L’entrée en vigueur du nouveau dispositif de limitation de la déduction des charges financières nettes, prévue par les articles 212 bis et 223 B bis du Code général des impôts (CGI) pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019, incite à comparer le régime de plafonnement applicable en cas de financement d’un immeuble par crédit-bail avec celui applicable en cas d’acquisition directe de l’immeuble. Si la définition des charges financières concernées par le dispositif garantit un traitement égal des deux situations, les modalités de calcul du plafonnement des charges défavorisent potentiellement les entités qui financent l’immobilier par crédit-bail. Cette circonstance doit être intégrée dans l’appréciation de la rentabilité de l’investissement.
Par Sebastian Boyxen, avocat en droit fiscal. Il intervient en matière de fiscalité des entreprises et de groupes de sociétés ainsi que dans le cadre de la structuration fiscale d’acquisitions et de réorganisations internes de groupes notamment dans le secteur immobilier. sebastian.boyxen@cms-fl.com
Un périmètre identique à l’ancien «rabot»
A l’instar des règles applicables sous l’ancien dispositif du «rabot» (anciens articles 212 bis et 223 B bis du CGI), les charges financières concernées par le nouveau dispositif de plafonnement incluent une quote-part des loyers versés en exécution du crédit-bail immobilier, censée représenter le montant des charges financières facturé par le bailleur au preneur.
Le montant des charges à prendre en compte par le preneur correspond à la différence entre le montant des redevances de crédit-bail effectivement pris en compte en tant que charge déductible, d’une part, et le montant des amortissements, y compris des amortissements financiers, prévus à l’article 39 C du CGI, pratiqués par le bailleur et des frais et prestations accessoires facturés au preneur, d’autre part.
Les règles spécifiques de déductibilité des loyers de crédit-bail prévues par l’article 39, 10 du CGI qui s’appliquent aux contrats portant sur des immeubles à usage de bureaux situés en Ile-de-France et achevés après le 31 décembre 1995 n’ont pas d’impact sur les modalités de calcul de la composante financière décrites ci-dessus.
En pratique, la détermination de la composante financière suppose que le bailleur mette à la disposition du preneur les informations relatives à l’amortissement linéaire et l’amortissement financier pratiqué. Par mesure de tolérance, l’Administration admet toutefois que lorsque le crédit-preneur ne dispose pas de ces informations, le montant des amortissements pris en compte peut aussi être déterminé d’après le montant des intérêts financiers effectivement supportés par le preneur tel qu’il résulte du tableau d’amortissement du crédit-bail communiqué au preneur. Cette tolérance existait déjà sous l’ancien dispositif du rabot.
Les dispositions précitées ont pour effet de placer le preneur d’un crédit-bail immobilier, du moins pour la détermination des charges financières à prendre en compte pour l’application du dispositif de plafonnement, dans une situation analogue à celle d’une acquisition directe de l’immeuble.
Un plafond d’EBITDA fiscal n’incluant pas la part d’amortissement du loyer de crédit-bail
Les charges financières nettes déterminées, selon le cas, au niveau de l’entreprise ou du groupe fiscal, sont déductibles du résultat individuel ou du résultat d’ensemble soumis à l’impôt sur les sociétés (IS) dans la limite de trois millions d’euros (1er plafond) ou de 30 % du résultat fiscal avant intérêts, impôts, dépréciations et amortissement, dit «EBITDA fiscal» (2nd plafond), lorsque ce second montant est plus élevé. Ces plafonds sont respectivement réduits à un million d’euros ou 10 % de l’EBITDA fiscal lorsque la société ou le groupe fiscal est sous-capitalisé.
Aux termes des articles 212 bis et 223 B bis du CGI, l’EBITDA fiscal est déterminé en majorant notamment le résultat fiscal soumis à l’IS, outre des charges financières nettes entrant dans le champ du dispositif de plafonnement des «amortissements admis en déduction, nets des reprises imposables».
Cette définition légale de l’EBITDA fiscal, conforme à la définition retenue par la directive ATAD1 dont le dispositif de plafonnement est issu, devrait s’opposer à la majoration du résultat fiscal de la quote-part de loyers de crédit-bail prise en compte pour la détermination du prix de cession du bien à l’issue du contrat, correspondant en pratique à l’amortissement financier de l’immeuble. Rappelons que sous l’ancien dispositif de sous-capitalisation cette quote-part était expressément prise en compte pour le calcul de la limite de couverture des intérêts par le résultat.
L’interprétation littérale des dispositions précitées laisse difficilement place à une définition des «amortissements admis en déduction» différente de celle des dotations aux amortissements fiscalement déduits, qui permettrait d’y inclure, outre les amortissements techniques et les amortissements dérogatoires (coûts non liés à la trésorerie), également la part «amortissement» de l’immeuble compris dans le loyer de crédit-bail.
Ce constat conduit à la conclusion que, lorsque le plafond en fonction de l’EBITDA fiscal peut s’appliquer, le crédit-preneur est moins bien traité que s’il avait acquis directement l’immeuble.
Quid d’une analyse économique ?
Dès lors que la définition de l’EBITDA fiscal est une définition autonome différente de l’EBITDA comptable, la question se pose de savoir si la référence faite aux «amortissements admis en déduction» ne pourrait pas, selon une interprétation plus ouverte, attraire la part d’amortissement incluse dans le loyer de crédit-bail qui correspond à une charge d’exploitation au moins économiquement équivalente à des amortissements.
En effet, le régime fiscal du crédit-bail immobilier est comparable à celui d’un propriétaire mais, au lieu de porter l’immeuble au bilan sous forme d’une immobilisation corporelle et d’un emprunt correspondant, et au compte de résultat, sous forme d’une dotation aux amortissements et d’une charge financière, comme dans les comptes consolidés, la déductibilité des redevances est limitée à celle qu’elle aurait été en cas d’acquisition directe de l’immeuble, d’où la nécessité de procéder à :
– l’éclatement des loyers entre «amortissements» du capital engagé par le bailleur et frais financiers ;
– l’éclatement des «amortissements» entre éléments amortissables (constructions) et non amortissables (terrains) ; et
– la réintégration à l’échéance du contrat d’une fraction des loyers déduits en cours de contrat.
Toutefois, on peut craindre que cet argument économique se heurte aux motifs qui ont initialement conduit au choix de l’EBITDA comme référence pour limiter la déductibilité des charges financières. Dans le cadre des travaux du projet BEPS2 mené par l’OCDE, il a en effet été considéré qu’«en excluant les deux principaux postes de coûts non liés à la trésorerie dans un compte de résultat (amortissement des immobilisations et des actifs incorporels), l’EBITDA révèle au mieux la capacité d’une entité à honorer ses obligations de paiement d’intérêts»3.
Pour la définition des retraitements à effectuer au résultat fiscal pour déterminer l’EBITDA fiscal, l’impact sur la trésorerie de l’entreprise semble donc être le critère déterminant. La doctrine administrative qui admet l’inclusion dans l’EBITDA fiscal de l’amortissement purement fiscal des frais d’acquisition afférents aux titres de participation (art. 209, VII du CGI) semble indirectement confirmer cette approche4.
1. Anti Tax Avoidance Directive.
2. Base Erosion Profit Shifting.
3. OCDE (2017), «Limiter l’érosion de la base d’imposition faisant intervenir les déductions d’intérêts et d’autres frais financiers», Action 4 - 2015 Rapport final.
4. BOI-IS-BASE-35-40-10-20-20190731, n° 70 (projet soumis à consultation publique).