La lettre gestion des groupes internationaux

Dossier / Une année 2024 toujours riche en matière de fiscalité internationale

Déductibilité fiscale des charges financières : enjeux et complexités du dispositif ATAD1

Publié le 20 novembre 2024 à 15h00

 Temps de lecture 6 minutes

Par Bénédicte Le Maux, Associée Expert-comptable, PwC et Julie Olivry, PwC Société d’Avocats

La déductibilité fiscale des charges financières constitue un sujet de préoccupation majeur pour les entreprises, en particulier dans un contexte marqué par une augmentation des taux d’intérêt ces dernières années et un niveau d’endettement croissant au sein des groupes. Le dispositif ATAD1 (Anti-Tax Avoidance Directive 1), mis en place par l’Union européenne, et transposé en France dans le Code Général des Impôts (« CGI ») aux articles 212 Bis et 223 B Bis encadre strictement cette déductibilité en s’appuyant sur des données comptables et consolidées.

Pour rappel, dans le régime de droit commun, les charges financières nettes (c’est-à-dire les charges financières diminuées des produits financiers) sont en principe déductibles dans la limite du plus élevé entre 30 % du résultat fiscal avant intérêts, dépréciations et amortissements (« EBITDA fiscal ») et 3 millions d’euros.

Toutefois, il est possible de bénéficier d’une clause de sauvegarde permettant de déduire 75 % des charges financières nettes non déduites grâce au régime « de droit commun » si l’entreprise peut démontrer que son ratio de fonds propres sur actifs est supérieur ou égal à celui du groupe consolidé auquel elle appartient.

Les charges financières nettes non déduites peuvent être reportées en avant sans limitation de durée et déduites des résultats des exercices suivants, lorsque la capacité de déduction de l’exercice le permet.

En revanche, les excédents de capacité de déduction (c’est-à-dire la différence entre le plafond de déductibilité et les charges financières nettes effectivement déduites) peuvent être reportés sur les cinq exercices à venir, sous certaines conditions. Par exception, en cas de sous-capitalisation, c’est-à-dire lorsque le ratio d’endettement lié moyen rapporté aux fonds propres reste inférieur à 1,5, des règles plus strictes, limitant encore la déduction, doivent être appliquées et entraînent des conséquences différentes notamment sur le sort des intérêts non déduits. Toutefois, une clause de sauvegarde permet d’échapper à cette seconde limite lorsque l’entreprise peut démontrer que son ratio d’endettement global est inférieur ou égal à celui du groupe consolidé auquel elle appartient.

Pour les groupes intégrés fiscalement, la limitation de la déductibilité des charges financières s’applique à ce niveau. En conséquence, les charges financières nettes, l’EBITDA fiscal, ainsi que les ratios sont déterminés sur une base consolidée.

Il est à noter que la consolidation de l’intégration fiscale est une consolidation ad hoc, qui nécessite des travaux spécifiques et souvent compliqués pour les directions fiscales qui dépendent désormais directement des équipes de consolidation pour pouvoir conclure sur la déductibilité des charges d’intérêts.

Contexte et enjeux de la déductibilité des charges financières

L’augmentation des taux d’intérêt ces dernières années a encore un impact direct sur le coût de la dette pour les entreprises. Couplée à un niveau d’endettement croissant et à une baisse des résultats (et donc de l’EBITDA fiscal) dans certains secteurs d’activité, cette situation rend le calcul de la capacité de déduction des charges financières particulièrement important. Les entreprises doivent anticiper les effets défavorables de cette conjoncture.

En effet, de nombreuses entreprises qui n’étaient pas sujettes à une limitation effective de leurs charges financières jusqu’à présent commencent à être concernées. Elles peuvent alors rechercher à utiliser les capacités de déduction des années précédentes, ce qui peut poser un certain nombre de difficultés, notamment pratiques.

Par ailleurs, pour les groupes engagés dans des opérations de croissance externe, une couche supplémentaire de complexité s’ajoute au calcul « habituel » de la déductibilité des charges financières : ces opérations pouvant en effet modifier significativement la structure de la dette et les données consolidées du groupe d’intégration fiscale, il est nécessaire d’évaluer les impacts de ces opérations  en établissant des projections, sur la base des consolidations existantes avant l’opération puis d’analyser différents scénarios sur la base de ces projections.

Complexités du dispositif ATAD1 et incertitudes administratives

Une des difficultés de ce dispositif fiscal provient donc de la nécessité de pouvoir se reposer sur des données consolidées et non pas uniquement fiscales. Il faut donc rechercher ces données qui ne sont pas toujours disponibles ce qui nécessitera une communication fluide entre les experts de la consolidation et les experts fiscaux. Après cinq années d’expérience sur le dispositif, nous constatons que des difficultés sur la mise en œuvre du dispositif subsistent tant dans l’identification des éléments à inclure dans les charges financières nettes que dans le calcul de l’EBITDA fiscal ou encore dans la préparation de la consolidation de l’intégration fiscale qui nécessite d’adopter les règles de consolidation à ce besoin fiscal spécifique.

A ces difficultés pratiques s’ajoutent des incertitudes quant aux interprétations que retiendra l’administration fiscale ce qui peut parfois induire des risques fiscaux non négligeables sur certains sujets pour les entreprises.

Perspectives et recommandations

Afin de faire face à ce nouveau contexte, les entreprises peuvent, au-delà de la renégociation des conditions de la dette, :

– Réévaluer la structure de financement pour équilibrer l’utilisation de la dette et des fonds propres, réduisant ainsi la dépendance aux emprunts.

– S’assurer de la solidité des calculs de déductibilité historiques ayant généré des reports de capacité de déduction inemployés ou un report de charges financières.

Pour naviguer dans ce cadre réglementaire complexe, les entreprises doivent adopter une approche proactive et rigoureuse. Cela peut passer par les actions suivantes :

– Renforcer les compétences internes : former les équipes comptables et fiscales aux spécificités du dispositif ATAD1 et aux techniques de consolidation.

– Recourir à des experts externes : faire appel à des conseils spécialisés pour analyser les pratiques de déductibilité et s’assurer de leur conformité.

– Anticiper les contrôles fiscaux : préparer des dossiers de justification détaillés et documentés pour chaque exercice fiscal. 


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