Un bien immobilier peut connaître une perte de valeur significative, voire perdre toute sa valeur, au gré de son classement par un document d’urbanisme. Si d’autres servitudes publiques peuvent avoir des effets comparables sur les biens, en matière d’urbanisme le législateur est intervenu pour définir et imposer un principe de non-indemnisation, comportant des exceptions limitées, complétées par le juge administratif sous la pression du droit conventionnel.
Par Yves Delaire, avocat associé en droit public de CMS Francis Lefebvre Lyon Avocats. Il conseille et assiste les personnes publiques, les entreprises, les associations et les particuliers, notamment en matière de contrats publics, de droit des biens des personnes publiques, de droit de l’urbanisme, de l’environnement et de l’énergie. yves.delaire@lyon.cms-fl.com
Pour l’article L.105-1 du Code de l’urbanisme, n’ouvrent droit à aucune indemnité les servitudes instituées par ce même code en matière de voirie, d’hygiène et d’esthétique ou pour d’autres objets et concernant, notamment, l’utilisation du sol, la hauteur des constructions, la proportion des surfaces bâties et non bâties dans chaque propriété, l’interdiction de construire dans certaines zones et en bordure de certaines voies et la répartition des immeubles entre diverses zones.
La loi prévoit toutefois deux exceptions en indiquant qu’une indemnité est due en présence d’une atteinte à des droits acquis ou d’une modification de l’état antérieur des lieux. Encore faut-il que ces deux exceptions causent un dommage direct, matériel et certain à la propriété concernée. Alors que l’hypothèse de la modification de l’état des lieux par un document d’urbanisme semble revêtir un caractère théorique, c’est en conséquence sur le terrain des droits acquis que le juge peut engager la responsabilité de la personne publique compétente. L’article L.105-1 précise que, à défaut d’accord amiable, l’indemnité due est fixée par le Tribunal administratif, qui tient compte de la plus-value donnée aux immeubles par la réalisation du plan local d’urbanisme approuvé ou du document en tenant lieu.
La rigueur de l’interprétation de l’article L.105-1 par le juge administratif a paradoxalement conduit ce dernier à envisager une hypothèse supplémentaire d’indemnisation au regard de l’article 1 du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH) portant sur le droit de propriété. Afin d’assurer la compatibilité de l’article L.105-1 avec les stipulations de la CEDH, le Conseil d’Etat a rappelé en premier lieu que ces dispositions subordonnent le principe de non-indemnisation des servitudes d’urbanisme qu’elles édictent à la condition que ces servitudes aient été instituées légalement, aux fins de mener une politique d’urbanisme conforme à l’intérêt général et dans le respect des règles de compétence, de procédure et de forme prévues par la loi. Le Conseil d’Etat précise que ces deux hypothèses d’indemnisation ne font pas obstacle à ce que le propriétaire dont le bien est frappé d’une servitude prétende à une indemnisation à un autre titre. Cette indemnisation sera due dans le cas exceptionnel où l’ensemble des conditions et circonstances dans lesquelles la servitude a été mise en œuvre fait supporter au propriétaire une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi1 .
Cette décision n’est pas une corne d’abondance pour les propriétaires impactés par les documents d’urbanisme. En 2016, le Conseil d’Etat a admis qu’une carte communale avait eu pour effet, en procédant au classement d’une propriété en zone inconstructible, d’amoindrir la valeur vénale de cette propriété qui occupait une partie substantielle du territoire de la commune, et de compromettre définitivement des projets d’aménagement. La commune devait, en conséquence, être regardée comme ayant fait peser sur la société propriétaire, qui était seule affectée par ce classement, une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi. Les 160 hectares concernés avaient été acquis en vue de la réalisation d’un programme immobilier comprenant un complexe hôtelier, plusieurs golfs et des habitations, après modification du plan d’occupation des sols. Enfin, cette société avait engagé d’importants travaux en vue de la réalisation de ce projet qui bénéficiait, à l’origine, du soutien communal2.
1. CE, 3 juillet 1998, Bitouzet,
n° 158592.
2. CE, 29 juin 2016, société Château Barrault, n° 375020.