Les ventes à effet différé d’immeubles ou de droits immobiliers ont un impact sur la date du transfert de leur propriété juridique, et donc sur la date de leur entrée ou sortie du bilan du cessionnaire ou du cédant.
Par Frédéric Gerner, avocat associé en fiscalité. Il intervient tant en matière de conseil que de contentieux dans les questions relatives aux impôts directs, notamment celles liées aux restructurations intra-groupes et à l’immobilier. frederic.gerner@cms-fl.com et Jean-Charles Benois, avocat counsel en fiscalité. Il intervient tant à destination des groupes de sociétés que des particuliers, notamment sur l’ensemble de leurs problématiques immobilières. jean-charles.benois@cms-fl.com
Au-delà de certains effets comptables déconsolidants et des éventuelles conséquences en matière de transfert immédiat ou différé des risques opérationnels entre les parties, le recours à cette technique est également susceptible d’avoir des conséquences sur la qualification de l’entité cédante ou cessionnaire au regard de la notion de société à prépondérance immobilière (SPI). Or, les conséquences fiscales susceptibles de découler d’une telle qualification sont nombreuses (éligibilité ou non au régime des plus-values sur titres de participation, déductibilité des provisions pour dépréciation de titres, imposabilité en France des plus-values sur cessions de titres réalisés par un non-résident, taux des droits d’enregistrement sur les ventes de droits sociaux, etc.).
Si le droit fiscal français fourmille de définitions distinctes de la notion de prépondérance immobilière selon les redevables ou impôts concernés, toutes ont pour principe de calculer cette prépondérance via un ratio comprenant au numérateur, notamment, les immeubles et droits immobiliers, et au dénominateur l’ensemble des actifs de la société concernée. Les ventes d’immeubles à effet différé peuvent ainsi conduire à modifier ledit ratio, à la hausse comme à la baisse, en fonction des modalités de transfert envisagées (vente à terme, vente en l’état futur d’achèvement, vente à réméré, etc.) et des stipulations contractuelles retenues.
Cependant, l’impact de ces ventes à effet différé sur la qualification de SPI est susceptible de varier selon les définitions retenues, qui conduisent à apprécier la prépondérance immobilière à des dates différentes.
Il pourra être significatif lorsque la prépondérance immobilière est appréciée à date fixe, comme par exemple en matière de taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles (appréciation au 1er janvier de l’année considérée), ou de prélèvement sur les plus-values réalisées par des non-résidents sur la cession de titres de SPI (prépondérance immobilière en cas de ratio supérieur à 50 % à la clôture de chacun des trois exercices précédant la cession).
Il sera moindre (mais pourra néanmoins jouer, compte tenu du temps long dans lequel s’inscrivent les projets immobiliers) lorsque le ratio est calculé de manière continue ou mobile, afin d’éviter des comportements optimisants. C’est notamment le cas en matière de plus-values sur titres de participation, le ratio étant en principe calculé à la date de la cession des titres ainsi qu’à la clôture de l’exercice précédant ladite cession. Des dispositifs analogues existent également en matière de droits d’enregistrement (le ratio étant calculé à la date de la cession, ainsi qu’à tout moment au cours de l’année précédant ladite cession), ou encore dans la convention franco-luxembourgeoise conclue le 20 mars 20181.
Cet impact pourra enfin être doublement favorable (ou défavorable) en matière de provisions pour dépréciation de titres lorsque l’effet différé attaché à ces ventes conduit une même société dont les titres sont dépréciés à passer successivement de SPI (provision déductible du résultat imposable à l’impôt sur les sociétés) à non-SPI (provision non déductible), ou inversement, à des dates auxquelles la provision est dotée puis reprise. Encore faudra-t-il savoir à quelle date doit être calculé le ratio de prépondérance immobilière, question qui paraît loin d’être tranchée depuis 20152.
Les effets fiscaux des ventes différées en matière de prépondérance immobilière sont ainsi susceptibles d’être multiples, favorables ou défavorables. Les acteurs économiques sont donc appelés à en apprécier la complexité et à en anticiper les conséquences.
1. Voir à ce titre l’article «Nouvelle convention franco-luxembourgeoise : impacts et enjeux pour les investissements immobiliers français» par Julien Saïac et Mary Lédée en p.11 de cette lettre.
2. CE, 14 octobre 2015 n° 387249, société L’Auxiliaire