La lettre gestion des groupes internationaux

Dossier / Une année 2024 toujours riche en matière de fiscalité internationale

Ecologie, simplification et secteur financier à l’agenda fiscal de la nouvelle Commission européenne

Publié le 20 novembre 2024 à 16h17

 Temps de lecture 10 minutes

Par Valentin Leroy, PwC Société d’Avocats

Le 18 juillet 2024, Ursula von der Leyen présentait, dans le cadre de sa candidature pour sa réélection au poste de président de la Commission européenne, les orientations politiques de sa nouvelle Commission pour la période 2024-2029 sur la base desquelles elle a été consécutivement élue. Ne nous leurrons pas la matière fiscale ne figure – quasiment – pas à son programme. Ce n’est en rien une surprise, le contraire aurait d’ailleurs surpris compte tenu des marges de manœuvre pour le moins limitées de la Commission européenne en ce domaine qui, rappelons-le, relève notamment de la règle de l’unanimité au sein du Conseil de l’Union européenne. En d’autres termes, un seul des 27 Etats membres peut s’opposer à toute nouvelle réglementation fiscale à l’échelle communautaire, ce qui empêche en général l’adoption des propositions de directive les plus ambitieuses (si l’on omet Pilier 2).

Pour autant, la lecture de ces orientations politiques dévoile les grands objectifs qu’Ursula von der Leyen entend poursuivre avec l’ensemble de ses commissaires, en ce compris celui en charge de la fiscalité. Ce dernier aura en particulier la lourde tâche, avec ses pairs, de faciliter la vie des entreprises en allégeant leurs charges administratives et en simplifiant la législation qui leur est applicable, au besoin, par une suppression pure et simple des doublons et contradictions qui peuvent s’y nicher. L’objectif de simplification est ambitieux : c’est une baisse de 25 % des obligations déclaratives qui est visée, portée même à 35 % à l’endroit des PME. Avec la multiplication sur la dernière décennie de directives obligeant certains acteurs (e.g. les intermédiaires fiscaux, les opérateurs de plateformes numériques, les prestataires de services sur crypto-actifs) de déclarer certaines informations auprès des autorités fiscales, le chantier s’annonce colossal.

Pour mener à bien cette mission, la présidente de la Commission européenne a désigné le néerlandais Wopke Hoekstra, actuel Commissaire à l’Action pour le climat et probable futur Commissaire chargé du climat, de la neutralité carbone et de la croissance propre, dont le portefeuille serait ainsi remanié et élargi, à l’occasion, à la fiscalité. La composition de ce portefeuille est pour le moins disruptive. A notre connaissance, Ursula von der Leyen innove en ne confiant pas, conformément à la tradition, la matière fiscale à un commissaire chargé de l’économie, des affaires financières ou encore de l’union douanière. Associer écologie et fiscalité est un moyen pour la nouvelle Commission de véhiculer un message fort à destination des Etats membres, des parlementaires et des citoyens européens : l’outil d’incitation fiscale que constitue l’impôt sera mobilisé aux fins de mener à bien la transition écologique en Europe. Tant la lettre de mission de Wopke Hoekstra que les réponses qu’il a transmis au questionnaire préparé par les commissions compétentes du Parlement européen, en amont de son audition de confirmation qui s’est tenue le 7 novembre, le confirment.

Ces documents permettent surtout d’esquisser un premier panorama de la politique fiscale que le commissaire Wopke Hoekstra entend mener en matière environnementale et de simplification administrative. Ils fournissent aussi un aperçu des autres dossiers fiscaux qu’il estime prioritaires.

Sur le volet environnemental, la fiscalité jouera, selon Wopke Hoekstra, un rôle central dans l’atteinte par l’Union européenne de ses ambitieux objectifs de réduction nette de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030 et 90 % en 2040. Il veillera pour autant, en parallèle, à préserver la compétitivité industrielle de l’Europe et le pouvoir d’achat des particuliers, notamment en s’assurant que cette réforme fiscale n’ait pas d’effet négatif sur les prix de l’énergie.

Pour ce faire, il évoque d’ores et déjà plusieurs pistes parmi lesquelles figure la révision de la directive sur la taxation de l’énergie, dont la proposition initiale de modification émise en 2021 est toujours en négociation. Pour rappel, cette directive établit les taux d’accise minimaux que les États membres doivent appliquer aux produits énergétiques utilisés comme carburants ou combustibles ainsi qu’à l’électricité. La révision défendue par la Commission vise notamment à renforcer le principe pollueur-payeur en taxant les produits énergétiques et l’électricité en fonction de leur performance environnementale et à promouvoir ainsi l’usage de carburants durables ou renouvelables. Bien qu’il s’agisse d’un sujet sensible politiquement pour les Etats membres, Wopke Hoekstra confirme que les secteurs aériens et maritimes seront mis à contribution conformément au projet initial de révision de la directive sur la taxation de l’énergie qui suggérait, en 2021, de taxer les produits énergétiques fournis pour la navigation aérienne et par voie d’eau intra-Union européenne.

Il reconnaît néanmoins qu’une action au niveau international en la matière est cruciale.

Conscient que la cause écologique ne se réduit pas à la décarbonation de l’industrie européenne, l’aspirant commissaire à la fiscalité défend également l’idée que la lutte contre la perte de biodiversité et la dégradation de l’environnement pourrait s’appuyer sur des outils fiscaux. Il serait cependant encore trop tôt pour se prononcer sur la forme que prendrait, le cas échéant, l’intervention de l’Union européenne en ce domaine (à travers des instruments de droit souple, tels qu’une recommandation, ou de droit dur, tels qu’une directive introduisant un niveau d’imposition minimale dans l’Union européenne en matière de taxes environnementales autres que de taxes sur l’énergie).

Ensuite, pour identifier les pans de la législation fiscale européenne ouverts à simplification, Wopke Hoekstra soumettra l’acquis communautaire fiscal à des tests de résistance (« stress tests »). A ce titre, les évaluations lancées cet été par la Commission européenne sur l’efficacité, la pertinence et la valeur ajoutée des directives ATAD et DAC 1 à 6 y contribueront grandement (la publication des rapports correspondants est annoncée, respectivement, au troisième trimestre 2025 et au dernier trimestre 2024).

Dans la mesure où il s’agit, selon le commissaire, de révéler les chevauchements, contradictions et améliorations possibles de la réglementation fiscale (notamment en termes de clarté et d’intelligibilité de la loi), le champ des possibles paraît large. Nonobstant, cette entreprise de simplification ne se fera pas au détriment de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Ainsi Wopke Hoekstra laisse entendre qu’il poursuivra les travaux sur la proposition de directive contre les entités écrans, destinée à empêcher les sociétés écrans établies dans l’Union de bénéficier d’avantages fiscaux, sur laquelle planche le Conseil de l’Union européenne depuis 2021.

Parmi ses autres dossiers fiscaux prioritaires, citons l’adoption de la proposition de directive dite BEFIT qui prévoit un ensemble unique de règles pour déterminer la base d’imposition des grandes entreprises (pour « Business in Europe : Framework for Income Taxation » ou en français « Entreprises en Europe : cadre pour l’imposition des revenus »)1 et la promotion des règles GloBE/Pilier 2, en particulier, auprès des grandes puissances économiques, telles que les Etats-Unis d’Amérique, qui ne les ont pas encore transposées. L’objectif étant, pour lui, de s’assurer que la règle relative aux bénéfices insuffisamment imposés, ce filet de sécurité des règles GloBE/Pilier 2, s’applique effectivement dès l’exercice fiscal 2025 et garantisse ainsi la collecte de l’impôt complémentaire dans les situations où la règle d’inclusion du revenu ne le permet pas.

Concernant Pilier 1, interrogé par les parlementaires sur la volonté de la Commission de soumettre une proposition de directive dans l’hypothèse où l’instrument multilatéral sur la mise en œuvre du montant A n’entrerait pas en vigueur (par exemple, si les Etats-Unis d’Amérique venaient à ne jamais le signer ou le ratifier), Wopke Hoekstra botte en touche et répond simplement qu’il reste pleinement engagé en faveur d’une approche multilatérale sur la fiscalité du numérique. Le retour de la proposition de directive pour un système commun de taxe sur les services numériques à l’échelle européenne, émise en mars 2018, ne paraît donc pas à l’agenda de la nouvelle Commission. En revanche, le commissaire pourrait tenter de ressusciter la proposition de directive DEBRA (pour « Debt-Equity Bias Reduction Allowance » en anglais)2 dont les délégations nationales avaient suspendu les travaux en 2022. Pour rappel, cette proposition vise à corriger le biais fiscal en faveur du financement par prêt plutôt que par capitaux propres. Enfin, à notre connaissance, Wopke Hoekstra ne s’est pas encore prononcé sur le sort des deux plus récentes propositions de directive en matière de fiscalité directe, à savoir celle établissant un système d’imposition en fonction du siège central pour les PME (ou « HOT » pour « Head Office Tax system for SMEs » en anglais)3 et celle visant à harmoniser les règles en matière de prix de transfert dans l’Union européenne4. Il faut reconnaître que les discussions entre les Etats membres sur ces derniers textes s’enlisent actuellement au niveau du Conseil de l’Union européenne sans espoir d’adoption à court terme dans leur mouture contemporaine.

Enfin, Wopke Hoekstra a annoncé qu’une étude approfondie avait été lancée par la Commission européenne sur la fiscalité du secteur financier. Identifié comme un secteur clé de l’économie européenne, l’étude aurait pour objet d’évaluer si le « patchwork » d’impositions sectorielles auquel il est soumis dans les 27 juridictions de l’Union européenne désavantage les opérations transfrontières et nuit à la digitalisation, la compétitivité et l’innovation au sein du marqué unique. L’étude ne serait pas circonscrite aux taxes non harmonisées, elle engloberait également la TVA. Le commissaire estime en effet que l’exemption obligatoire de TVA applicable au secteur financier serait pour le moins obsolète en raison, notamment de son emploi grandissant des technologies du numérique qui n’existait pas au moment où cette exonération a été adoptée.

Dans l’attente de la confirmation des commissaires, l’actuel collège poursuit son travail, y compris en matière de fiscalité directe, comme en témoigne la publication le 28 octobre dernier de la proposition de directive DAC 9. Celle-ci entend simplifier les obligations déclaratives des groupes assujettis aux règles GloBE/Pilier 2 en leur permettant de déposer leur déclaration d’informations GloBE dans un seul Etat membre lequel partagera ensuite son contenu avec ses pairs. Nul doute que celle-ci participera déjà grandement à la simplification de la vie fiscale des entreprises. 

1. Pour plus de détail sur cette proposition de directive, voir. Initiatives européennes en matière de fiscalité directe : état des lieux, publié le 23 février 2024 dans ces mêmes colonnes, par Valérie Aelion-Renoux et Charlotte Guincestre-Carpentier.

2. Idem.

3. Idem. Depuis la rédaction de cet article, lors de son audition, Wopke Hoekstra a mentionné la proposition de directive HOT comme un vecteur de simplification de la vie des entreprises.

4. Idem.


La lettre gestion des groupes internationaux

Le programme ICAP de l’OCDE : un outil pour réduire les risques fiscaux, complémentaire aux instruments traditionnels de prévention et de résolution des différends internationaux

 Temps de lecture 7 minutes

Lire l'article

Consulter les archives

Voir plus

Chargement en cours...

Chargement…