Les prix de transfert sont devenus une des principales sources de litiges fiscaux pour les groupes multinationaux. Les contrôles fiscaux en la matière, toujours plus nombreux et portant sur des enjeux toujours plus importants, contribuent à aggraver l’insécurité juridique qui pèse sur ces groupes.
Ce risque est d’autant plus important lorsque les pénalités qui sont susceptibles d’accompagner les rehaussements sont élevées et que, comme en France depuis l’entrée en vigueur de la loi de lutte contre la fraude du 23 octobre 2018, il existe un risque de transmission du rehaussement au parquet en vue de potentielles poursuites pénales.
Consciente de la nécessité pour les groupes multinationaux de disposer de moyens efficaces pour éviter une double imposition, l’OCDE promeut une alternative aux mécanismes traditionnels de prévention et de résolution des différends internationaux que sont les accords préalables en matière de prix de transfert (APP) et les procédures amiables (PA) : l’International Compliance Assurance Program (ICAP).
S’il reste encore peu développé, le programme ICAP peut s’avérer dans certains cas une voie intéressante pour réduire l’exposition au risque de double imposition résultant des litiges fiscaux internationaux.
Un instrument visant à réduire les risques plutôt qu’à offrir une sécurité juridique absolue
ICAP est une procédure permettant à un groupe multinational de solliciter les administrations fiscales de plusieurs pays d’implantation (typiquement quatre à huit pays), afin qu’elles procèdent conjointement à une évaluation des risques afférents à leurs transactions transfrontalières.
A ce jour, 22 pays participent au programme, parmi lesquels une quinzaine de pays européens dont la France, mais aussi les Etats-Unis, le Japon ou encore Singapour.
A l’issue d’une évaluation ICAP, les groupes pourront obtenir des lettres de confort de la part des administrations sollicitées, confirmant que les transactions qu’elles ont soumises à leur appréciation peuvent être considérées comme peu risquées et ne devraient pas susciter d’investigations approfondies supplémentaires. Ces administrations pourront aussi bien entendu conclure que certaines transactions ne sont pas à faible risque.
Ces lettres de confort ne sont pas contraignantes pour les administrations qui demeurent libres de procéder à un contrôle fiscal, y compris, en théorie, sur les transactions reconnues à faible risque. Ainsi, ICAP n’offre pas contrairement à un APP, de réelle sécurité juridique, mais un degré raisonnable d’assurance que les transactions évaluées comme peu risquées par les administrations participantes ne feront pas l’objet d’investigations approfondies et de redressements fiscaux. Concernant les lettres de confort accordées par la France, sous réserve que les faits aient été décrits de manière totalement transparente et n’aient pas évolué depuis la mise en œuvre de l’outil, le contribuable devrait raisonnablement pouvoir se prévaloir d’une prise de position opposable au regard de l’appréciation d’une situation de fait.
Une procédure claire et des délais de traitement encadrés
Une demande d’évaluation des risques peut viser non seulement la conformité des prix de transfert, mais d’autres problématiques telles que l’existence d’établissements stables ou l’éligibilité au bénéfice de certains avantages conventionnels. Elle peut viser, selon les pays, un à deux exercices les plus récents, et un à deux exercices à venir.
La procédure se déroule en trois phases, dans des délais encadrés :
– Une phase de sélection, d’une durée cible de 4 à 8 semaines.
Pour entrer dans le programme ICAP, le groupe doit solliciter l’administration du pays d’implantation de sa maison-mère, qui jouera, sauf exceptions, le rôle de coordinateur de la procédure auprès des autres administrations couvertes par la demande. Après de premiers échanges informels, il lui soumettra une demande appuyée d’un ensemble de documents parmi lesquels son reporting pays par pays (CbCR), son Masterfile, et une description des transactions qu’il entend couvrir par l’évaluation conjointe des risques, en précisant les périodes et les pays participants souhaités.
Après avoir vérifié la complétude de la demande, l’administration chef de file prendra attache avec les autres administrations. A l’issue de cette phase de sélection, elle confirmera au groupe quels pays acceptent de prendre part à la procédure, le périmètre et les périodes visées par l’évaluation des risques ainsi que les délais de traitement envisagés.
– Une phase d’évaluation des risques, d’une durée cible de 20 à 36 semaines.
Une fois la sélection du dossier confirmée commencera l’évaluation des risques à proprement parler.
Elle implique la tenue d’une ou plusieurs réunions multilatérales entre le groupe et les administrations participantes. Une documentation complète doit être remise au préalable, comprenant notamment, en plus des documents remis lors de la phase de sélection, les Local files, la liste des APP pertinents, ou encore les comptes consolidés. Les administrations participantes sont libres de demander toute autre information pertinente en s’assurant toutefois que leurs demandes sont coordonnées et non-redondantes.
Dans certains cas, des propositions de règlement avec des ajustements de prix de transfert pourront être proposées au groupe par les administrations participantes afin de clore tout débat dans l’Etat concerné et d’éviter des procédures amiables par la suite.
– Une phase de conclusion, d’une durée cible de 4 à 8 semaines.
A l’issue de l’évaluation, chaque administration participante transmettra au groupe une lettre faisant état de ses propres conclusions.
Un instrument encore peu utilisé, mais plutôt prometteur
Après une phase pilote lancée en 2018, le programme ICAP a été officialisé par l’OCDE en septembre 2021.
Les statistiques publiées par l’OCDE début 2024 montrent que les groupes multinationaux se sont encore peu emparés du dispositif, puisque seulement vingt évaluations ICAP ont été menées à terme en octobre 2023.
Les informations publiées par l’OCDE font cependant état de certains éléments encourageants :
– Si les délais cibles ne sont pas toujours respectés, ils semblent globalement maitrisés avec une moyenne de 61 semaines ;
– Dans 40 % des cas, toutes les transactions visées par la demande ont été jugées à faibles risques par l’ensemble des administrations impliquées ;
– Dans 80 % des cas, seules une ou deux transactions visées par la demande n’ont pas été jugées à faible risque, par une partie seulement des administrations impliquées.
Certains groupes pourront estimer que les bénéfices obtenus ne sont pas à la hauteur de l’investissement significatif en ressources, nécessaire pour mener à bien une évaluation ICAP. La procédure offre pourtant un certain nombre d’avantages, parmi lesquels des délais de traitement ambitieux et la possibilité de solliciter conjointement l’avis de quatre à huit administrations fiscales quand les APP sont le plus souvent négociés dans un cadre bilatéral et que les rescrits obtenus auprès du Service Partenaire même s’ils le sont très rapidement ne sont que des prises de positions unilatérales. In fine, il se peut que l’investissement consenti par le groupe pour obtenir cette analyse conjointe soit moindre que celui qui résulterait d’actions désordonnées des mêmes administrations (contrôles fiscaux chronophages, aux conclusions éventuellement divergentes) et du suivi a posteriori de nombreuses procédures amiables dont les délais de traitement sont particulièrement longs et l’issue parfois incertaine.
Si la procédure n’est vraisemblablement pas adaptée aux transactions les plus complexes, elle peut permettre de réduire significativement le risque pour les transactions simples (facturation de management fees, rémunération de fonctions de routine,…) qui, force est de le constater, ne sont pas épargnées par les redressements fiscaux générateurs de double imposition devant être résolue par voie de procédure amiable.
Ainsi, le programme ICAP peut s’avérer être un outil pertinent pour les groupes souhaitant s’engager dans une démarche proactive de transparence vis-à-vis des administrations fiscales.