Cela fait de nombreuses années que des litiges opposent les contribuables à l’administration fiscale sur la question de savoir si un immeuble, affecté à la réalisation de prestations de services, relève des locaux à usage industriel, déclenchant son évaluation selon la méthode comptable (article 1499 du Code général des impôts).
Par Laurent Chatel, avocat associé en fiscalité, responsable du service impôts locaux. Dans le cadre des opérations immobilières, il est amené à contrôler les valeurs foncières servant d’assiette à la fiscalité locale, à auditer lesdites valeurs dans le cadre des deals de cession de parcs immobiliers et à négocier avec les services fiscaux les conditions d’imposition à la fiscalité locale en matière d’opérations de restructurations lourdes. laurent.chatel@cms-fl.com
Les efforts déployés par les organisations professionnelles pour clarifier cette situation ont en partie payé avec l’adoption de l’article 156 de la loi de finances pour 2019.
Certes, on peut regretter que ce nouveau dispositif légalise la doctrine administrative et les dernières jurisprudences défavorables aux contribuables rendues sur cette question. Mais il créé également des mécanismes d’atténuation pour ceux qui subissent des augmentations considérables de leur fiscalité locale.
Ainsi, l’article 156 précité conduit à :
– légaliser la définition des locaux industriels en l’étendant aux locaux affectés à des activités de prestations de services nécessitant d’importants moyens techniques, lorsque leur rôle est prépondérant ;
– tout en créant un seuil de prix de revient des matériels et outillages mis en œuvre fixé à 500 000 euros, en dessous duquel les immeubles demeurent évalués en méthode comparative, même ceux dans lesquels sont fabriqués ou transformés des produits (usine) ;
– mettre en place un lissage des conséquences d’un changement de méthode d’évaluation sur six ans (ce lissage s’applique également lorsque le changement de méthode d’évaluation conduit à une baisse de la valeur foncière imposable) ;
– déroger aux règles de prescription en interdisant à l’Administration de redresser en requalifiant en industriels les immeubles, sauf si des rôles supplémentaires ont été mis en recouvrement avant le 31 décembre 2018 ;
– créer une obligation déclarative aux fins de réaliser une étude statistique qui sera déligentée par la Direction générale des finances publiques (DGFIP) et qui devra donner lieu à un rapport avec ses recommandations remis au Parlement pour le 1er avril 2020. Cette étude statistique permettra de savoir si le problème lié aux requalifications d’immeubles en locaux à usage industriel ne vient pas finalement du mécanisme de l’évaluation comptable.
C’est en quelque sorte la question que le législateur pose en ordonnant la mise en place d’une campagne déclarative à destination des propriétaires de locaux industriels.
Cette question est surprenante sachant que lors des débats parlementaires de la fin des années 60, au cours desquels était examinée l’instauration de la méthode comptable, celle-ci avait pour objectif une taxation plus douce des immeubles industriels par rapport aux locaux non industriels évalués en méthode comparative à compter du 1er janvier 1970.
Les services de la DGFIP vont très prochainement lancer cette campagne déclarative et, d’après les informations obtenues, il nous a été indiqué que :
– elle concernera tous les locaux actuellement évalués en méthode comptable ;
– chaque propriétaire de locaux évalués en méthode comptable devrait donc prochainement recevoir un courrier l’informant qu’il est invité (sous peine d’une sanction de 150 euros par déclaration et 15 euros par omission ou inexactitude dans lesdites déclarations) à donner diverses informations ;
– cette campagne déclarative sera dématérialisée ;
– et elle sera à finaliser pour le 1er juillet 2019.
Dans cette déclaration, le propriétaire d’un immeuble va devoir récapituler :
– la nature de l’activité de l’exploitant ;
– la surface développée des bâtiments et ouvrages ;
– sa valeur vénale ;
– le montant du loyer en cas de location ;
– la valeur des installations techniques et outillages mis en œuvre ;
– la catégorie d’affectation au sens de l’évaluation selon la grille tarifaire.
En règle générale, il est rare que les propriétaires des locaux évalués en méthode comptable connaissent toutes les informations ci-dessus demandées, en particulier les surfaces et la valeur vénale des seuls immeubles.
Ce sera particulièrement le cas des propriétaires de ce type de locaux qui ont donné en location, en crédit-bail, voire des collectivités locales ayant conclu des délégations de services publics.
Pour se convaincre des difficultés à venir, rappelons que :
– concernant les surfaces, celles-ci doivent être calculées au sol entre murs extérieurs et intérieurs. De plus, elles couvrent à la fois les surfaces couvertes mais également celles à ciel ouvert utilisées commercialement (parking, dalle supportant les installations techniques, lieu de dépôt, etc.) ;
– s’agissant de la valeur vénale de l’ensemble immobilier, telle qu’elle serait constatée s’il était vide de toute occupation, il conviendra de rechercher, soit des transactions portant sur des immeubles similaires constatées récemment soit d’apprécier la valeur de reconstruction des seuls biens passibles de la taxe foncière ;
– si la nature de l’activité peut aisément être décrite, le choix de la catégorie parmi les 39 proposées dans le cadre 3 des déclarations 6660 REV risque d’être réduit.
Il est probable que nombre de déclarants seront tentés de choisir la catégorie «EXC 1» (locaux ne relevant d’aucune des catégories précédentes), qui déclenche une évaluation en appréciation directe d’après justement la «valeur vénale».
N’est-ce pas une façon de conforter la méthode actuelle ?
Nous vous invitons donc à anticiper la collecte des informations qui vont vous être demandées. Pour les locataires et crédits-preneurs, il sera indispensable de vous rapprocher de vos bailleurs pour les accompagner dans cette campagne déclarative afin que les informations transmises soient conformes à ce que vous entendez communiquer.
De même, les organisations professionnelles doivent s’inviter lors de l’examen des informations collectées pour être en mesure d’apporter leur éclairage sur la réalité économique du marché locatif des locaux dits industriels.