A l’heure où la question de l’exode des forces vives et de grands contributeurs au budget de la nation se pose toujours et justifie nombre d’articles et d’enquêtes, la logique voudrait que l’on examine les mesures à prendre pour les retenir et faire revenir les exilés ou attirer en France de nouveaux talents.
Par Georges Morisson-Couderc, avocat, associé, Landwell & Associés
L’envie d’ailleurs, pour certains contribuables, peut s’expliquer aisément, les comparaisons internationales donnent une première indication. Sans rentrer dans le détail, la France a un taux de prélèvement obligatoire très élevé (estimé à 46,3 % du PIB en 2013) qui la situe en tête des bilans internationaux. Ainsi, entreprises et particuliers subissent des taux élevés qui limitent leur compétitivité. Si les prélèvements sociaux représentent une part significative des prélèvements (plus de 50 % du total), la part de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés est plus faible mais avec une base contributive plus étroite.
Une étude de l’AMAFI (1) montre que l’épargne employée pour le financement durable et à risque des entreprises est plus lourdement taxée que les produits financiers liquides et sans risques. Elle confirme également, s’il en était besoin, la complexité et le manque de lisibilité du régime d’imposition de l’épargne en France.
Avec l’objectif de limiter les départs de France, les obstacles se sont ainsi multipliés avec une légitimité technique et une efficacité très souvent discutables qui à la longue pénalisent nos finances publiques et créent une forte insécurité juridique.
Ainsi, l’«exit tax» qui a nécessité plusieurs versions pour être considérée comme conforme aux règles européennes. Parmi nombre d’autres exemples techniques, on peut retenir ceux qui visent la CSG-CRDS sur les revenus fonciers des non-résidents ou encore l’imposition forfaitaire de certains non-résidents fiscaux sur la base de trois fois la valeur locative réelle de leur résidence en France.
Les conclusions de l’avocat général en date du 21 octobre 2014 dans l’affaire de Ruyter (2) laissent ainsi penser que la CSG et la CRDS ne seraient pas dues par des non-résidents fiscaux français sur leurs revenus du patrimoine.
L’imposition sur trois fois la valeur locative réelle a été condamnée récemment à plusieurs reprises par le Conseil d’Etat (3).
Vouloir ainsi séquestrer sur notre territoire les sachants et les entrepreneurs est utopique et guère compétitif. Surtout, l’image internationale ainsi projetée ne plaide pas en faveur de notre attractivité.
Dans ce cadre, il apparaît nécessaire de combattre certaines idées reçues et de revenir aux vieux concepts de liberté d’aller et venir et d’établissement des personnes physiques et d’accepter la pleine concurrence internationale. En effet, s’il était besoin de le préciser, la mobilité internationale des personnes physiques n’a rien à voir avec la fraude fiscale.
Pourtant, il n’est pas rare au cours de certaines discussions parlementaires ou dans des rapports d’informations(4) de constater une telle assimilation.
La création d’une «Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France» présentait une réponse à ces interrogations. Son objectif était d’examiner la question de l’exil fiscal, l’expatriation des activités économiques, des centres de décision ainsi que de leurs acteurs et enfin les enjeux générationnels. Le rapport détaillé de la Commission d’enquête parlementaire a été publié le 8 octobre 2014(5).
Il confirme la réalité d’une expatriation croissante des contribuables français. Il contient 25 propositions de natures et d’intérêts très divers. Parmi les propositions effectuées figurent «l’amélioration des outils statistiques pour mieux mesurer le phénomène du retour en France des redevables de l’impôt sur le revenu et l’ISF» ou encore la limitation du recours à la rétroactivité fiscale. D’autres propositions restent théoriques (progresser vers une stabilisation de «l’horizon fiscal»), ou s’éloignent du sujet (lutte contre les pratiques des entreprises multinationales).
Si l’on s’attache au contenu du rapport, il est intéressant de constater que la Commission a elle-même relevé que les principales destinations répondaient à des objectifs fiscaux bien précis.
Il est en revanche plus étonnant de lire dans le rapport de l’Assemblée nationale qu’«au-delà des réformes récentes, les droits de succession et l’ISF, eux aussi souvent désignés comme responsables de l’exil fiscal, trouvent leur justification dans la nécessité de lutter contre la concentration des fortunes et la reproduction des inégalités de richesse dans le temps, au-delà de la question de la participation des plus aisés au redressement des finances publiques». Cette affirmation peut ainsi susciter certaines interrogations.
On sait que les conclusions de ce rapport et l’interprétation des faits divergent entre membres de la Commission, seule certitude partagée, l’absence de statistiques précises pour étudier ce phénomène.
Illustration de ce clivage, un contre-rapport(6) a été rédigé par les élus de l’opposition. Il prône notamment une fiscalité stable et attractive, et un changement «culturel» par rapport à la réussite et à la prise de risque.
Comme le rapport de la Commission parlementaire, il n’envisage pas le vrai défi qui est ainsi de faire revenir les exilés, et pour cela la nécessité d’examiner particulièrement les freins au retour et l’instauration d’un véritable dialogue avec ces contribuables. Force est de constater que les enquêtes et études dans ce domaine restent peu nombreuses.
Cependant, une étude récente de la CCI Paris Ile-de-France(7) mettait en avant plusieurs points dont l’importance d’inciter les Français à revenir en France : «cela passerait par des actions de facilitation du retour des travailleurs tant au niveau administratif que fiscal».
Cette approche n’a pas été retenue à ce stade par la Commission d’enquête parlementaire, espérons qu’elle pourra permettre d’aborder le sujet sous un angle moins passionné et sans tabous et d’enrichir à terme nos finances publiques et notre tissu économique par la redistribution financière liée à de tels retours.
Dans ce contexte, un constat interpelle et nécessite une vraie prise de conscience. En effet, en 2013, près de deux Français sur dix partis à l’étranger sont des créateurs d’entreprises contre un sur dix en 2003 (8).
1. Association française des marchés financiers, 14-34, 9 septembre 2014.
2. Affaire C-623/13, ministre de l’Economie et des Finances contre Gérard de Ruyter. Demande de décision préjudicielle formulée par le Conseil d’Etat.
3. Conseil d’Etat, 11 avril 2014, n° 332885, min. c/ Mme A ; Conseil d’Etat, 26 décembre 2013, n° 360 488, min. c/ Kramer.
4. Rapport d’information n° 1423 en date du 9 octobre 2013, «Lutte contre les paradis fiscaux : si l’on passait des paroles aux actes», Rapport n° 2195 en date du 10 septembre 2014, autorisant l’approbation de l’accord avec les Etats-Unis sur la «loi FATCA».
5. Assemblée nationale, Rapport au nom de la Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France, n° 2250 du 8 octobre 2014.
6. Refaire de la France une terre de réussite ! Rapport sur l’exil des forces vives françaises, octobre 2014.
7. Les Français de l’étranger, «L’expatriation des Français, quelle réalité ?», mars 2014.
8. Rapport à l’Assemblée nationale, n° 1859.