Les entreprises multinationales françaises devront bientôt faire face à de nouvelles obligations en matière de reporting pays par pays. Dans un contexte où interaction entre fiscalité et responsabilité sociétale n’a jamais été aussi importante, le reporting pays par pays doit être considéré comme une opportunité.
Par Fabien Cotte, avocat associé, PwC Société d’Avocats et Marine Gril-Gadonneix, directeur, avocat, PwC Société d’Avocats.
Dans le cadre des travaux de l’OCDE, l’action 13 du projet Base Erosion and Profit Shifting (BEPS) a pour objectif de développer la transparence pour les administrations fiscales grâce à une amélioration de la documentation prix de transfert et à l’élaboration d’un modèle type de communication d’information pays par pays. Dans ce contexte, une obligation de reporting fiscal pays par pays, mieux connue sous le nom anglais de Country By Country Reporting (CBCR) est venue s’ajouter aux obligations en matière de documentation sur les prix de transfert.
Certains pays comme l’Espagne ou le Royaume-Uni ont d’ores et déjà inclus dans leur projet de loi de finances des dispositions visant à l’introduction dans leur législation nationale du CBCR. En ce qui concerne les sociétés françaises, les obligations en matière de CBCR devraient en principe, être connues d’ici la fin de l’année. Toutefois, tout porte à croire, sur la base des travaux de l’OCDE, que les entreprises multinationales françaises, dont le chiffre d’affaires annuel consolidé au cours de l’exercice 2015 aura excédé 750 millions d’euros, seront soumises à ces nouvelles obligations, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016. Ce seuil fera l’objet d’une réévaluation en opportunité en 2020. Lorsque ce seuil sera franchi, c’est l’ensemble des filiales françaises et étrangères détenues par l’entreprise française multinationale qui seront soumises à ces nouvelles obligations.
Les premières déclarations CBCR devraient donc être souscrites en principe, d’ici le 31 décembre 2017 et présenteront une vue d’ensemble de la répartition des bénéfices et des activités par pays. Sans rentrer dans le détail des informations que les entreprises multinationales françaises auront à produire, et si le futur texte est conforme aux principes posés dans le cadre des travaux de l’OCDE, ce qui a été le cas pour le Royaume-Uni ou encore l’Espagne, on se limitera à citer les principales : chiffre d’affaires, résultat avant impôt, impôts payés, actifs et effectifs. Les informations ainsi recueillies feront l’objet d’échanges entre les administrations fiscales des différents pays.
Au-delà des aspects pratiques que nous venons de présenter, le CBCR s’inscrit dans un environnement fiscal réglementaire en évolution permanente et qui entraîne notamment une exigence toujours accrue en matière de transparence. Les directeurs fiscaux et financiers doivent ainsi faire face à des problématiques nouvelles et à une complexité susceptible de s’accroître au gré de l’évolution des règles comptables et fiscales.
Dans ce contexte, les sociétés françaises doivent, à notre sens, considérer le CBCR comme une source d’opportunités qui nous semble devoir répondre notamment aux enjeux suivants :
• état des lieux sur la transparence fiscale : les groupes doivent faire l’inventaire des obligations comptables et/ou fiscales qui s’imposent à eux et qui requièrent de produire des informations fiscales. En effet, le CBCR du projet BEPS est une obligation fiscale qui s’imposera à tous les groupes multinationaux, mais certains d’entre eux peuvent aussi être soumis à d’autres obligations similaires. Egalement, en plus des informations fiscales communiquées dans leurs comptes annuels ou auprès des administrations fiscales, les groupes peuvent choisir d’aller au-delà de ce qui est requis. Dans cette optique, certaines sociétés souhaiteront remonter plus de données afin d’être prêtes à les communiquer dans un second temps. Inévitablement, dans le cadre de ce processus, les questions suivantes seront amenées à être posées : quelle est la vision du management par rapport à la transparence fiscale ? Cette vision est-elle partagée de tous : conseil d’administration, comité d’audit, actionnaires, salariés, etc. ?
• mise en place d’un cadre de gouvernance afin de garantir la fiabilité des données fiscales remontées. Pour ce faire, les groupes seront amenés à revoir et à optimiser leurs processus, leurs données et leurs outils ;
• évaluation de la cohérence entre la stratégie fiscale du groupe et les informations fiscales communiquées, et le cas échéant mise en œuvre de plans d’actions afin d’être en conformité avec le projet BEPS. Dans cette optique, les groupes doivent se préparer à répondre aux questions que les administrations fiscales des différents pays ou autres acteurs pourraient poser au vu de ces informations. Jusqu’à présent, les groupes cotés communiquaient et rationalisaient leur taux effectif d’impôt (TEI) global dans leurs comptes consolidés. Le CBCR va aller encore plus loin et va mettre en lumière le taux effectif d’impôt cash (TEIC) pays par pays, c’est-à-dire toutes les différences entre résultat fiscal et résultat comptable, que ces différences soient temporaires ou permanentes. Les «drivers» classiques du TEI vont ainsi être mis en perspective : le mix géographique (allocation du profit comptable par pays), les mesures fiscales incitatives (crédit d’impôts, taux réduit, etc.), les dépenses non déductibles (par exemple les intérêts financiers) et les impôts non corrélés au résultat fiscal (retenue à la source, redressements fiscaux, etc.), auxquels vont s’ajouter les effets des différences temporaires comme par exemple l’impact des déficits fiscaux ou des provisions déductibles lors du paiement ;
• définition d’un plan de communication fiscale interne et externe.
L’environnement normatif comptable et fiscal est en pleine mutation et nous n’en sommes qu’au début. La loi de finances française pourrait aller au-delà du cadre préconisé par l’OCDE. La transposition en droit français de cette obligation de CBCR est donc à suivre avec attention. Parallèlement, on peut penser que certaines obligations comptables sectorielles pourraient être étendues à d’autres secteurs. Les groupes français doivent donc rester flexibles et réactifs afin de garder la maîtrise de l’information fiscale.