La baisse des valeurs de l’immobilier résultant d’un contexte macroéconomique rendu difficile par une hausse inédite des taux d’intérêt, a contraint de nombreuses sociétés immobilières et leurs actionnaires à tirer des conséquences plus ou moins importantes de la baisse des valeurs des biens immobiliers détenus directement ou indirectement.
Par Richard Foissac, avocat associé en fiscalité. Il traite notamment des dossiers d’acquisition et de restructuration de groupes immobiliers cotés ou non cotés et les conseille sur leurs opérations. Il est chargé d’enseignement en droit fiscal aux Universités Paris I Panthéon-Sorbonne et Nice Sophia-Antipolis. / Pierre Carcelero, avocat associé en fiscalité. Il traite notamment des dossiers d’acquisition et de restructuration de groupes immobiliers cotés et non cotés et les conseille sur leurs opérations.
/ Sebastian Boyxen, avocat counsel en droit fiscal. Il intervient en matière de fiscalité nationale et internationale des entreprises, notamment dans le cadre de la structuration fiscale d’investissements immobiliers et de fonds immobiliers.
Nous présentons ci-après les effets des mesures ou incidences les plus fréquentes en matière de provision pour dépréciation (1), de renonciation à des projets de cession (2) ou de prépondérance immobilière (3).
1. Dépréciation des immeubles ou des titres de filiales
Les sociétés constatant une perte de valeur de leurs immeubles en deçà de leur prix de revient sont conduites à déprécier les valeurs de ces immeubles et ou des participations dans des filiales immobilières. Toutefois, les effets comptables et fiscaux de ces dépréciations, notamment sur les capacités de distribution (ou les obligations pour certaines structures) des entités concernées ne sont pas les mêmes pour toutes.
Dans les fonds de type OPCI établissant des comptes en juste valeur (« mark-to-market »), les provisions liées à l’évaluation des actifs immobiliers détenus en direct sont dotées par un compte de capital, sans impact sur les sommes distribuables du fonds (servant de plafond aux obligations de distribution). En revanche, les provisions régulièrement dotées par les entités soumises au Plan Comptable Général (PCG) constituent des charges comprises dans leur résultat dont la déduction fiscale est en principe obligatoire (CE 23/12/2013, n°391770 Sté Foncière du Rond Point). Pour ces entités, la dépréciation a donc un impact direct sur leurs capacités distributives.
La seule exception à la déduction obligatoire résulte des dispositifs fiscaux de plafonnement spécifiques applicables aux provisions sur immeubles de placement et titres de sociétés à prépondérance immobilière.
En effet, le montant déductible des dotations aux provisions pour dépréciation constituées à raison des immeubles de placement (i.e. immeubles inscrits à l’actif immobilisé et non affectés par l’entité à sa propre exploitation) détenus directement par une même entité, est limité aux moins-values latentes nettes constatées à la clôture de l’exercice sur les immeubles de même nature inscrits à l’actif (CGI, art. 39, 1-5°, avant-dernier alinéa) ; la fraction des dotations correspondant aux plus-values latentes propres à d’autres actifs n’est ainsi pas déductible. Pour l’application de ce dispositif, les plus-values latentes sont déterminées par la différence entre la valeur réelle des immeubles concernés à la clôture de l’exercice et leur prix de revient (et non leur VNC).
Un dispositif analogue de restriction du droit à déduction s’applique aux provisions pour dépréciation de titres de participation détenus au sein de sociétés à prépondérance immobilière (CGI, art. 39, 1-5°, alinéa 19), définies comme celles dont l’actif est à la date de constitution de la provision, ou a été, à la clôture du dernier exercice précédant la constitution de cette provision, constitué pour plus de 50 % de sa valeur réelle par des immeubles, des droits portant sur des immeubles, des droits afférents à un contrat de crédit-bail conclu dans les conditions prévues au 2 de l’article L. 313-7 du code monétaire et financier ou par des titres d’autres sociétés à prépondérance immobilière (à l’exclusion des immeubles ou les droits affectés par l’entreprise à sa propre exploitation).
Le plafonnement de la déduction des provisions pour dépréciation s’applique distinctement aux titres de participation et aux immeubles de placement.
La reprise ultérieure des provisions non admises en déduction est neutralisée pour la détermination du résultat fiscal ; Ce mécanisme peut s’avérer plus favorable que la reprise de provisions déduites fiscalement pour lesquels la déduction initiale ne compense pas nécessairement les effets fiscaux de la reprise. En effet, même si les provisions déduites ont pu contribuer à la création de déficits fiscaux reportables sans limite dans le temps, leur imputation ultérieure peut être affectée par la limitation à l’imputation des déficits fiscaux à 1 million d’euros plus 50 % du bénéfice excédant 1 million d’euros (CGI, art. 209, I al. 3) et conduire ainsi à la constatation d’une charge fiscale sans enrichissement économique.
2. Renonciation à des projets de cession
Pour des sociétés exerçant une activité de marchand de biens ou de promotion immobilière, la revente d’un bien peut tenir à des contraintes notables en matière financière (emprunts court terme) ou fiscale (engagements de revente).
Face, néanmoins, à la baisse des valeurs ou du moins à l’accroissement des difficultés de cession, certains acteurs ont dû ou ont souhaité prendre des décisions conduisant à différer significativement les projets de cession ; dans certains cas, les immeubles sont cédés à des entités liées ou partenaires en vue d’un portage dans l’attente de jours meilleurs.
En matière d’impôt sur les bénéfices et sauf cession à une entité foncière, la renonciation à céder un bien comptabilisé en stock peut conduire à son transfert en immobilisation ; une telle écriture dépend de l’intention de la société propriétaire éclairée par des circonstances de fait (refinancement…). D’ailleurs, la société peut y trouver un intérêt puisqu’elle devient alors en mesure d’amortir le prix de revient des constructions.
D’une manière générale, une telle modification des écritures comptables ne doit pas entraîner d’imposition de l’éventuel profit latent sur l’immeuble en l’absence de cession pour les entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés. La situation peut être différente pour les entreprises ou sociétés de personnes relevant de l’impôt sur le revenu compte tenu en particulier des conséquences d’un éventuel changement d’activité ; le transfert de l’immeuble peut alors entraîner l’imposition du profit latent sur cet actif mais également, potentiellement, sur les autres actifs de l’entreprise.
En outre, une telle décision peut entraîner des conséquences au regard de la TVA (en particulier selon l’affectation ultérieure de l’immeuble) ou des droits d’enregistrement (« renonciation » à l’engagement de revente) qui peuvent nécessiter des régularisations ou reversements et sont donc susceptibles d’avoir un coût potentiellement significatif.
En matière d’impôt sur la fortune immobilière (IFI), l’enjeu est également important puisque les stocks des marchands de biens ou promoteurs sont susceptibles d’être exonérés d’IFI alors que tel n’est en principe pas le cas des actifs immobilisés ayant vocation à être loués dans le cadre d’une activité foncière ordinaire ; il en serait vraisemblablement de même des immeubles détenus par une société à qui ils seraient cédés à cette fin.
Quant aux droits de mutation à titre gratuit, un tel changement est susceptible de priver la société concernée de la faculté de bénéficier d’une exonération partielle au titre du dispositif Dutreil (articles 787 B ou C du CGI) si elle n’exerce plus une activité commerciale éligible ou si son ratio d’actif devient défavorable ; la situation peut même s’avérer préoccupante si elle entraîne la remise en cause de l’exonération partielle appliquée à des transmissions déjà réalisées et au regard desquelles les conditions ne seraient potentiellement plus respectées.
3. Prépondérance immobilière
La baisse des valeurs des actifs immobiliers est enfin susceptible d’avoir une incidence sur le calcul de ratio de prépondérance immobilière des sociétés.
On sait que la qualification de société à prépondérance immobilière (ci-après SPI) revêt une grande importance en fiscalité qu’il s’agisse du régime d’imposition des plus-values (ci-après PV), de celui des droits de mutation à titre gratuit (DMTG) ou bien encore de l’IFI en présence de contribuables non-résidents pour lesquels une convention fiscale existant entre l’état de résidence et la France contient des dispositions relatives à l’impôt sur la fortune limitant le droit d’imposer par la France les immeubles français et les titres de SPI.
Dans les différents cas, la qualification ou non de SPI se traduit par des régimes d’imposition différents des PV de cession de titres, par l‘exigibilité ou non aux DMTG de certaines mutations, par l’assujettissement à l’IFI ou à la taxe de 3 % prévue par l’article 990 D du CGI.
Il existe plusieurs définitions de la prépondérance immobilière selon l’impôt concerné mais toutes ces définitions reposent sur un calcul de ratio consistant à comparer la valeur vénale des immeubles et des biens assimilés à des immeubles (la liste de ces actifs différant selon les définitions (1)) dont notamment les titres de sociétés à prépondérance immobilière, à la valeur vénale totale des actifs de la société.
Lorsque ce ratio excède 50 %, la société est à prépondérance immobilière. Si la notion de valeur vénale n’appelle pas d’observations particulières, il convient néanmoins de faire remarquer que la prépondérance immobilière d’une société ne s’apprécie pas à la même date selon les impôts concernés de telle sort qu’une baisse même significative des actifs immobiliers à une date déterminée peut n’impacter que de façon partielle le ratio de prépondérance immobilière.
Ainsi à titre d’exemple pour les DMTG, l’article 750 Ter du CGI indique que sont considérées comme françaises les actions et parts de sociétés ou personnes morales non cotées en bourse dont le siège est situé hors de France et dont l’actif est principalement constitué d’immeubles ou de droits immobiliers situés sur le territoire français, et ce à proportion de la valeur de ces biens par rapport à l’actif total de la société, cette qualification de SPI devant exister à la date du fait générateur des DMTG (donation, succession, partage, etc.).
Pour l’IFI et la taxe de 3 %, la qualification de SPI s’apprécie à la date de chaque 1er janvier.
En revanche, en matière de plus-values de cession de titres de SPI des particuliers, l’article 150 UB du CGI prévoit que sont considérées comme SPI les sociétés dont l’actif est, à la clôture des trois exercices qui précèdent la cession, constitué pour plus de 50 % de sa valeur réelle par des immeubles ou des droits portant sur des immeubles, non affectés par ces sociétés à leur propre exploitation industrielle, commerciale, agricole ou à l’exercice d’une profession non commerciale.
En matière de plus-values de cession de titres de SPI des non-résidents, l’article 244 Bis A du CGI retient la même règle par exemple pour les parts ou les actions de (i) certaines sociétés cotées sur un marché français ou étranger.
Enfin les conventions destinées à éviter les doubles impositions qui attribuent à la France le droit d’imposer les plus-values de cession de titres de SPI françaises peuvent contenir des dispositions spécifiques. Ainsi la nouvelle convention fiscale franco-luxembourgeoise prévoit que les gains qu’un résident d’un État contractant tire de l’aliénation d’actions, parts ou autres droits dans une société, une fiducie ou toute autre institution ou entité sont imposables dans l’autre État contractant si, à tout moment au cours des 365 jours qui précèdent l’aliénation, ces actions, parts ou autres droits tirent plus de 50 % de leur valeur, directement ou indirectement, de biens immobiliers, tels que définis à l’article 6, situés dans cet autre État.
Dans ce dernier exemple, une baisse sensible de la valeur des actifs immobiliers détenus par une société avant la cession de ses titres peut faire obstacle à la qualification de SPI en ce qu’elle fait obstacle à l’exigence d’une chaine interrompue de 365 jours de ratio immobilier positif.
1. Et notamment cette définition ne prend pas en règle générale en compte les immeubles affectés par la société à sa propre exploitation industrielle, commerciale, agricole, ou à l’exercice d’une profession non commerciale.