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Dossier / Une année 2024 toujours riche en matière de fiscalité internationale

La convention multilatérale de l’OCDE pour la mise en œuvre de la règle d’assujettissement à l’impôt

Publié le 20 novembre 2024 à 16h10

 Temps de lecture 9 minutes

Par Guilhem Calzas, avocat, PwC Société d’Avocats et Elisa Lorca, avocat, PwC Société d’Avocats

1. Origine et objectif de la règle d’assujettissement à l’impôt

Le projet Pilier 2 de l’OCDE1 constitue l’une des évolutions les plus marquantes de la fiscalité internationale, en ce qu’il entend assurer que les entreprises multinationales s’acquittent d’un impôt au taux effectif minimum de 15 %, quelle que soit la localisation de leurs opérations.

Il repose sur deux systèmes.

Le premier est celui de l’imposition minimum mondiale de 15 % applicable aux multinationales réalisant un chiffre d’affaires de plus de 750 millions d’euros. Cette imposition doit être prélevée au moyen de trois mécanismes distincts. La RDIR (règle d’inclusion des revenus) qui s’applique au niveau de l’entité mère ultime, ou à défaut, d’une entité mère intermédiaire, lorsque les multinationales ne sont pas imposées dans une des juridictions où elles sont présentes au taux effectif minimum de 15 %. Lorsque la RDIR ne permet pas d’assurer cette imposition minimum, la RBII (règle relative aux bénéfices insuffisamment imposés) s’applique à titre subsidiaire et permet aux juridictions autres que celle de l’entité mère de prélever un impôt additionnel. Un dernier mécanisme permet aux juridictions de prélever elles-mêmes l’impôt minimum par le biais d’un impôt complémentaire national.

La réforme du Pilier 2 inclut un autre système : la règle d’assujettissement à l’impôt (ci-après RAI), dont l’application n’est pas conditionnée à un seuil de chiffre d’affaires de 750 millions d’euros. Cette règle permet aux Etats de source ayant renoncé, au sein d’une convention fiscale bilatérale, à leur droit d’imposer certains revenus, notamment les intérêts et redevances, au profit de l’Etat de résidence du bénéficiaire de recouvrer ce droit d’imposition lorsque ces revenus ne sont pas imposés par l’Etat de résidence à un taux minimum de 9 %. La RAI a été conçue pour permettre aux pays en développement, qui représentent souvent les Etats de source de paiement d’intérêts et de redevances, de protéger leur base d’imposition. Politiquement, il s’agit probablement de combattre l’idée que la réforme Pilier 2 profitera essentiellement aux pays développés.

La RAI s’écarte ainsi nettement des règles de répartition du droit d’imposition entre l’Etat de résidence et l’Etat de la source prévues par la convention modèle de l’OCDE2. En revanche, la RAI se rapproche de la règle d’assujettissement à l’impôt dont les Nations-Unies ont publié le projet3.  Un mécanisme similaire existe dans certaines conventions fiscales, telles que celle liant l’Allemagne à la Suisse4.

2. Les contours de la RAI

Conçue dans le but de renforcer la capacité des pays en développement5 à protéger leur base d’imposition, la RAI constitue un soutien crucial dans leur lutte contre les structures transfrontalières utilisées par certains groupes pour transférer artificiellement des bénéfices hors des pays de la source. En effet, bien que la RAI ne crée pas en elle-même une obligation fiscale, elle permet aux juridictions de la source de prélever un impôt lorsqu’elles ne seraient pas en mesure de le faire en vertu des autres dispositions d’une convention fiscale.  L’idée sous-jacente est qu’un État de la source qui a cédé des droits d’imposition sur certains paiements intragroupes sortants dans le cadre d’une convention fiscale doit pouvoir récupérer une partie de ces droits lorsque le revenu en question est imposé, si tant est qu’il le soit, dans l’État de résidence du bénéficiaire à un taux inférieur à 9 %6. A ce titre, la RAI s’appuie, en résumé, sur un taux nominal d’imposition7 plutôt que sur le taux d’imposition effectif comme dans le cadre de la RDIR.

La RAI représente une avancée significative pour les pays en développement, dans leur lutte contre les schémas fiscaux agressifs, d’autant plus marquée que la RAI est prioritaire sur la RDIR et la RBII. Toutefois, le champ d’application de la RAI reste relativement limité puisque celle-ci ne trouve à s’appliquer qu’à certains paiements et uniquement entre personnes liées.

D’une part, sont considérées comme des « personnes liées » pour les besoins de la RAI, deux entités sous le contrôle de la ou des mêmes personnes, que ce contrôle soit juridique (propriété directe ou indirecte de plus de 50 % des intérêts dans les parties) ou établi par l’ensemble des faits et circonstances pertinents.

Certaines exclusions spécifiques sont prévues, par exemple lorsque les bénéficiaires des paiements sont des personnes physiques, des fonds d’investissement ou encore des fonds de pension. De plus, un seuil d’importance est prévu de telle sorte que la RAI ne s’applique que si la somme totale des revenus couverts versés au cours d’une année fiscale dépasse 1 million d’euros (ou 250 000 euros pour les juridictions dont le PIB est inférieur à 40 milliards d’euros).

D’autre part, sont considérés comme des « revenus visés » et ainsi couverts par la RAI sept catégories de paiement transfrontaliers limitativement énumérés : (i) les intérêts, (ii) les redevances, (iii) les frais de services, (iv) les paiements effectués en contrepartie de l’usage ou de la concession de l’usage de droits de distribution au titre d’un produit ou d’un service, (v) les primes d’assurance et de réassurance, (vi) les commissions au titre de l’octroi d’une garantie financière ou d’autres commissions financières, loyers ou tout autre paiement pour l’usage ou la concession de l’usage d’un équipement industriel, commercial ou scientifique, ou encore (vii) tout revenu perçu en contrepartie de la fourniture de services.

Enfin, un seuil de marge bénéficiaire est établi de telle sorte que la RAI ne s’appliquera que lorsque le montant brut du revenu excède les coûts supportés plus une marge de 8,5% (non-applicable si le revenu correspond à des intérêts ou des redevances).

Dès lors que la RAI trouve à s’appliquer aux paiements réalisés entre personnes liées, la juridiction de la source peut appliquer un impôt complémentaire sur le montant brut du revenu visé à hauteur de 9 % dudit revenu. Ce taux de 9 % est diminué d’une part du taux d’imposition nominal dans la juridiction du bénéficiaire (diminué de tout ajustement préférentiel) et d’autre part de tout droit d’imposition existant dans la juridiction du payeur en vertu de la convention fiscale applicable.

3. Mise en œuvre de la convention multilatérale sur la RAI

En pratique, l’introduction de la RAI entre l’Etat de la source et l’Etat de résidence exige la modification de la convention fiscale qui les lie. Dans un cadre bilatéral, une telle modification suppose un processus long et complexe de négociation, de signature et de ratification de chaque convention.

Eu égard au temps qui serait nécessaire pour modifier les quelques 3 000 conventions fiscales bilatérales existantes, il est apparu essentiel à l’OCDE de promouvoir l’adoption d’une convention multilatérale permettant de modifier de manière rapide, simple et uniforme ces conventions fiscales pour y inclure la RAI. Une telle technique avait déjà été proposée par l’OCDE dans le cadre du projet BEPS au travers de l’Instrument Multilatéral (« IM »)8 afin d’inclure dans les conventions fiscales un ensemble de mesures visant à lutter contre l’érosion des bases taxables.

Le processus de modification des conventions fiscales est ainsi similaire entre l’IM et la nouvelle convention multilatérale. Les Etats doivent dans un premier temps signer et ratifier la convention multilatérale. Les Etats doivent également indiquer quelles conventions bilatérales existantes ils souhaitent voir couvertes par la convention multilatérale. Si deux parties à une même convention fiscale l’ont désignée comme une “convention couverte”, la convention multilatérale opérera directement l’introduction de la RAI dans ce traité bilatéral.

A la différence de l’IM, la convention relative à la RAI ne permet aucune réserve. Une autre différence notable réside dans le fait que la nouvelle convention multilatérale a pour effet de mettre en œuvre la RAI et d’autres dispositions qui l’accompagnent sous forme d’annexes à la convention couverte sans en modifier le texte, l’ordre ou la numérotation des articles. Elle se distingue ainsi de l’IM, qui modifie directement le préambule et les articles de la convention.

4. Perspectives

L’entrée en vigueur de la convention relative à la RAI sera subordonnée à sa ratification selon le processus prévu dans chacun des Etats signataires.

Selon l’OCDE, plus de 70 pays en développement membres du cadre inclusif9 sont habilités à demander l’inclusion de la RAI dans leurs conventions conclues avec les membres du cadre inclusif qui appliquent des taux d’imposition sur le revenu des sociétés inférieurs à 9 % aux paiements couverts10. Le 19 septembre 2024, neuf Etats ont ainsi signé la convention relative à la RAI11 et le nombre d’Etats signataires devrait s’accroître dans les prochains mois. 

1.  Organisation de coopération et de développement économiques. La solution à deux piliers vise à résoudre les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie.

2. Brian J. Arnold, “Earth to OECD: You Must Be Joking – The Subject to Tax Rule of Pillar Two”, Bulletin for International Taxation, February 2024.

3. Cette proposition a été adoptée par le Comité des experts sur la coopération internationale des Nations-Unies en mars 2023.

4. Article 15.3 de la convention fiscale signée entre l’Allemagne et la Suisse du 11 août 1971, concernant la taxation des rémunérations liées à un emploi exercé à bord d’un navire ou d’un avion.

5. Déclaration relative à une solution reposant sur deux piliers pour résoudre les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie du 8 octobre 2021 :  les pays membres du cadre inclusif considérés comme en développement sont ceux dont le revenu national brut (RNB) par habitant, calculé selon la méthode Atlas de la Banque mondiale, était inférieur ou égal à 12 535 USD en 2019. Il est précisé que la liste des pays en développement sera régulièrement mise à jour.

6. OCDE, Les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie – Règle d’assujettissement à l’impôt (Pilier Deux), 2023, §250.

7. Toutefois, lorsque la personne qui tire le revenu bénéficie d’un ajustement préférentiel au titre de ce revenu dans son État de résidence, le taux d’imposition est déterminé après avoir pris en compte l’incidence de cet ajustement préférentiel.

8. Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, OCDE, 2016.

9.  Juridictions membres du Cadre inclusif OCDE/G20 sur le projet BEPS.

10. OCDE, La communauté internationale adopte une convention multilatérale visant à faciliter la mise en œuvre de la règle d’assujettissement à l’impôt au titre de l’impôt minimum mondial, 3 octobre 2024.

11.Barbade, Bélize, Bénin, Cabo Verde, Indonésie, République démocratique du Congo, Roumanie, Saint-Marin et Turquie.


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