Depuis plusieurs années, les représentants des Etats membres de l’UE, lors de réunions «politiques», se disent prêts à faire œuvre de transparence, à échanger entre eux les «rulings» qu’ils octroient aux entreprises.
Par Emmanuel Raingeard de la Blétière, maître de conférences à l’Université de Rennes 1, avocat of Counsel, PwC Société d’Avocats.
En 2011, une directive sur l’échange d’information est adoptée au sein de l’Union européenne et vise, semble-t-il, les rulings. Si l’on a pu penser que la volonté politique s’était traduite par un acte législatif, le flou entourant les notions usitées affecta sa force contraignante.
Sous la pression des institutions européennes et de l’opinion publique, les Etats membres pourraient se retrouver au pied du mur.
Ainsi, la direction générale de la concurrence de la Commission a décidé de collecter des renseignements sur les pratiques en matière de rulings fiscaux auprès de l’ensemble des Etats membres. Elle pourrait aussi leur demander une liste de toutes les sociétés ayant bénéficié d’un ruling fiscal entre 2010 et 2013. Rappelons que plusieurs procédures d’enquête ont été ouvertes sur des accords en matière de prix de transfert donnés par des Etats membres à des multinationales.
En février 2015, le Parlement européen a créé une commission spéciale sur les rescrits fiscaux, chargée d’analyser cette pratique et la manière dont la Commission applique la législation sur les aides d’Etat.
Enfin, la Commission européenne a aussi inscrit dans son programme de travail 2015 une «Proposition de directive relative à l’échange obligatoire d’informations en matière de rulings transfrontières» dans le but de «garantir l’échange d’informations utiles entre les administrations fiscales des différents Etats membres au sujet des interprétations ou des applications de dispositions légales faites de manière anticipée à l’intention de contribuables se trouvant dans des situations ayant une dimension transfrontière(11).»
L’OCDE semble aussi estimer que la pratique des rulings est un vecteur important de concurrence fiscale dommageable. Elle préconise des solutions similaires : transparence et échange d’information.
Le problème de ce regain de transparence pour les entreprises n’est pas que les schémas d’optimisation soient dévoilés aux administrations fiscales des différents Etats : sauf exception, les entreprises respectent scrupuleusement les lois des pays où elles sont établies ! Dès lors, les optimisations fiscales, légales, «fonctionnent» aussi lorsque les administrations fiscales en connaissent toutes les subtilités.
Outre que l’entreprise se trouvera couverte d’opprobres, le véritable problème est l’utilisation que pourrait faire la Commission de ces informations. En effet, au regard de l’évolution de la pratique de la Commission en matière d’aides d’Etat, on peut craindre, à l’instar de ce qui peut se passer pour des législations fiscales, qu’elle qualifie ainsi certaines pratiques des Etats. Or, la sanction qui est attachée à cette qualification est le remboursement par l’entreprise des avantages fiscaux dont elle a bénéficié. L’ironie réside dans le fait que l’Etat fautif se voit rembourser les avantages (avec intérêts) qu’il a octroyés aux sociétés…
Si l’on peut aisément admettre que le législateur ou les organisations internationales changent les règles de manière prospective, il est plus difficile d’admettre que l’on revienne dix ans en arrière et que l’on examine la situation au travers du prisme des aides d’Etat dont peu d’entreprises, de conseils, ou mêmes de services des Etats avaient connaissance…
11. Commission européenne, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions – Programme de travail de la Commission pour l’année 2015 – Un nouvel élan, COM (2014) 910 final, Strasbourg, le 16 déc. 2014.