L’acquisition de la nue-propriété d’un immeuble est un investissement attractif pour les investisseurs particuliers souhaitant développer leur patrimoine immobilier sans alourdir leur charge fiscale à court terme, que ce soit au titre de l’impôt sur le revenu ou au titre de l’ISF. L’opportunité d’un tel investissement doit toutefois être analysée au regard de la situation personnelle de chaque investisseur, en ce compris son lieu de résidence fiscale.
Par Julien Saïac, avocat associé en fiscalité internationale.
Il traite plus particulièrement des questions relatives aux restructurations internationales et aux investissements immobiliers.
et Frédéric Gerner, avocat en fiscalité.
Il intervient tant en matière de conseil que de contentieux dans les questions relatives aux impôts directs, notamment celles liées aux restructurations intragroupes et à l’immobilier.
Longtemps cantonné à la gestion d’un patrimoine immobilier dans un cadre familial, le démembrement de propriété est devenu ces dernières années un moyen d’investissement immobilier rencontrant un succès grandissant, notamment en raison de l’évolution de la fiscalité des particuliers.
Le principe d’un tel investissement est le suivant : un particulier acquiert la nue-propriété d’un bien en bénéficiant d’une décote fréquemment comprise entre 40 % et 50 % de la valeur vénale de l’immeuble tandis que l’usufruit est confié à un bailleur institutionnel pour une durée généralement comprise entre 15 et 20 ans. L’investisseur ne perçoit aucun loyer au cours de la période d’usufruit temporaire, mais récupère à son terme la pleine propriété du bien sans coût supplémentaire.
L’intérêt fiscal de l’investissement en nue-propriété est lié à l’absence d’imposition pendant la période de démembrement.
En premier lieu, l’investisseur nu-propriétaire ne perçoit aucun revenu foncier taxable à l’impôt sur le revenu. Corrélativement, il ne peut déduire aucune charge afférente à cet investissement, sauf lorsque l’usufruit est confié à un bailleur social. En effet, souhaitant développer l’offre de logements sociaux tout en limitant les engagements financiers des organismes d’HLM, le législateur a mis en place un régime de faveur permettant à l’investisseur, dans une telle situation, de déduire les intérêts afférents à l’acquisition de la nue-propriété dans la catégorie des revenus fonciers (article 31, I-1°-d du CGI). Partant, lorsque la nue-propriété est acquise par emprunt, ce dispositif permet à un particulier disposant par ailleurs d’investissements immobiliers productifs de revenus fonciers de minorer ses revenus imposables.
En second lieu, la valeur de la nue-propriété n’entre pas dans l’assiette taxable de l’ISF (article 885 G du CGI), sauf dans certaines conditions si l’investisseur acquiert la nue-propriété auprès d’un propriétaire conservant l’usufruit, ce qui ne sera pas le cas en principe pour de tels investissements. Toutefois, et ce depuis l’ISF 2013, la dette éventuellement contractée pour l’acquisition de la nue-propriété n’est plus déductible de l’assiette imposable, diminuant ainsi un avantage fiscal qui reste néanmoins tangible.
Enfin, l’usufruitier est seul redevable de la taxe foncière (article 1400, II du CGI).
L’intérêt fiscal de l’investissement n’est en outre pas limité à la période d’usufruit temporaire. En effet, en cas de cession de l’immeuble dont l’investisseur sera devenu l’entier propriétaire, ce dernier pourra bénéficier d’une méthode avantageuse de calcul de la plus-value imposable. En premier lieu, l’administration fiscale admet de retenir comme prix d’acquisition du bien la valeur vénale de la pleine propriété de l’immeuble à la date d’acquisition de la nue-propriété, le gain résultant de la décote dont a bénéficié l’investisseur sur le prix d’acquisition de la nue-propriété échappant ainsi à l’impôt. En second lieu, l’abattement pour durée de détention sur les plus-values immobilières est décompté à partir de l’acquisition de la nue-propriété.
L’acquisition de la nue-propriété d’un bien situé en France peut également être envisagée par un investisseur non résident. Ce dernier sera généralement soumis en France aux mêmes règles d’imposition qu’un résident, la plupart des conventions fiscales internationales attribuant à la France le droit d’imposer les revenus, les plus-values et la fortune résultant de la détention d’immeubles situés en France.
Pour un non-résident, la question cruciale est de savoir si le régime fiscal de son pays de résidence ne vient pas supprimer ou réduire l’avantage offert par les règles fiscales françaises. L’analyse portera principalement sur l’impôt sur le revenu car rares sont les Etats à avoir maintenu un impôt sur la fortune. Elle devra être faite, de façon classique, à la fois au regard du droit interne du pays considéré et, le cas échéant, au regard de la convention fiscale signée entre la France et le pays étranger.
En droit local, il se peut que les personnes physiques résidentes de l’Etat étranger en cause bénéficient d’un régime de territorialité sur les revenus qu’elles perçoivent. Dans cette hypothèse, les revenus et plus-values perçus dans un autre Etat (en l’espèce la France) ne seraient pas imposables dans l’Etat étranger (sous réserve, le cas échéant, du non-rapatriement des sommes). Dans ce cas, l’avantage fiscal accordé par la France jouerait à plein.
Si le droit local n’exclut pas l’imposition des revenus immobiliers de source française, il sera également nécessaire d’examiner les stipulations de la convention fiscale éventuellement applicable, et notamment, la clause d’élimination de la double imposition. En synthèse, deux cas de figure peuvent alors se présenter :
– soit la convention attribue le droit d’imposer exclusivement à la France et elle fera échec à toute nouvelle taxation par l’Etat de résidence étranger (par le biais d’une clause d’exonération ou d’un crédit d’impôt égal à l’impôt étranger) ;
– soit la double imposition est éliminée par l’attribution, par l’Etat de résidence, d’un crédit d’impôt égal à l’impôt payé en France. Dans ce cas, et en fonction des règles d’imposition locales, l’avantage fiscal accordé par la France risque d’être réduit, voire annulé, par l’imposition étrangère. En particulier, on peut douter de la reprise, en droit fiscal étranger, de la tolérance de l’administration française qui admet de retenir comme prix d’acquisition du bien la valeur vénale de la pleine propriété de l’immeuble à la date d’acquisition de la nue-propriété.
L’intervention d’un conseil en fiscalité locale est donc absolument nécessaire afin de déterminer la qualification qui est donnée et le traitement qui est appliqué aux revenus et plus-values afférents à un bien immobilier dont, d’une part, la propriété est démembrée et qui, d’autre part, se situe en France.
De manière générale, le régime fiscal de l’investissement en nue-propriété apparaît, à l’heure actuelle, incontestablement attractif. L’investisseur devra néanmoins intégrer qu’il s’agit d’un investissement de long terme, qui n’est pas immédiatement productif de revenus et n’a pas vocation à dégager rapidement une plus-value, et dont la fiscalité peut naturellement se trouver modifiée en fonction de l’évolution de la législation ou de la résidence fiscale de l’investisseur.
L’investissement en nue-propriété mérite donc une réflexion attentive, l’investisseur devant en analyser l’opportunité au regard des possibles évolutions de sa situation personnelle, financière et géographique.