Le juge n’est pas tenu par la qualification du contrat donnée par les parties. Ce principe reçoit aussi application en matière d’avant-contrats immobiliers. La Cour de cassation vient de le rappeler à propos des promesses de vente dans un arrêt du 7 juin 20181.
Par Jean-Luc Tixier, docteur en droit, avocat associé en droit immobilier et droit public. Il assiste – conseil et contentieux – les entreprises commerciales et industrielles, et intervient auprès des promoteurs en matière de droit de l’urbanisme et de la construction, de ventes immobilières et de baux commerciaux, de baux emphytéotiques et à construction, d’expropriation. Il est chargé d’enseignement à l’Université Paris I. jean-luc.tixier@cms-fl.com
En l’espèce, une convention intitulée «promesse synallagmatique de vente et d’achat» a été conclue sous seing privé ; les conditions suspensives ont été réalisées mais le bénéficiaire de la promesse a refusé de signer l’acte authentique. Il a assigné le promettant, d’une part, en disqualification en promesse unilatérale de vente et, d’autre part, en prononcé de sa nullité corrélative, faute d’enregistrement dans les dix jours de sa signature conformément à l’article 1589-2 du Code civil. La Cour de cassation a approuvé les juges d’appel2 d’avoir accueilli ces demandes. En effet, l’ambiguïté des termes de la promesse rendait nécessaire son interprétation par les juges, qui y ont procédé de façon souveraine.
Plusieurs termes de la promesse ont milité en faveur de sa disqualification de «synallagmatique» en unilatérale : la stipulation d’une date de «levée d’option», la présence d’une indemnité d’immobilisation, acquise au promettant en cas de renonciation à acquérir par le bénéficiaire (d’un montant égal à 10 % du prix de vente) et enfin l’impossibilité pour le propriétaire de se rétracter.
La promesse unilatérale (désormais définie par l’article 1124 du Code civil) se caractérise par un engagement ferme du promettant et une absence d’engagement du bénéficiaire. La somme éventuellement versée par le bénéficiaire est une indemnité d’immobilisation qui rémunère le promettant en contrepartie de l’indisponibilité de son bien pendant la durée offerte au bénéficiaire pour lever, ou non, l’option qui lui est consentie. A l’inverse, lorsque la promesse est synallagmatique, la somme versée est qualifiée de dédit (ou, quelquefois, d’arrhes) et permet à une partie de se défaire unilatéralement d’une obligation à laquelle elle s’est obligée. Il ne s’agit plus d’une rémunération mais de dommages et intérêts.
Pendant longtemps, la Cour de cassation a adopté une approche subjective des promesses en analysant la teneur réelle de l’engagement de l’acquéreur. Ainsi, s’il était relevé que l’indemnité d’immobilisation versée était très élevée, il en était déduit que le bénéficiaire de la promesse ne pouvait en réalité pas décider de ne pas acquérir et la promesse était en pareil cas qualifiée de synallagmatique3 .
Elle semble par la suite avoir abandonné cette solution pour une approche objective : le critère de qualification ne porte plus sur la teneur de l’engagement du bénéficiaire mais sur l’existence, ou non, d’une asymétrie d’obligations ; dès lors que le bénéficiaire dispose d’un droit d’option et que le promettant n’en dispose pas alors la promesse est qualifiée d’unilatérale. Peu importe la réalité effective du droit d’option4, l’absence de ce dernier suffit pour entraîner la qualification en promesse synallagmatique5.
C’est dans cette approche que s’inscrit l’arrêt du 7 juin 2018 : c’est bien l’observation d’un «déséquilibre significatif» entre les obligations des parties qui empêche la promesse en cause de revêtir le caractère synallagmatique que lui prêtait pourtant son intitulé.
Les parties doivent donc être vigilantes lors de la rédaction ; les clauses de la promesse conclue doivent s’accorder avec sa nature et son intitulé. Outre le cas où le bénéficiaire ne s’engage pas à acquérir, entraînant inéluctablement la disqualification en promesse unilatérale, il faut aussi relever l’incongruité de la présentation du futur acte notarié comme «réitérant» l’accord contenu dans une promesse unilatérale. A l’heure où de nombreux rédacteurs usent du «copier-coller» de passages d’avant-contrats de natures différentes, une relecture attentive (pour s’assurer de la cohérence des mécanismes et de la terminologie employée) s’impose. A défaut les (mauvaises) surprises apparaissent lors du dénouement.
1. Cass. civ. 3°, 7 juin 2018, n° 17-18.670.
2. CA Paris, 24 mars 2017, n° 15/15898.
3. Cass. com., 13 février 1978, n° 76-13.429.
4. Cass. civ. 1°, 1er février 2010, n° 90-65.673, jugeant que le fait que le dépôt de garantie soit presque égal au prix ne permet pas de disqualifier la promesse.
5. Cass. civ., 23 janvier 1991, n° 89-10.489.