Le projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN), dans sa version enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 4 avril 2018, s’articule autour de quatre grands axes, à savoir «construire plus, mieux et moins cher», faire évoluer le «secteur du logement social», «répondre aux besoins de chacun et favoriser la mixité sociale» et «améliorer le cadre de vie».
Par Jean-Luc Tixier, docteur en droit, avocat associé en droit immobilier et droit public. Il assiste – conseil et contentieux – les entreprises commerciales et industrielles, et intervient auprès des promoteurs en matière de droit de l’urbanisme et de la construction, de ventes immobilières et de baux commerciaux, de baux emphytéotiques et à construction. Il est chargé d’enseignement à l’Université Paris I. jean-luc.tixier@cms-fl.com
et Simon Estival, avocat en droit immobilier. Il intervient dans tous les domaines du droit immobilier, notamment en matière de baux commerciaux, copropriété, construction et avant-contrats immobiliers. simon.estival@cms-fl.com
Le projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN), dans sa version enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 4 avril 2018, s’articule autour de quatre grands axes, à savoir «construire plus, mieux et moins cher», faire évoluer le «secteur du logement social», «répondre aux besoins de chacun et favoriser la mixité sociale» et «améliorer le cadre de vie».
Dans ce dessein, le projet de loi ELAN a notamment pour objectif annoncé de moderniser la vente en l’état futur d’achèvement (VEFA).
A cet égard, et comme l’indique l’exposé des motifs introduisant la réforme précitée, celle-ci entend consacrer deux séries de dispositions destinées à :
– «sécuriser l’acquéreur dans le cadre de la garantie financière d’achèvement» ; et
– «permettre à l’acquéreur et au vendeur de se mettre d’accord pour permettre à l’acquéreur d’assurer lui-même certains travaux de finition».
En effet, l’article 22 du projet de loi ELAN entend modifier le Code de la construction et de l’habitation (CCH) et, plus particulièrement, son article L.261-15 en prévoyant que : «Le contrat préliminaire peut prévoir qu’en cas de conclusion de la vente, l’acquéreur se réserve l’exécution de travaux de finition ou d’installation d’équipements qu’il se procure par lui-même. Le contrat comporte alors une clause en caractères très apparents par laquelle l’acquéreur accepte la charge et le coût de ces travaux, qu’il réalise après la livraison de l’immeuble».
Cet article 22 n’a pas pour objectif d’introduire un nouveau contrat de vente d’immeuble à construire correspondant à une vente en état futur d’inachèvement (VEFI - cf. proposition de loi n° 2821 enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 18 octobre 2011) mais de permettre à l’acquéreur, dans le cadre juridique existant des articles L.261-1 et suivants du CCH relatifs aux ventes d’immeubles à construire, de se réserver, avant la conclusion de l’acte de vente définitif, «l’exécution de travaux de finition ou d’installation d’équipements qu’il se procure par lui-même».
Dans cette hypothèse, en application de l’article L.261-15 modifié du CCH, le contrat préliminaire de réservation devra indiquer, dès l’origine, la décomposition précise du prix du local réservé, à savoir «le prix de vente convenu», «le coût des travaux dont l’acquéreur se réserve l’exécution, ceux-ci étant décrits et chiffrés par le vendeur», ainsi que «le coût total de l’immeuble égal à la somme du prix convenu et du coût des travaux» dont l’acquéreur se réserve l’exécution.
Si ces dispositions sont de nature à permettre aux acquéreurs de personnaliser d’avantage leur futur logement ou encore d’en limiter le coût d’acquisition en leur permettant de réaliser eux-mêmes certains travaux, il demeure, selon nous, plusieurs difficultés juridiques à lever au regard des dispositions existantes des articles L.261-1 et suivants du CCH.
Nous pouvons, en effet, nous interroger sur l’application de ces nouvelles dispositions de l’article 22 du projet de loi ELAN au regard de la définition de l’article R.261-1 du CCH qui précise que : «L’immeuble vendu à terme ou en l’état futur d’achèvement est réputé achevé au sens de l’article 1601-2 du Code civil, reproduit à l’article L.261-2 du présent code, et de l’article L.261-11 du présent code lorsque sont exécutés les ouvrages et sont installés les éléments d’équipement qui sont indispensables à l’utilisation, conformément à sa destination, de l’immeuble faisant l’objet du contrat».
Il n’est pas contestable qu’il ressort de cette définition réglementaire que l’exécution de travaux «d’installation d’équipements» peut être une condition sine qua none de l’achèvement de l’immeuble au sens de l’article R.261-1 du CCH.
Aussi, la coexistence des nouvelles dispositions de l’article 22 du projet de loi ELAN avec les dispositions existantes de l’article R.261-14 du CCH relatif à l’échéancier de paiement de la VEFA interpelle.
Cet article R.261-14 du CCH précise que : «Les paiements ou dépôts ne peuvent excéder au total : […] 95 % à l’achèvement de l’immeuble».
Il est donc loisible de s’interroger sur la manière dont se combinera l’exécution des travaux par l’acquéreur pouvant concourir à l’achèvement de l’immeuble avec ce jalon de paiement du prix à l’achèvement de l’immeuble, ainsi qu’avec l’obligation légale pesant sur le vendeur de fournir une garantie financière d’achèvement.
Dès lors, et aux fins d’assurer une compatibilité entre les textes existants du CCH et les nouvelles dispositions de l’article 22 précitées, il nous semble qu’il serait judicieux que le législateur limite, dans son projet, les travaux pouvant être exécutés par l’acquéreur aux seuls «travaux de finition ou d’installation d’équipements qu’il se procure par lui-même» ne concourant pas à l’achèvement de l’immeuble (papiers muraux, peintures, revêtements des sols, etc.).
On relèvera d’ailleurs que l’article 22 du projet de loi ELAN est étonnamment silencieux quant aux assurances devant être souscrites par l’acquéreur ayant opté pour «l’exécution de travaux de finition ou d’installation d’équipements qu’il se procure par lui-même.», lesquels peuvent incontestablement être à l’origine de désordres.
Il convient de souligner que, sans attendre cet article 22 relatif au secteur protégé du logement, la pratique s’est lancée dans le montage spécifique du bail en l’état futur d’inachèvement (BEFI), concernant les immeubles commerciaux, industriels et de bureaux.
Dans cette hypothèse, un encadrement juridique préalable à la réalisation des travaux du preneur est indispensable, notamment quant aux modalités d’organisation de la mise à disposition anticipée des locaux.
En effet, et outre qu’il est recommandé de réaliser un état des lieux afin de s’assurer que les travaux du preneur ne porteront pas atteinte à ce qui a été fait par le bailleur, il est nécessaire de décrire les travaux envisagés par le preneur, lesquels pourront contribuer à l’achèvement des lieux loués, ainsi que les assurances afférentes à souscrire, afin de s’assurer que lesdits travaux ne seront pas de nature à porter atteinte à la conformité contractuelle et administrative de l’immeuble.
Aussi, il est judicieux de prévoir que la mise à disposition anticipée vaudra constatation de l’achèvement des travaux du bailleur, afin d’éviter une possible confusion avec les travaux faits par le preneur.
Cette vigilance dans la rédaction des clauses se justifie également par l’obligation de délivrance du bailleur, dont ce dernier ne peut s’exonérer.
Dans un arrêt récent, en date du 18 janvier 2018, la Cour de cassation a en effet confirmé sa jurisprudence antérieure en considérant : «Qu’en statuant ainsi, alors que les obligations pesant sur le promoteur immobilier envers le preneur, au titre des travaux de réhabilitation d’un immeuble loué, n’exonèrent pas le bailleur, tenu d’une obligation de délivrance, de la prise en charge des travaux nécessaires à l’activité stipulée au bail, sauf clause expresse contraire, la Cour d’appel, qui s’est déterminée par des motifs impropres à caractériser une exonération du bailleur, a privé sa décision de base légale» (Cass. 3e civ., 18 janvier 2018, n° 16-26.011).
Dans ces circonstances, et à la lumière de ce qui vient d’être exposé, les interrogations précitées témoignent que l’article 22 du projet de loi ELAN relatif au secteur protégé du logement, dont certaines dispositions ont d’ores et déjà été pensées par la pratique dans le secteur non protégé, est discutable et inachevé sur plusieurs sujets fondamentaux du régime de la VEFA.