Les spécialistes de l’immobilier n’ignorent pas l’importance de la fiscalité dans le choix des opérations d’acquisition ou de cession d’immeubles ou de titres de sociétés à prépondérance immobilière (SPI) et notamment l’importance des décotes fiscales dans l’évaluation du prix proposé des sociétés immobilières.
Par Richard Foissac, avocat associé en fiscalité. Il traite notamment des dossiers d’acquisition et de restructuration de groupes immobiliers cotés ou non cotés et les conseille sur leurs opérations. Il est chargé d’enseignement en droit fiscal aux Universités Paris I et Nice Sophia-Antipolis. richard.foissac@cms-fl.com
Ces décotes trouvent leur fondement dans le constat de l’existence de plus-values latentes sur les immeubles détenus par les sociétés dont l’acquéreur souhaite prendre en compte le coût fiscal latent.
Les praticiens connaissent bien cette problématique pour les sociétés immobilières soumises à l’impôt sur les sociétés (IS) mais il était d’usage de considérer que la pratique des décotes ne concernait pas les sociétés immobilières non soumises à l’IS, compte tenu notamment du mécanisme de correction du prix de revient des parts, institué par la jurisprudence dite QUEMENER.
Or, cette situation s’est considérablement modifiée à la suite de la décision LUPA du 6 juillet 2016 (Conseil d’Etat, n° 377904) qui, confirmée depuis, ne permet plus de réévaluer en franchise d’impôt les actifs immobiliers détenus dans des sociétés de personnes récemment acquises par la voie d’une dissolution sans liquidation de la société immobilière.
La pratique a ainsi vu se développer les mêmes demandes de décotes à l’occasion de l’acquisition de sociétés de personnes sans que soit opérée de distinction selon que les associés cédants sont des personnes morales ou des personnes physiques.
S’agissant notamment des associés personnes physiques, pour lesquels le régime d’imposition des plus-values de cession de parts sociales de sociétés immobilières non soumise à l’IS n’est pas celui des plus-values de cession de valeurs mobilières mais celui des plus-values immobilières privées, et pour lesquelles ainsi les plus-values de cession peuvent être exonérées ou faiblement imposées en fonction de la durée de détention des parts, la perte de valeur intrinsèque des parts sociales liée aux décotes fiscales est souvent sujet d’incompréhension.
Et la cession des immeubles détenus par la société de personnes en lieu et place de la cession des parts n’est pas toujours possible ou recherchée par l’acquéreur.
La question qui se pose est dès lors celle de savoir si, s’agissant notamment des sociétés de personnes, la pratique des décotes est inéluctable, au motif d’une double imposition des mêmes plus-values à neutraliser ou si, au contraire, elle peut être évitée ou négociée.
Le principe est que l’acquéreur des parts paie indirectement le prix réel des immeubles et qu’à l’issue de la cession des immeubles et de la répartition du prix, sauf à ce que les immeubles se soient dépréciés, l’acquéreur doit récupérer a minima le prix des parts, au mieux sa plus-value.
Or, compte tenu du prix de revient des immeubles au bilan de la société immobilière, les plus-values de cession excèdent la fraction de valeur acquise par les immeubles à dater de l’acquisition des parts et l’impôt dû, soit par la société si elle est assujettie à l’IS, soit par les associés dans le cas contraire, constitue à due concurrence une perte de valeur, d’où la nécessité de demander un prix des parts ou actions plus faible.
Il faut rappeler à ce titre que l’acquisition des parts de sociétés immobilières relevant du régime de personnes auprès de personnes physiques, pour lesquels il n’existe pas de comptabilité commerciale, place les acquéreurs personnes morales dans la même situation dès lors que le Conseil d’Etat (CE, 10 juillet 2007, n° 287661, 8e et 3e s.-s., SA SCA Ouest) a jugé que la base d’amortissement des immeubles est, dans cette situation, leur valeur nette comptable résiduelle reconstituée.
Afin d’éviter le coût de l’imposition des plus-values latentes existant à la date d’acquisition des immeubles, la place avait de fait développé la pratique des dissolutions sans liquidation des sociétés de personnes. Ce mécanisme générait par application de la jurisprudence QUEMENER, des pertes sur titres déductibles venant ainsi corriger, à due concurrence, les plus-values immobilières.
Si la décision LUPA a mis fin à cette «possibilité» elle n’a pas pour autant modifié la nature des titres des SPI pour lesquelles les pertes sur titres et provisions pour dépréciation restent déductibles fiscalement pour leurs associés soumis à l’IS, quelle que soit la durée de détention des titres.
Or, les SPI sont définies par l’article 219 I a sexies-O bis du Code général des impôts comme celles dont l’actif est, à la date de la cession de ces titres ou a été à la clôture du dernier exercice précédant cette cession, constitué pour plus de 50 % de sa valeur réelle par des immeubles, des droits portant sur des immeubles, des droits afférents à un contrat de crédit-bail conclu dans les conditions prévues au 2 de l’article L.313-7 du Code monétaire et financier ou par des titres d’autres SPI (étant indiqué que pour l’application de ces dispositions, ne sont pas pris en considération les immeubles ou les droits portant sur des immeubles lorsque ces biens ou droits sont affectés par l’entreprise à sa propre exploitation industrielle, commerciale ou agricole ou à l’exercice d’une profession non commerciale).
Il découle de ce texte qu’une société est à prépondérance immobilière et que les pertes sur cession de ses titres sont déductibles fiscalement lorsqu’elle présente cette qualité à la date de cession de ses titres ou lorsqu’elle présentait cette qualité à la clôture de l’exercice précédant la cession. Ainsi, à la date de cession des titres (situation à laquelle il convient d’assimiler la dissolution sans liquidation de la société) elle ne détient plus nécessairement principalement à son actif des immeubles.
De la même façon, les provisions pour dépréciation des titres de SPI sont fiscalement déductibles et l’appréciation de la prépondérance immobilière doit en principe être appréciée de la même façon pour les provisions que pour les pertes sur titres. Il faut rappeler à ce titre que le Conseil d’Etat a annulé, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, la doctrine administrative (BOI-IS-BASE-20-20-10-30 n° 70, 31-12-2013) qui précisait, en cas de reprises de provisions résultant de la variation de valeur des titres, que le caractère immobilier prépondérant devait être apprécié à la clôture de l’exercice de la société qui détient les titres (CE, 8e -3e s.-s., 14-10-2015, n° 387249).
Ainsi, une société immobilière qui cède des actifs immobiliers et distribue ses plus-values peut se déprécier sans nécessairement perdre pour autant sa qualité de SPI et ses actionnaires ou associés doivent en tirer alors les conséquences dans les conditions exposées ci-avant.
L’avantage du régime des sociétés de personnes est par ailleurs qu’il permet la «consolidation», au niveau des associés, de l’imposition des plus-values de cession des immeubles et des pertes ou provisions pour dépréciation des titres de filiales.
Certes, cette consolidation ne s’opère pas en règle générale au titre du même exercice, mais il ne s’agit plus alors que du coût de portage d’un impôt et non d’une perte égale à l’impôt. Sans doute convient-il également d’être en présence d’associés personnes morales présentant des activités récurrentes pour lesquelles la réalisation de moins-values déductibles ou la dotation de provisions pour dépréciation déductibles n’est pas sans impact, mais force est de considérer que la décote pour impôt latent n’est pas toujours inéluctable.