouvoirs de la société interposée sur les sommes reçues et avait jugé après examen des statuts de la société PRS, établie au Royaume-Uni, que même « si une partie des redevances collectées par la société est affectée par le conseil d’administration de la société, soit à des œuvres charitables ou des dons aux membres ou aux employés, soit à des fonds de réserve, à l’entretien des biens de la société ou à toute autre fin que le conseil estime nécessaire ou propice aux intérêts de la société, l’essentiel de ces redevances est, chaque année, en pratique, reversée aux membres de la société ». C’est sur ce fondement qu’il avait cassé la décision de la cour administrative d’appel qui avait jugé que la société PRS devait être regardée comme le bénéficiaire effectif des sommes qu’elle percevait.
En l’espèce, il n’était effectivement pas démontré, au regard de l’ensemble des relations contractuelles liant les sociétés du groupe, que la société belge aurait pu user de prérogatives, du fait d’un rôle économique propre qui n’aurait pas été limité à celui d’intermédiaire, sur des sommes qui ne seraient pas restées sous le contrôle de la société néo-zélandaise et qu’elle aurait pu disposer des rémunérations qui lui ont été versées. Au terme de cette analyse, selon la Cour, la société néo-zélandaise doit donc être regardée comme le bénéficiaire effectif des redevances payées. Il s’en suit qu’il devait bien être appliqué aux sommes versées à la société belge la retenue à la source au taux de 10 %, en application des stipulations de la convention entre la France et la Nouvelle-Zélande.
Conclusion. Cette décision confirme la portée juridique significative des commentaires OCDE sous le modèle de convention, la cour ayant apprécié le concept de bénéficiaire effectif au regard du droit effectif d’utiliser les revenus et d’en jouir sans être limité par une quelconque obligation, notamment contractuelle, de céder les paiements reçus.
Elle démontre en outre l’importance primordiale de la mise en place d’un cadre contractuel rigoureux et exhaustif dans toute chaine de contrats internationaux, susceptible de clarifier sans ambiguïté les droits de chacune des parties dans la chaine contractuelle, leur rôle, ainsi que leurs prérogatives sur les flux financiers qui y sont associés.
1. CE, 9e et 10e ch., 20 mai 2022, n°444451, Sté Planet, Dr. fisc. 2022, n° 21, act. 199.